[best of] Port du casque à l’eau : ils témoignent

Tête dure.

01/01/2024 par Maia Galot

*article initialement publié le 04/05/2023

Molly Picklum porte un casque à Pipeline lors du Billabong Pro Pipeline 2022
© Photo by Brent Bielmann/World Surf League
Tyler Wright porte un casque à Off The Wall in Haleiwa, Hawaii.
© Rip Curl

« Je me suis habituée, ça fait partie de l’ensemble. Je pars du principe que le matériel existe, il ne me gêne pas et ne m’empêche pas de performer. Donc si ça augmente ma sécurité et que ça ne m’empêche pas de performer, le rapport est intéressant pour moi. »

Justine Dupont

Le casque : il a fait sensation au peak de l’une des vagues les plus réputées au monde, à l’occasion du Billabong Pro Pipeline. On a pu le voir porté par nombre d’athlètes de haut-niveau sur la compétition à commencer par Moana Jones Wong, l’habituée du spot qui a marqué l’événement par une victoire historique. Plus largement, le casque semble se faire peu à peu sa place au line-up, entre les leashs et les dérives. Coup d’oeil sur cet accessoire à part.

Malgré des recherches menées il y a plus de 15 ans sur le sujet, il semblerait que ce soit seulement ces dernières années que le casque se fasse enfin une place dans le coffre des surfeurs. En 2005, une étude menée en Australie sur la perception des surfeurs concernant la nécessité de porter un casque de protection révélait ainsi que plus de 73% de la population interrogée (90% d’hommes, de 28 ans en moyenne, avec plus de 10 ans d’expérience de surf en moyenne) pensait que les surfeurs qui portent un casque sont moins susceptibles de se blesser. Pourtant, plus de 62% déclarait aussi préférer ne pas en porter. L’étude publiée à la Bibliothèque Nationale de Médecine statuait alors que les principales raisons invoquées pour ne pas porter de casque étaient : le fait de ne pas en « avoir besoin », l’inconfort, la claustrophobie ou encore les effets sur les sens et l’équilibre. Malgré la reconnaissance du risque, un manque de visibilité sur la nécessité réelle d’utiliser une protection pour la tête dans la pratique du surf était ainsi souligné. « Des recherches sont nécessaires pour clarifier le risque de traumatisme crânien chez les surfeurs et l’efficacité du casque pour réduire le risque de blessure. Jusqu’à ce que ces preuves soient disponibles, des initiatives éducatives, une amélioration de la conception des casques et un profil au sein de la culture du surf seraient nécessaires pour augmenter le taux de port du casque » concluait l’étude. Deux ans plus tard en France, le Dr. Guillaume Barucq réalisait une étude sur l’accidentologie liée à la pratique du surf sur la côte basque. Selon cette dernière, la tête du surfeur était atteinte dans 50% des accidents du surf. L’analyse avançait notamment qu’un « casque adapté semble prévenir [le risque de plaie du scalp] en cas de choc d’intensité faible à modérée. »

Pas besoin, dites-vous ?

De nos jours pourtant, de plus en plus de surfeurs semblent s’en équiper, à commencer par le haut niveau. Plusieurs facteurs jouent dans cette décision : la dangerosité du spot, le monde à l’eau et, pour certains, le niveau d’engagement. Avec l’évolution du sport (popularité, taille des vagues, puissance des manoeuvres…) les limites du surf sont repoussées, et le risque augmente avec elles. Pour coller à cette réalité, même la World Surf League a pris le virage de la sécurité, en proposant des casques aux athlètes à Pipeline, mais aussi au travers d’un nouveau protocole lié aux commotions cérébrales et au retour à la compétition en 2022. La commotion cérébrale est un changement d’état mental qui est toujours induit par un traumatisme, impliquant ou non une perte de conscience. Dans le cas d’un choc à la tête, elle est l’un des premiers risques encourus. S’ensuivent de nombreux symptômes dont des troubles de l’humeur, déséquilibre et/ou étourdissements, problèmes de sommeil, maux de tête ou encore trouble de l’attention. Le port du casque est selon l’association américaine Save a Brain (qui sensibilise aux effets mentaux et physiques à long terme des lésions cérébrales traumatiques et des commotions cérébrales), un moyen de « considérablement réduire le risque et l’étendue des lésions cérébrales, et sans aucun doute un aspect important de la prévention des commotions cérébrales. » Un élément qu’à pris en compte Justin Becret suite à son accident à Pipeline début janvier 2022, lequel lui a valu pas moins de 36 points de suture au visage. De retour à l’eau, un casque sur le crâne, il nous explique : « je l’ai remis car quand j’ai tapé ça m’a fait une commotion cérébrale, donc c’est pour ne pas en refaire une par-dessus et avoir des dégâts irréversibles. Il y a des lésions plus fortes quand on fait commotion sur commotion. Une ça se répare, mais deux d’affilée c’est pas bon du tout.« 

De plus, le port du casque aurait le bénéfice de protéger les oreilles et notamment de réduire le risque de développer une exostose, aussi appelée « surfers’ ears. » Ce problème de santé est courant chez les surfeurs, car il a pour cause l’exposition à l’eau froide et au vent, et plus particulièrement la combinaison des deux, le vent créant un facteur de refroidissement lorsque les oreilles sont mouillées. Celui-ci se présente sous la forme d’un os supplémentaire formé de bosses qui se développent dans le canal auditif, comme mécanisme de défense de l’organisme pour protéger le tympan. Le problème est que l’exostose continue à se développer, créant des infections dues à l’eau coincée dans les oreilles. Cette double utilité protectrice correspond à l’expérience qu’en a fait Justine Dupont, habituée du port du casque : « ça permet de protéger les oreilles, donc ça fait d’une pierre deux coups et ça permet de moins mettre de bouchons » nous a-t-elle expliqué à ce sujet.

© Rip Curl
Off The Wall, Hawaii, surfeuse portant un casque
© Rip Curl
© Rip Curl

Repenser le confort

Pour ce qui est de l’inconfort, les modes de conception ont évolué pour coller aux attentes des pratiquants. La marque Gath existe sur le marché depuis le milieu des années 80, tandis que Simba Surf est arrivé au milieu des années 90 : les technologies et prototypes d’alors n’ont plus grand chose à voir avec ceux d’aujourd’hui. Les marques ont travaillé à des modèles qui « protègent les parties de la tête les plus exposées aux blessures liées aux sports nautiques, notamment la partie inférieure du front, les oreilles, les mâchoires et les joues, offrant ainsi aux pratiquants une expérience aquatique plus sûre. » Confort et forme adaptée à l’utilisation ont ainsi été optimisés au fil des années. De plus, il peut aussi être pertinent de mentionner le confort de se savoir protégé, en témoigne la surfeuse de grosses vagues, en souvenir de sa frayeur à Nazaré en janvier 2022: « quand je me suis retournée cet hiver et que j’ai vu la falaise… C’est là que tu percutes et que tu es content de l’avoir.« 

Côté sensations, la chargeuse n’y voit pas de différence, le casque ne lui ajoutant aucune gêne, « je me suis habituée, ça fait partie de l’ensemble. Je pars du principe que le matériel existe, il ne me gêne pas et ne m’empêche pas de performer. Donc si ça augmente ma sécurité et que ça ne m’empêche pas de performer, le rapport est intéressant pour moi » ajoute-t-elle. Un sentiment partager par Justin, pour qui les sensations sont aussi les mêmes : « ce n’est pas bizarre » assure-t-il « il faut peut être s’adapter sur une ou deux sessions car ça résonne un peu mais ce n’est pas gênant. » Pour Kauli Vaast, qui porte le casque sur le spot de Teahupo’o depuis ses huit ans, c’est aussi une « question d’habitude« , et il n’a aucune gêne dans ses sensations à l’eau.

Looking good…

Et le look dans tout ça ? Il serait hypocrite de ne pas mentionner que l’une des raisons principales qui empêche nombre de surfeurs de se protéger correctement la tête, c’est sûrement l’appréhension d’avoir « l’air idiot ». Bien que les athlètes ne nient pas cette réalité, le surf étant de nos jours aussi un sport d’image, ils balaient rapidement cet argument. « Il faut mettre le casque » affirme Justin « quand il y a du reef c’est beaucoup mieux, ou beaucoup de monde à l’eau. Il ne faut pas se sentir idiot ». Très tôt, Kauli a aussi pris le problème à l’envers : à Teahupo’o, son casque coloré est devenu un signe de reconnaissance. Une pointe d’orange au creux du tube ? Même loin depuis le chenal, vous savez quel surfeur acclamer à la sortie. Et à nouveau, les marques aussi font leur part et travaillent sur ce point, proposant des modèles dont l’esthétique est travaillée. Des efforts qui semblent récompensés : en début d’année, la surfeuse professionnelle Lakey Peterson partageait une photo d’elle casquée sur ses réseaux sociaux, légendant « qui le porte le mieux? » et comparant son look à celui de personnages puissants de films d’action comme Magneto (X-Men), Thor (Marvel) ou encore Gladiator.

Finalement, à choisir entre « avoir l’air de » et sa sécurité, le calcul semble vite fait. Un constat que partage Justine : « c’est la sécurité d’abord, la performance ensuite. Le look c’est tertiaire. » Et ces propos semblent résonner résonner peu à peu avec la communauté surf, les casques se faisant de plus en plus nombreux au peak : « les casques au large à Pipe, c’est monnaie courante. Il y a de plus en plus d’engagement à l’eau, ça se voit. Même à Teahupo’o les gars font des trucs de plus en plus fous, prennent des vagues de plus en plus grosses et de plus en plus deep, et c’est bien que les gens se protègent » conclut Justin.

Article initialement publié dans le hors-série matos 2022.

Bettylou Sakura Johnson porte un casque à Pipeline lors Billabong Pro Pipeline en 2022
© Brent Bielmann/World Surf League

Tags: