Xavier Huart, coach sportif

Rencontre avec l'entraîneur de Lee Ann Curren, qui a également suivi Tim Boal, Michel Bourez et bien d'autres..

08/04/2010 par Romain Ferrand

En seulement quelques années, Xavier Huart s’est imposé dans le surf professionnel français comme un des tous meilleurs coachs sportifs. Ancien windsurfeur professionnel (plusieurs fois Champion de France et dans le top 10 mondial pendant quelques années), il a préparé sa reconversion en devenant préparateur physique. il transmet aujourd’hui son savoir-faire et son expérience d’athlète à certains des meilleurs surfeurs français. Une approche qui englobe le travail physique, la technique mais aussi le mental.

Après avoir suivi Tim Boal et Michel Bourez jusqu’à l’an dernier, il encadre désormais toujours la surfeuse du World Tour Lee Ann Curren, ainsi que Christophe Allary, Hugo Savalli et Amandine Sanchez. Il porte un regard intéressant sur l’évolution de l’entraînement dans le surf professionnel, à travers notamment les exemples de Kelly Slater et Mick Fanning.

Xavier Huart nous présente aussi son rôle de coach, sa vision de l’entraînement dans le surf ainsi que quelques clés pour permettre au surfeur lambda de développer son surf à long terme :

Etant Vosgien d’origine, et champion de windsurf, comment en es-tu arrivé à entraîner certains des meilleurs surfeurs français ?

J’ai attaqué le windsurf sur le tard, vers 19 ans, mais avec beaucoup de rigueur, ce qui m’a permis de compenser mon retard et d’avoir une carrière assez longue. Dans le windsurf, comme dans le surf aujourd’hui, il n’y avait rien dans le domaine de l’entraînement et la préparation physique. Il y a 4 ou 5 ans, devenu préparateur physique, j’ai rencontré Tim Boal qui cherchait alors à étoffer son physique. Au fur et à mesure on est arrivés à empiéter sur la partir technique et le mental. De fil en aiguille, j’ai été amené à travailler avec Hugo Savalli, Amandine Sanchez, puis Michel Bourez et Christophe Allary…Et j’entraîne Lee Ann Curren depuis janvier dernier…

Trois d’entre eux sont parvenus à rejoindre l’élite du World Tour. Joli travail…

Le sport de haut niveau tient parfois à peu de choses. Tous ces athlètes avaient un potentiel énorme à la base. Encore fallait-il parvenir à le développer. Il y a de nombreux surfeurs sur le WQS qui ont le niveau pour se qualifier mais qui pour X raisons ne passent pas à la vitesse supérieure. Pour prendre l’exemple de Lee Ann, Tim et Michel, qui se sont qualifiés, ils ont eu à un moment donné envie de passer à la vitesse supérieure et le travail a payé. Ils ont su s’entourer au bon moment. Même si c’est une démarche qui ne marche pas avec tous…

Il y a des surfeurs moins réceptifs que d’autres ?

Disons que c’est un sport qui, à la base, n’a pas cette notion d’effort, de routine, de performance. Certains sont passés par le Pôle France (Hugo, Christophe, Lee Ann), mais c’est malgré tout un milieu pas très structuré. Les surfeurs ne connaissent que le surf, et n’ont pas eu en parallèle une activité plus structurée comme le football qui a bien plus cette notion de développement et de performance.

Les surfeurs ont aussi un calendrier très chargé de février à décembre, et trouver une régularité dans l’entraînement n’est pas évident. Leur culture compte énormément aussi : certains vivent mal le déracinement, l’éloignement…

Enfin, il y a aussi une question de motivation chez des jeunes qui ont des contrats de sponsoring corrects, une vie plutôt cool, et n’ont pas évidemment envie de se faire violence.

Quels conseils donnerais-tu au surfeur lambda qui ne surfe que de façon occasionnelle ?

Il faut avant tout se sentir bien dans son corps, et pour cela faire de la prévention pour éviter les blessures, s’échauffer avant d’aller à l’eau, s’étirer après, pratiquer des sports régulièrement. Il faut aussi être à l’écoute de son corps, aller chez l’ostéopathe en cas de douleur, se renforcer comme on peut…

« Dane Reynolds va faire la fête 5 jours par semaine et avoir des résultats prodigieux »

Quel est le sport le plus complémentaire du surf ?

Il faut varier les activités pour que son corps ait une palette mécanique la plus ample possible. Le rameur, la natation le vélo sont de bons sports complémentaires. Le travail sur les abdos est également important afin de renforcer la ceinture abdominale.

Pour le lecteur, ton rôle de coach s’apparente à un job de rêve : tu suis les riders, tu voyages, tu passes ton temps dans l’eau…

Oui, comme on peut se dire que tel surfeur pro ou tel footballeur pro a une vie de rêve. Mais il faut savoir qu’il y a des concessions. Dans n’importe quel sport, les pros rêvent parfois d’avoir la vie d’un homme ordinaire. C’est pareil pour leurs coachs. Moi j’ai conscience d’être un privilégié, mais il y a des jours où j’aimerais avoir une vie plus réglée.

De nombreux surfeurs sont de gros fêtards. Quelles en sont les conséquences sur leur forme physique ?

Un lendemain de cuite où tu es fatigué, tu as plus de chances de te blesser, d’être moins performant sur la longueur… Une grosse soirée alcoolisée suivie d’une nuit blanche peut réduire à néant 3 semaines d’entraînement. Mais il y a des contre-exemples : Dane Reynolds va faire la fête 5 jours par semaine et avoir des résultats prodigieux. Ça dépend des individus. Il n’y a pas de « vérité vraie » dans le sport.

« Tout est lié dans la performance de l’athlète : mental, physique, matériel »

Mick Fanning semble maintenant sérieux, mais a eu lui aussi une réputation de gros fêtard sur le Tour…

Oui, mais ces mecs-là – comme Dane Reynolds aujourd’hui – ont réussi parce qu’ils sont au-dessus des autres ! Ce sont des extra-terrestres. Et il y a des mecs comme Kekoa Bacalso (champion du monde junior 2006, ndlr) qui n’ont pas d’entraînement, ont une hygiène de vie limite (Kekoa est réputé pour boire des quantités impressionnantes de bières !, ndlr) mais font quand même de bons résultats. Ils compensent, peut-être tout simplement par le talent. Mais il y a tellement de facteurs qui rentrent en jeu dans la réussite d’un sportif. Aucun d’entre eux n’est arrivé à un haut niveau vraiment seul. D’où l’importance de coachs sportifs pour les aider.

Ton coaching à toi passe aussi par un suivi continu des surfeurs, notamment pendant les sessions ?

Oui, je suis là quasiment tout le temps. Si tu veux faire un travail efficace en terme de préparation physique, tu es obligé de savoir ce que la partie technique va impliquer, décomposer le mouvement, savoir quels sont les blocages physiques de l’athlète, qui peuvent avoir une influence sur le technique.

Un suivi qui passe aussi par la vidéo ?

Bien sûr. Ca passe par du décorticage vidéo, afin de travailler des points précis, des mouvements de bras, des placements du pied… Du coup on intervient aussi sur le matériel, les dérives… Tout est lié dans la performance de l’athlète : mental, physique, matériel. On ne peut pas intervenir sur un aspect sans intervenir sur le reste.

« Kelly a des relais, est filmé en permanence »

Toi qui ne viens pas à la base du surf professionnel, tu arrives tout de même à avoir un regard pointu sur les forces et faiblesses de tes athlètes ?

Oui, c’est de la biomécanique. Le windsurf est un sport cousin, dans le sens où le milieu est le même. La lecture de la vague aussi est similaire, tu as cette notion de déplacement, de déstabilisation dans un milieu marin. Après, l’analyse du mouvement fait partie du développement physique d’un athlète. En tant que préparateur physique, je ne vais pas avoir le même regard sur un athlète qu’un ancien surfeur pro reconverti par exemple…Sans être un grand technicien, je commence à comprendre et à pouvoir affirmer des choses. Moi j’ai ce vécu d’ancien athlète qui fait que je vois les choses différemment. Je surfe aussi beaucoup désormais, ce qui me permets de faire des liaisons entre tel ou tel domaine…

Au même titre que des agents sportifs, on voit qu’il commence à y avoir de plus en plus de sportifs dans le surf. Comment expliques-tu cela ?

On va vers la professionnalisation du surf. En ce moment, les surfeurs du top 10 du World Tour sont de vrais professionnels. Ils vivent et s’entraînent comme des pros, et ont aussi plus de moyens à leur disposition. Fanning et Parko, par exemple, sont de vrais athlètes, et s’entourent de coachs depuis des années.

On dit par contre que Kelly Slater n’a pas de coachs…

Il y a des gens qui n’en ont pas forcément, mais qui prennent de infos ici et là. Kelly a des relais, est filmé en permanence, il s’intéresse au développement de son matériel depuis des années. Même à son âge c’est encore un précurseur dans de nombreux domaines…

C’est quelqu’un de très mental…

Oui, et qui n’a que très peu de blocages, dans le mental comme dans le physique. Il a des aptitudes qui à la base devaient être exceptionnelles. Il est talentueux. Malgré tout, au vu de son physique, on voir qu’il a travaillé. C’est un athlète de très haut niveau. Comme il le dit, « c’est un investissement permanent ». Kelly ne vit que pour le surf. Je l’ai déjà vu sur plusieurs évènements : le lendemain d’une compète, même s’il s’est fait battre, il prend sa voiture ou un bateau et part surfer quelque part. Il ne s’arrête jamais, comme Federer ou Nadal qui s’entraînent sur les courts 8 heures par jour. C’est un précurseur dans son sport. Kelly ne va pas passer 2 heures en salle de gym comme les autres mais il travaille à sa façon, il sait ce qui est bon pour lui.

Tu échanges un peu avec les coachs de ces surfeurs ?

Oui bien sûr, je crois à l’échange. Si tu restes dans ton coin, tu progresses moins vite. Après, tu ne peux pas non plus tout dévoiler. C’est normal, ça reste de la compétition.

Concernant ton travail, comment gères-tu le suivi de tes athlètes quand vous ne vous voyez pas pendant plusieurs semaines ?

Ils ont des programmes avec des objectifs et travaillent seuls. Je ne peux pas m’occuper de tout le monde en même temps. Certains athlètes sont prêts à partir de chez eux pendant plusieurs mois, à venir en France dans le seul but de s’entraîner. D’autres ne veulent pas, ou ne sont pas prêts à faire de telles concessions. Evidemment, les résultats s’en font ressentir. En règle générale dans le sport, un champion sacrifie sa vie à son sport et ses objectifs. Mais Je respecte ceux qui veulent moins s’entraîner. La priorité pour moi est qu’un athlète soit bien dans sa tête. Si ça doit passer par ça, alors OK. Mais à lui d’être responsable et de savoir l’implication qu’il veut mettre dans son travail.

Tu ne fermes pas la porte de leur chambre à clé le samedi soir quand vous êtes en déplacement alors ?

Ce sont des adultes, ils sont grands. Je n’ai pas les responsabilités d’un entraineur d’un grand club de foot français. Le surf est un sport où il n’y a pas cette notion de routine de l’effort. Je me mets un peu à leur place puisque je l’ai vécu pendant ma carrière. Mais les jeunes doivent comprendre que ceux qui sont devant vivent et travaillent comme des pros. Donc si ils veulent atteindre le niveau de ces mecs-là, ils vont devoir travailler encore plus qu’eux, et au moins aussi intelligemment. D’ou l’intervention de plus en plus d’entraîneurs dans le milieu, car les consciences se réveillent.


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