[best of] Entretien avec Tyler et Michel Larronde : Jaws dans le sang

"Je l'ai regardé surfer Jaws et j'ai toujours voulu faire pareil."

21/12/2023 par Ondine Wislez Pons

En août 2021, Michel nous a ouvert les portes de sa maison, empreinte d’un vécu et d’une histoire que l’on devine riches. On s’y sent vite bien, apaisé. C’est le genre de lieu dans lequel nos yeux ont envie de se poser un peu partout, sur les objets et les images qui le peuplent, témoins d’une vie toute entière tournée vers le surf, les vagues, le voyage

Nous aurions aimé le trouver lui ainsi que son fils, Tyler, pour mener notre interview que nous voulions croisée, double. Un peu à la manière d’un échange père-fils sur une expérience commune, transmise de l’un à l’autre, qui les anime tous les deux et qui ne les quittera sans doute jamais. 

Mais matériellement, nous savions déjà cela impossible. Tyler vit à Hawaii, là où il est né. Mais ça n’est pas non plus de la folie pure que d’avoir espéré, l’espace d’un instant, pouvoir réunir le père et le fils pour notre entretien. Si le Covid n’avait pas bouleversé nos habitudes, mis la pagaille dans nos rituels et que le Jaws Big Wave Championships n’arrivait pas à grands pas, Tyler aurait dû être à Biarritz à ce moment-là. Habituellement, il passe un mois en France à cette période de l’année afin de participer à la Rat’s Cup, de renouer avec le Pays-Basque, constitutif de son identité et ses amis d’ici, qu’il connait depuis toujours. Mais cette année, pour les raisons que nous avons énoncées précédemment Tyler n’a pas fait le voyage. Il est à Hawaii et s’entraîne dur pour la compétition à venir. 

Nous avons tout de même pu mener notre interview comme nous l’avions imaginée. Via Wattsapp, Michel a appelé Tyler. Les onze heures de décalage horaire qui séparent Hawaii de la France ont obligé Tyler à se lever aux aurores, mais cela ne semblait absolument pas un problème pour lui, qui a l’habitude de commencer tôt sa journée. 

En guise de préambule, Tyler nous a fait visiter son potager (virtuellement bien sûr), d’où viennent les fruits et les légumes qu’il consomme. Nous avons pu jeter un œil sur son lieu de vie où la nature est omniprésente. Au moment où il nous parle, le local de Maui prépare le Jaws Big Wave Championships. Une compétition qui concentre tous ses efforts. Entre le père et le fils, l’échange commence inévitablement par un check mutuel des conditions sur le North Shore et au Pays Basque.

Cette rencontre est l’occasion de s’intéresser à une relation père-fils peu conventionnelle, de parler de la place de la transmission dans leur parcours et d’avoir une vision experte du surf de gros et son évolution. D’abord, il y a Michel dont le nom est indissociable de l’histoire du surf en France mais aussi dans le monde. Ses initiatives, son histoire personnelle n’ont cessé de repousser les limites de la discipline. Après avoir été l’un des premiers à surfer à la Grande Plage de Biarritz accompagné de sa bande de l’époque, Michel a passé plus d’un quart de siècle sur le North Shore de Maui. Il fut l’un des pionniers du tow-in à Jaws dans les années 90. Nous l’avons tout de suite invité à revenir sur cette période, dont il parle avec un enthousiasme captivant. Une chose est sûre, les vagues le prennent aux tripes aujourd’hui encore et son besoin de surfer est toujours quotidien. Ce surfeur précurseur a été le premier français à surfer Jaws mais également l’un des chefs de file du surf de gros et du surf tracté. Il continue d’inspirer la nouvelle génération. Puis il y a Tyler, plus hawaiien que n’importe quel français, en même temps il est né là-bas. Il s’illustre sur le North Shore depuis son enfance. Son truc à lui, c’est de surfer Jaws à la rame. Quand c’est vraiment très gros. Surtout, quand c’est vraiment très gros. Pour eux, le surf est une histoire de famille. Ils ont cette passion commune, cet engouement vertigineux pour le surf de gros. Mais à les entendre, cette passion semble des plus naturelles. 

Tyler Larronde à Jaws, Hawaii
© WSL / AARON LYNTON

Leurs débuts dans le surf de gros 

Pendant son enfance, Michel a longuement exploré la Côte Basque avec sa fameuse bande de la Grande. « On faisait la course à celui qui tenait les plus grosses vagues, qui passait la barre. On se motivait tous les uns les autres » se rappelle-t-il. Après avoir écumé les plages basques, le jeune surfeur porté par une envie d’ailleurs, et dans le but de progresser dans sa pratique décide de passer ses hivers à prendre des tubes à Puerto Escondido. 

Michel plante le décor : « J’étais cuisinier de métier. J’ai fait l’école hôtelière de Biarritz pour pouvoir voyager et travailler à l’étranger. Pendant deux, trois ans j’ai passé mes hivers au Mexique, avant de partir pour la Californie. Puis, grâce à Sylvain Cazenave qui allait régulièrement à Maui, un restaurateur français installé à Hawaii m’a appelé à Los Angeles et m’a proposé du boulot dans son restaurant. Tyler est né à Hawaii, il est américain. Il n’a jamais vécu en France. C’est un hawaiien. Un basco-hawaiien. » (rires)

« Depuis que je suis monté sur une planche, les grosses vagues m’appellent. » Son entrain, sa détermination, son envie de surfer des vagues toujours plus imposantes vont écrire l’histoire du surf de gros. L’expérience acquise sur le spot mexicain va le rendre à l’aise à Jaws, là où il ne tarde pas à devenir une figure emblématique. À l’écouter, son installation à Hawaii est le fruit de rencontres et d’opportunités qui se sont présentées à lui. Pas étonnant pour quelqu’un qui semble ouvert sur les autres et sur le monde. Son arrivée, il la doit au photographe Sylvain Cazenave, qui lui a dégoté un boulot sur place. Michel ne tarde pas à se faire sa place aux côtés des surfeurs locaux et à ouvrir un restaurant « La vie en rose » qui devient rapidement un haut lieu de la scène surf de l’époque sur le North Shore.

Malgré plus de 40 ans de surf dans les jambes, Michel ne s’en lasse pas. Aujourd’hui installé au Pays Basque, le chargeur n’entend pas laisser son passeport enfermé au fond d’un tiroir. Dès qu’il le peut, il retrouve Tyler à Maui et ensemble, ils chassent les houles et enchaînent les sessions. Ils n’ont pas besoin d’échanger beaucoup pour se rappeler à quel point l’hiver dernier a été des plus fous.

Pour Tyler, tout a commencé très jeune, avec « coach papa » comme il l’appelle en rigolant : «Je l’ai regardé surfer Jaws et j’ai toujours voulu faire pareil. Avec mes copains on surfait toujours des vagues plus grosses, on se poussait les uns les autres. Un Noël, mon père m’a fabriqué une planche de tow. » Par chance, ce cadeau coïncidait avec l’arrivée d’un gros swell sur l’archipel. Tyler est allé à l’eau avec sa nouvelle planche. « Je suis devenu complétement accro. Depuis ce jour, je pense que je n’ai jamais loupé une seule houle. »

Lorsque Michel se met en tête de surfer la Mâchoire en tow-in pour la première fois, il est bien loin de toutes les précautions prises aujourd’hui pour garantir la sécurité des surfeurs : « Quand j’ai commencé à Jaws, on n’avait pas toutes ces mesures de sécurité. On y était allé un peu à l’arrache, il y a eu un engouement. On avait juste un jet-ski, on n’avait pas de sled, on n’avait pas de gilet de sauvetage, on n’avait pas des planches adéquates, c’était un peu chaud. Du coup notre génération a fait cette partie-là du travail. Après je me suis équipé de gilets, les planches se sont améliorées. » On, c’est son ami Vincent Lartizien et lui. « C’est mon partenaire qui m’a poussé. On a acheté des jet skis et dès qu’il y avait du swell on était comme des fous. On s’entraînait sur le reef puis on allait à Jaws. Ça s’est fait naturellement pour moi. J’ai été le partenaire de Buzzy Kerbox, l’ancien partenaire de Laird Hamilton. J’ai fait ça avec des mecs qui avaient de la notoriété et ça m’a donné confiance. J’ai pu me lâcher, conduire et me faire conduire comme je voulais et où je voulais. »

« Mais au début on ne s’est pas entraîné, on y est allé comme ça. Il y avait Albee Layer et d’autres mecs comme ça qui prenaient des tubes. Nous aussi on a commencé à en prendre. On en prenait sans cesse des plus gros.» C’est par la suite qu’il s’est davantage équipé et préparé. « Cette année je pense que ça va être hallucinant. Il y a beaucoup de monde à l’eau même si cette année avec le covid c’était particulier. On va voir ce que ça va donner. Aujourd’hui encore je continue d’y aller, avec Tyler. Mais lui, il a pris le créneau à la rame. Il vous en parlera mieux que moi. »

Tyler Larronde à Maui, Hawaii
© WSL / MARENELMAR

Transmettre, tout simplement

Un père, un fils, un même spot mais une époque et une expérience différentes. La transmission, qu’importe sa forme, occupe une place importante dans chacun de leur parcours. Quand on demande à Michel de revenir sur les débuts de Tyler il nous répond ceci : « J’étais surfeur, sa maman aussi. On était tout le temps sur la plage. Il surfait depuis tout petit et a fait toutes les petites compétitions de Maui. Jusqu’à douze ans il a cartonné et en a gagné pas mal. Puis c’est le surf de gros qui a pris le dessus, les compétitions ça l’a plus trop fait. Tyler m’a vu surfer, il a vu d’autres mecs, les a entendu parler… »

Pour Tyler, l’envie de monter sur une planche est née de sa propre volonté et des encouragements de son paternel : « Mon père voulait que je surfe et moi aussi je voulais surfer. ». Les chiens ne faisant pas des chats, Tyler est lui aussi immédiatement conquis : « Après être allé à Jaws je n’ai voulu faire que du surf de gros, c’était mon truc. C’est devenu ma drogue. »

Tyler Larronde à Jaws, Hawaii
© WSL / KENNETH MORRIS

Tyler est prof de surf, Michel accompagne son fils mais également d’autres surfeurs et surfeuses dans plusieurs grosses vagues à travers le monde. Ils ont tous les deux cette envie de transmettre et de partager leur savoir.

Pour Michel : « Ces transmissions se sont toutes faites naturellement. Personne n’a rien cherché. On s’est rencontré avec les gens, ce sont des concours de circonstances. Par exemple quand je suis allé à Maui (en janvier 2021) je n’avais pas prévu de surfer des vagues comme ça, je n’y avais jamais pensé. Et je me suis retrouvé là…. Ce sont les gens que tu rencontres. Par exemple Justine, je ne savais même pas que j’allais la piloter. J’avais eu des échos mais j’avais déjà fait toute la matinée avec Tyler, quand ils m’ont demandé j’ai dit bien sûr. Je savais qu’elle avait attendu toute la matinée dans le chanel. Donc voilà c’était mon devoir de le faire aussi. » Un hasard et une association de talent qui ont tout de même permis à Justine de rafler trois prix aux Big Wave Awards.

Si partager leur savoir autour de soi est naturel chez les Larronde, c’est aussi un moyen pour eux d’améliorer leur pratique. C’est ce dont Tyler fait l’expérience : « Pour moi aussi c’est important. J’adore faire ça. J’aime parler de surf toute la journée et partager. Et puis c’est un bon entrainement pour moi. Je suis parfois sur mon longboard pendant 5h. J’ai l’habitude de mettre mon pied sur le nose de la planche de mes élèves pour les tirer. Je rame donc beaucoup. Je pense que c’est le meilleur entrainement qui puisse être parce que dans les grosses vagues faut ramer comme un fou. »

Une histoire de filiation

Séparés par plusieurs centaines de kilomètres, ils partagent peu de sessions. Mais quand Michel vient un mois à Maui tous les hivers, leurs journées sont rythmées par le surf.

Michel à propos de son dernier hiver sur le North Shore : « C’est un mois plein gaz. L’an dernier, tous les matins on était debout au lever du jour pour être au spot. On n’a pas arrêté. On s’est gavé ! ». Ensemble ils affrontent Jaws au moins deux fois par semaine. Michel ne tarde pas à ajouter : « Là on s’est retrouvé au Mexique, à Puerto Escondido. On a bien partagé. Ça faisait un moment qu’on rêvait de faire un petit trip ensemble. On a surfé dix différents spots de fous. C’est encore frais en nous. On était content de se retrouver après toutes ces histoires de covid. » Un surftrip particulièrement attendu après une si longue séparation. « C’est bon de se retrouver, on ne se voit pas assez, on habite loin l’un de l’autre. »

Particulièrement positif et concentré sur ses objectifs pour lesquels il s’entraîne quotidiennement, Tyler voit d’un bon œil sa mise à l’écart forcée du territoire français pendant deux ans : « Ça me permet de m’entraîner beaucoup et sérieusement, de bien manger alors qu’en France c’est difficile de résister aux croissants et aux chocolatines ! » (rires)

Blague à part. C’est indiscutable, affronter des vagues comme Jaws demande une condition physique irréprochable et une rigueur à toute épreuve. Bien qu’aujourd’hui les mesures de sécurité ne soient plus une option, dans le surf de gros le danger n’est jamais complètement écarté. Un risque que Tyler sait réel puisqu’en 2016, Jaws a conduit le jeune hawaiien à l’hôpital. Sa jambe a littéralement traversé sa planche après avoir reçu sur la tête la lèvre d’une vague de 20 pieds.

C’est lorsque Tyler était adolescent que Michel était le plus inquiet : « À 14 ans il allait déjà à Jaws. Une fois je l’ai tracté dans une vague monumentale. Je ne sais pas si ce n’est pas la plus grosse vague que Tyler ait jamais prise. Elle était inattendue. C’était dingue. Heureusement très jeune il a super bien géré le surf tracté. »

La suite on la connait, malgré son inquiétude, Michel a encouragé son fils à poursuivre dans cette voie. Dans son atelier, il lui a shappé toutes ses premières planches. « Il a commencé la rame avec la planche que je lui avais offerte à Noël qui a fait la couverture de Surfer Magazine. Quand il est parti à la rame, je faisais la sécu avec un jetski. Mais ça m’est arrivé pendant un an ou deux de ne pas avoir accès à un jet. Quand je le voyais à l’eau je flippais complet. Je l’ai vu se faire défoncer, ne pas remonter… J’en avais les larmes aux yeux, c’était affreux. Avec le temps c’est un peu passé, j’ai vu qu’il assurait, je prenais de plus en plus confiance. Je voyais que lui aussi était serein, qu’il était dans le move avec ses potes comme Albee Layer ou des grands comme Shane Dorian ou Ian Walsh. Il a commencé à faire partie des meilleurs. Du coup maintenant je suis à l’aise avec ça, j’ai confiance en lui, je sais ce qu’il fait. Toutefois on n’est jamais à l’abri d’un pépin, chaque année il y en a qui prennent des pètes. Mais ils sont bien équipés, il y a la sécurité. Il y a toujours des mecs qui surgissent pour venir te récupérer. C’est de plus en plus sécure. »

Cette inquiétude Tyler aussi la ressent : « L’année dernière, je l’ai mis sur une vague. Je suis habitué à placer mes potes qui veulent faire des tubes, je l’ai donc mis très deep en oubliant que c’était mon père. Il a lâché. Quand il est sorti de la vague il m’a insulté comme jamais. En vérité, il était quand même content parce que c’était trop cool. Encore pardon papa ! »

Quand on leur demande avec une naïveté déguisée si cette passion les a rapprochés, la réponse est immédiate et unanime : « Oh oui, on fait équipe quoi ! »

Article par Ondine Wislez Pons et Flora Etienne

Initialement publié le 9 novembre 2021


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