De sa première vague en foil à Jaws à sa blessure, Matt Etxebarne raconte…

"Avant cette session, tout le monde me disait que c'était impossible d'aller à l'intérieur à Jaws en foil."

05/01/2024 par Ondine Wislez Pons

© Jayden Ganon
© Brian Bielmann

La fin d’année n’a pas été de tout repos pour Matt Etxebarne Aguirregomezkorta. Fin novembre, le Basque est parti à Jaws sur un coup de tête alors qu’un swell massif arrivait sur Hawaii. Après avoir réalisé l’un de ses rêves : prendre une vague (monumentale) à Peahi en foil, le waterman s’est sévèrement blessé à la tête dimanche 31 décembre, alors qu’il était de retour à Hawaii, après un passage par Nazaré.

Tout juste âgé de 22 ans, Matt est du genre à se donner les moyens de ses ambitions. Entraînement physique intensif, préparation mentale, saison pour financer ses voyages, s’envoler à l’autre bout du monde à la dernière minute, lâcher la corde toujours plus deep sur des vagues toujours plus grosses… Rien ne semble l’arrêter, bien au contraire. S’il entend bien emmener le foil sur des territoires inexplorés, les objectifs qu’il se fixe ne semblent pas avoir de limite.

Au cœur de la saison des grosses vagues et quelques jours seulement après sa blessure, nous avons pris le temps d’échanger avec le rider pour prendre de ses nouvelles et revenir sur ses dernières performances. Bien que blessé et momentanément tenu hors de l’eau, la détermination de Matt reste intacte.

Dans quel état d’esprit abordais-tu cette nouvelle saison hivernale ?

« J’ai abordé cette saison hivernale avec énormément de motivation et des objectifs à remplir, surtout pendant un hiver el Niño. Je me suis préparé autant physiquement que mentalement, pour être prêt. Avant mon premier voyage à Hawaii, j’avais pour objectif de passer le plus de temps possible dans le Pacifique. J’avais envie de faire des choses nouvelles dans des endroits où je n’étais pas encore allé.

Peux-tu nous en dire davantage sur ta préparation physique et mentale ?

J’ai travaillé pendant la saison d’été mais j’ai vraiment essayé de garder un bon rythme sportif. Je me suis beaucoup entraîné en piscine, notamment en apnée, je suis allé à la salle et j’ai fait beaucoup de proprioception. Mais je préfère m’entraîner en extérieur, donc j’ai beaucoup été en montagne, fait du vélo… La préparation mentale est aussi très importante dans le sport en général et surtout pour le foil de grosses vagues. J’aime bien travailler sur la visualisation, en visualisant mes objectifs et en essayant de travailler sur des images, des moments que mon cerveau pourra assimiler. Je pense que ça aide beaucoup.

Comment s’est organisé ce premier voyage à Hawaii, fin novembre ?

Le voyage s’est décidé au dernier moment. J’étais au Pays Basque avec mon pote Tom, on a vu ce swell immense arriver et on s’est dit que c’était le moment de tenter notre chance. C’était le tout début de l’hiver et on se sentait bien, on était prêt. Et même si d’un point de vue logistique, on n’avait rien organisé, il faut savoir prendre certaines décisions. C’est comme ça que ça passe ou que l’on se trompe, mais il faut essayer pour ne pas avoir de regrets. On est parti un peu à l’arrache, sans savoir où dormir, on avait pris deux boards bags pour dormir dedans au cas où. On a finalement trouvé un logement sur place quelques heures avant d’arriver, une voiture et un local, Zane, pour nous tracter en jet ski. On est arrivé la veille du swell, c’était le soir de Thanksgiving et toutes les étoiles se sont alignées.

Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé le jour du swell, jusqu’au moment où tu as pris ta vague ?

On s’est retrouvé au petit matin sur le port, avec pas mal de questions en tête. On ne savait pas vraiment comment les choses allaient se dérouler. On a pris un bateau et on est arrivé au line up, c’était comme un rêve. J’avais regardé tellement de vidéos à Jaws et visualisé la vague tant de fois que j’avais l’impression de connaître l’endroit, sans jamais y avoir été. On a passé deux heures à analyser le spot et à regarder les vagues que Kai Lenny, Albee Layer et les autres gars prenaient. L’idée était de tenter notre chance et d’avoir l’opportunité de prendre une vague en foil. Mais le pari était risqué, c’est une vague très difficile. J’ai vraiment pris le temps de l’observer, pour être lucide et prendre la bonne décision. Je ne voulais pas partir sur une mauvaise vague, les risques sont trop élevés pour en prendre une qui ne vaut pas le coup.

Et ta vague ?

Quand ce fut mon tour, Zane est venu me chercher et on est allé au pic. Je lui ai dit que je voulais vraiment une grosse vague et être assez deep. J’ai attendu patiemment, puis j’ai vu une vague arriver nord ouest, avec une bonne orientation et j’ai décidé de lâcher la corde en essayant d’aller le plus deep possible. Mais comme en foil on ne peut pas freiner, j’ai été plus vite que ce que je pensais et il y avait du vent qui s’engouffrait sur ma planche. Quand j’ai commencé à rentrer dans le creux de la vague c’est allé très vite, il a fallu gérer tous les clapots et éviter les marmittes, le tout entre 70 et 80km/h. C’est à ce moment-là que l’entrainement physique et la préparation mentale portent leurs fruits. J’ai eu un joli ride, j’étais trop content, surtout quand je suis arrivé dans la passe et que tout le monde criait les bras levés sur les bateaux, c’était un moment vraiment spécial.

© Ernie Black
© Ernie Black
© Nick Taylor

Qu’est-ce que ça a changé pour toi ?

J’ai mis un peu de temps à me rendre compte de ma vague. C’est une fois que j’ai vu les images et le buzz qu’elles ont fait sur les réseaux sociaux que j’en ai pris conscience. Je pense que ça a changé la vision que les gens ont du foil, qu’ils se rendent plus compte des possibilités qu’il offre. Avant cette session, tout le monde me disait que c’était impossible d’aller à l’intérieur à Jaws en foil, mais j’étais tellement sûr de moi, de mon matériel, je m’étais tellement entraîné et j’avais passé tellement de temps à tout analyser que j’étais persuadé que c’était possible. Mais cette vague ne représente qu’un faible pourcentage de mes objectifs. Elle m’a permis d’avoir plus confiance en moi et me donne encore plus envie de repousser les limites du foil dans les grosses vagues. Ça me conforte dans l’idée que l’on peut faire des choses incroyables avec cet engin.

Il semblerait que cette session t’ait donné envie de passer du temps à Jaws ?

Après ce swell à Jaws, je voulais rentrer à la maison, j’avais envie de passer les fêtes en famille et me reposer. Mais je ne me suis pas reposé du tout, je suis vite reparti à Hawaii avec de gros objectifs en tête. Pour ça il faut passer le plus de temps possible à l’eau, il n’y a pas de secret.

Mais tu t’es malheureusement blessé il y a quelques jours… Comment c’est arrivé ?

Le 31 décembre il y a eu une belle session à Jaws et je me sentais assez confiant. Les vagues n’étaient pas gigantesques mais c’était quand même gros. Je suis parti sur l’une des plus grosses vagues de la session, mais j’étais trop deep. Quand je suis arrivé en bas j’ai su que ça n’allait pas passer et j’ai tracé tout droit, mais la mousse est arrivée tellement vite qu’elle a pris mon foil et j’ai pris l’aile en pleine tête. J’étais un peu sonné et en plus de ça, mon gilet gonflable n’a pas fonctionné. J’ai passé deux vagues sous l’eau avant de remonter à la surface quasiment au bord. J’ai été traîné sur plus de 100 mètres. C’est là que j’ai senti que j’avais un trou dans la tête. Pierre Rollet est arrivé et il m’a dit qu’il y avait une énorme tâche de sang autour de moi. Il m’a mis sur le sled, a été dans la passe et a appelé les secours avant de me ramener au port puis les secouristes ont pris le relais.

Quel est ton état d’esprit aujourd’hui, quelques jours seulement après ta blessure ?

Cette blessure est arrivée en plein milieu de l’hiver et je pense que ce n’est pas par hasard. Ça fait plusieurs semaines que je tire sur la corde, en voulant repousser les limites du foil et en étant présent sur tous les swells. Tout cela demande beaucoup d’énergie et de dévouement, entre les voyages, l’organisation, le décalage horaire… On a tendance à ne voir que la finalité, une très belle vague sur les réseaux sociaux, mais il y a beaucoup de travail derrière. Il faut que j’accepte de passer une dizaine de jours hors de l’eau, mais ça va me permettre de me concentrer et de restructurer mes objectifs de 2024. Je suis hyper motivé pour le prochain swell et je vais tout faire pour être à 200% pour la fin de l’hiver.

Quel est ton rapport au danger lorsque tu t’apprêtes à surfer un gros swell ?

Je suis bien placé pour en parler, surtout avec ce qu’il vient de m’arriver. Le foil de grosses vagues est sans aucun doute le sport aquatique le plus dangereux au monde. En foil, le simple fait de partir sur une vague, même si tu es sur l’épaule ou que tu prends une ligne safe, tu n’es jamais safe. La préparation est importante mais elle n’enlève rien au stress que l’on ressent avant une session et au moment de lâcher la corde. On sait que l’on s’apprête à faire quelque chose d’extrême et que l’on risque notre vie. Notre discipline demande de prendre beaucoup de risques mais surtout d’être le plus préparé et le plus organisé possible.

Peux-tu nous parler de la pression, du stress que tout cela implique pour toi ?

Sur les réseaux on ne voit que la finalité, une belle vague surfée. Ce qui est vrai, mais en amont il y a énormément de travail. Je ne suis pas professionnel et je travaille pour pouvoir faire tout ça. J’ai passé six mois à travailler tous les jours dans une école de surf pour financer mon premier voyage à Hawaii et j’ai vendu ma voiture pour pouvoir y retourner. Puis il y a toutes les choses à mettre en place, le logement, le jet ski et la personne qui va te tracter. Il faut aussi trouver une voiture, un gilet, des cartouches… Ce sont des choses qui se mettent en place petit à petit mais ça fait beaucoup de facteurs extérieurs à gérer, qui ne permettent pas d’être totalement focus sur la session.

© Javi Goya – Matt à Nazaré
© Vito Marques – Matt à Nazaré

Quels sont tes objectifs aujourd’hui ?

Cette vague prise à Jaws m’a conforté dans l’idée que les possibilités sont infinies en foil, mais elle représente seulement 1% de mes objectifs à Jaws et sur d’autres vagues ailleurs dans le monde. J’ai envie d’amener des choses différentes dans mes rides, en faisant des tubes, des manœuvres, en apportant des petites touches de nouveauté. Je n’en parle pas encore trop, mais je reste très motivé. Ce n’est pas cette blessure qui va me faire arrêter, bien au contraire, elle va me faire prendre en maturité pour revenir encore plus fort.

Et ta vision sur l’avenir du foil ?

C’est un sport qui a très vite évolué au cours des cinq dernières années et dont les limites sont repoussées chaque jour. Personnellement, j’ai compris que c’était l’objet idéal pour repousser les limites du possible dans les vagues dès le premier jour où je suis monté dessus. Pour moi, le foil c’est le futur et il va nous permettre de prendre les plus grosses vagues de la planète tout en faisant les choses les plus dingues. Mais cela va prendre du temps, parce que ça dépend de nous, mais aussi du matériel et de son évolution. Les années à venir nous le dirons. »

Suite à ton accident, comptes-tu porter un casque à présent ?

C’est quelque chose que je voulais mettre sur les sessions un peu engagées depuis quelque temps maintenant. Mais comme il ne m’était encore rien arrivé je repoussais l’échéance tout le temps. Mais depuis, ma blessure m’a vraiment permis de prendre conscience du fait que l’on est pas immortel et il y a de vrais risques dans ce sport. Je viens juste de me procurer un casque et évidemment, je compte le porter sur toutes les prochaines sessions. Il faut que je m’y habitue parce que même sur les sessions qui paraissent un peu moins risquées, un peu moins dangereuses, c’est là où l’on se fait mal. En plus, j’ai vu Kai juste après… Le casque c’est hyper important, il va nous permettre d’éviter quelques accidents !


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