Petitcodiac : renaissance d’un mascaret historique

Le Français Antony Colas raconte ses sessions récentes sur le fleuve canadien après 40 ans de disparition du mascaret.

21/08/2013 par Surf Session

Grand wave-trotter devant l’éternel, rédacteur des Stormrider Guides, Antony Colas s’est fait une spécialité de déflorer les vagues les plus improbables à travers le monde, de la Mer Noire à la Libye, et en particulier les mascarets, une passion familiale avec son frère Fabrice. De Saint-Pardon aux autres vagues de Garonne et Dordogne, “Yep” comme on l’appelle a couru après le phénomène fluvial jusqu’en Chine ou encore Sumatra et son Bono, le Graal des mascarets.

En pleine rédaction d’un livre à venir en 2014 consacré aux mascarets à travers le monde, Yep avait déjà écrit les bases d’un premier chapitre dédié à feu la vague du Petitcodiac à Moncton, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, au Canada. Ce mascaret est l’un des plus anciens jamais répertoriés avec celui de la Seine notamment, puisque les colons français et britanniques l’avaient déjà rapporté dans leurs écrits il y a plusieurs siècles. Déjà à l’époque, on venait de toutes les provinces maritimes de cette partie est du Canada pour assister au phénomène.

Sauf que l’histoire ne s’écrit plus au passé mais au présent, alors que la vague du Petitcodiac refait surface grâce au combat des Sentinelles, un groupe de défense de l’environnement qui est parvenu à faire modifier l’aménagement de la rivière et principalement d’un pont-jetée qui bloquait le passage du mascaret.

Antony “Yep” Colas revient sur ces sessions pionnières au Canada lors de la pleine lune du 25 juin 2013.

Surf Session : Que savais-tu de ce mascaret disparu avant de partir ?

Antony Colas : Ce que je savais est qu’il prenait forme au fond de la Baie de Fundy, une baie réputée pour ses plus grands marnages au monde, jusqu’à 21 mètres. Mais des énormes marées qui accouchent d’une petite souris malheureusement… Si seule cette donnée comptait, on trouverait parmi les plus gros mascarets au monde dans la baie du Mont Saint-Michel.

Celui du Petitcodiac à Moncton avait disparu peu après la construction d’un pont-jetée en amont, en 1968. Disons que d’un mascaret d’une hauteur d’un mètre, on était passé à une vaguelette de 30 cm, insignifiante. Au point que le mascaret était devenu l’objet de moqueries, surnommé le « total bore » (« l’ennui total » en français) en référence, au  tidal bore, le mascaret en langue anglaise. Et ça a duré 44 ans…

Quel a été le déclencheur ?

À la fin des années 80, l’association Les Sentinelles s’est créée pour redorer le blason du fleuve Petitcodiac et notamment avec l’objectif de faire enlever ce pont-jetée. Auparavant, les navires alimentaient Moncton par la Baie de Fundy et le passé maritime était riche. Après 20 ans de bataille, en 2010, des aménagements ont été consentis, et notamment le remplacement de la butte qui soutenait le pont par des vannes. Ce dispositif a permis doucement de réalimenter la rivière. Les sédiments s’étaient accumulés, le sable s’était tassé et formait une sorte de bouchon en quelque sorte.

À quel moment as-tu entendu parler du retour du mascaret là-bas ?

Ce n’est que lors des grands coefficients de juin dernier que le bruit a couru que le mascaret était de retour : il y avait plus de bruit, plus de jaillissements sur les berges, et ils se sont dis “tiens, le mascaret revient”. J’ai remarqué ça sur YouTube et les réseaux sociaux, et, un mois plus tard, je faisais le déplacement, tout comme le photographe Yassine Ouhilal de son côté, en voisin de Nouvelle-Écosse.

C’est un peu comme l’instinct du chasseur : quand tu surveilles quelque chose durant des années, que rien ne se passe et qu’à un moment tu sens que ça bouge, il ne faut pas attendre (rires).

Sauf que le chasseur ne fait pas toujours mouche non plus et les deux premiers mascarets t’ont échappé, non ?

Oui absolument ! Après avoir fait 1 000 bornes en voiture dans la nuit, je suis arrivé tout juste une heure avant le passage du mascaret. Le temps de refixer les dérives sur ma planche, l’ambiance était tendue à cause du timing et, surtout, je n’avais pas la moindre idée d’où ça allait déferler, même si j’avais observé quelques vidéos avant de partir. Je me suis fait conseiller par des pompiers et malheureusement leur tuyau ne n’est pas révélé bon. Mais mon placement initial n’était pas bon non plus. Puis re-ratage le soir accompagné de deux surfeurs locaux. C’est tellement facile de rater un mascaret !

C’est là également que tu as appris que tu n’étais pas seul à avoir fait le déplacement…

Oui, un autre équipage de longboardeurs californiens, JJ Wessels et Colin Whitbread, avait traversé le continent, coaché par le photographe Yassine Ouhilal qui est installé en Nouvelle-Écosse, juste en face du Nouveau-Brunswick. Ils avaient acheté deux jet-skis spécialement pour l’occasion et effectué deux journées de reconnaissance auparavant, mais eux non plus ne sont pas arrivés à rejoindre la ville de Moncton à cause d’un souci de jet.

Tu n’avais pas de jet-ski mais tu as employé une technique rodée sur la Garonne, à savoir enchaîner des sections séparées de plusieurs kilomètres en laissant une voiture au bord de la rivière. Raconte-nous comment tu as fait.

À partir du troisième jour, j’ai pu enchaîner deux sections en me faisant déposer en amont, puis en prenant la voiture parquée sur le chemin.

À quoi ressemble ce mascaret, comparé à ceux que tu as déjà pu surfer ?

On assiste à un véritable phénomène de compression passé Moncton. Avant la ville, le cours d’eau est beaucoup plus large et, en se rétrécissant, cela provoque un effet venturi qui fait grossir la vague au passage de la ville. La fin du mascaret est la meilleure. Mais on n’en est probablement qu’à 50 % de l’intensité potentielle du mascaret de Petitcodiac et je prévois que dans quelques années, on peut s’attendre à quelque chose de relativement conséquent. Et puis, il y a le passage du pont de Gunningsville : passer un pont, c’est un peu le tube du mascaret (rires) ! Surtout qu’en passant le pont, on tombe sur la meilleure section, près des berges, une droite assez creuse où tu peux manoeuvrer.

La popularité d’un mascaret est aussi liée à la conjonction de la présence d’une ville, d’un lieu témoin du phénomène. Et là en l’occurrence, Moncton est une ville de 70 000 habitants, le double si on compte sa proche banlieue…

C’est sûr que ce belvédère de plusieurs kilomètres le long de la Petitcodiac a permis de faire marcher le bouche-à-oreille. Et on peut compter sur la population de surfeurs en Nouvelle-Écosse (États-Unis) et de SUPeurs en lacs et eau vive au Canada pour que l’affluence à Moncton grimpe rapidement. Au bout de quelques jours seulement, nous étions déjà une dizaine à l’eau, dont 8 stand-up, comme les locaux Éric Léger et Martin Levestre que j’ai “recruté” le premier jour alors qu’ils pratiquaient le stand-up sur les lacs.

L’autre phénomène a été la réaction des gens de Moncton et des médias nationaux. L’engouement et la couverture médiatique ont été conséquents. Surprenant ?

Pour les gens du coin, il s’agissait d’une grande fierté que de retrouver la vague. J’ai vu des anciens qui l’avaient vu dans les années 60 et ils avaient les larmes aux yeux. C’était une partie de leur patrimoine, un symbole du fleuve, un symbole du combat des Sentinelles et de leur victoire, car ce projet de réhabilitation représente tout de même un budget de 20 millions de dollars au total. La ville de Moncton a calculé que ce sont pas moins de 30 000 personnes sur les 5 jours qui sont venues assister au mascaret. Et puis, c’est un véritable potentiel touristique qui est entrevu par la ville ; le directeur de l’office du tourisme, Ben Champoux, a déclaré qu’il s’agissait d’un “game-changer” pour Moncton.

En parlant de chiffres, les médias ont repris l’info erronée selon laquelle le mascaret a été surfé sur 29 kilomètres. Tu peux nous expliquer ?

Forcément, en annonçant 29 kilomètres, ça devenait tout de suite un record du monde ! Mais en réalité ce sont plusieurs sections sur ces 30 kilomètres qui ont été surfées mais pas la totalité, loin de là. Les deux longboardeurs californiens disent avoir surfé 30 mn sur la plus longue section, ce qui représente tout de même 6 kilomètres environ.

De ton côté, combien de fois as-tu surfer ce mascaret au final ?

Sur 5 jours, j’ai pu l’attraper 9 fois, 5 de jour et 4 de nuit.

De nuit ?

Ben oui, avec les lumières de la ville plus la pleine lune, tout seul c’est vraiment magique. C’était l’apothéose de mon trip : 4,3 km de nuit, passer le pont et se retrouver à quelques kilomètres de l’hôtel à 1h30 du matin, déposer son SUP et courir jusqu’à l’hôtel pour récupérer sa voiture.

Es-tu prêt à y retourner à l’avenir ?

Oui, je vais continuer à surveiller ce qui s’y passe lors de la prochaine pleine lune d’août et j’ai la chance d’être d’ores et déjà invité à revenir l’an prochain ; la ville de Moncton compte en effet organiser un gros événement autour du mascaret.

Mais maintenant tu en es quitte pour réécrire les pages du premier chapitre de ton livre !

Oui, je suis bon pour recommencer mais au moins maintenant, j’aurais de bonnes photos pour l’illustrer !


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2 commentaires

  • antony colas
    26 août 2013 15h13

    Quand Tom Morey a déclaré « je ferais connaître les joies de la vague aux masses laborieuses » en inventant le bodyboard, il ne s’est pas fait que des amis ! Question de point de vue ! Oui, le mascaret est un terrain de jeu idéal pour le quidam moyen ! Après, reste à voir ce que tu entends par Disneyland ? Pas sûr qu’on en arrive là !

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  • Amouck nordine
    25 août 2013 18h02

    Merci Anthony grâce à toi le mascaret va devenir le prochain Disney-land des bords de rivières

    Répondre

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