Conversation avec le surfeur Clovis Donizetti et le photographe Thomas Lodin

"Le surf est à mi-chemin entre l'acte quotidien de manger ou de respirer et un aspect plus philosophique, créatif."

02/01/2024 par Ondine Wislez Pons

© Thomas Lodin
© Thomas Lodin
© Thomas Lodin

La sortie de « A ‘Study in Scarlet‘ », un film de cinq minutes signé Thomas Lodin dans lequel Clovis Donizetti s’exprime sur des planches estampillées Christenson Surfboards, fut l’occasion pour nous d’échanger avec le surfeur et le vidéaste. En matière de films de surf, il existe des collaborations qui marchent plus ou moins bien, certaines vibrant plus que d’autres. Clovis et Thomas en font partie, nourrissant une vision commune du surf ayant davantage à voir avec la culture et l’esthétisme qu’avec le sport. C’est d’ailleurs un cliché de Clovis, réalisé par Thomas, qui a fait la couverture de notre dernier numéro, le n°389, paru en octobre dernier. Cette fois, la caméra de Thomas a suivi le surfeur pendant plusieurs mois, immortalisant l’évolution de Clovis sur le modèle « Scarlet Begonia » que le shapeur a faite pour lui (l’édit est à retrouver en bas de l’article).

Clovis et Thomas se sont rencontrés à l’occasion de shootings professionnels et se sont liés d’amitié partageant, entre autres choses, le goût du longboard classique. « Nous sommes de très bons amis. Nous partageons un intérêt commun pour le surf, sa culture et nous en avons une vision très similaire » nous a affirmé Thomas. Et cela se ressent à l’image.

Après avoir surfé à peu près tous les styles de planche, Clovis a choisi le longboard classique. Le surfeur faisait ses premiers pas sur un longboard du côté de la Côte des Basques à Biarritz alors qu’il était enfant. Là où il a grandi et où il vit aujourd’hui. Si pour beaucoup le surf est un sport, pour Clovis c’est un mode de vie, un art indissociable de son histoire et de sa culture, qui n’ont eu de cesse d’inspirer le surfeur. Tour à tour, nous avons échangé avec Clovis puis Thomas sur leur collaboration et leur approche du surf.

Clovis Donizetti, une certaine vision du surf

Surf Session Comment est né ce nouveau projet vidéo ?

Clovis Donizetti – « Avec Thomas, nous avons filmé pas mal de sessions depuis un an et quelques, depuis le moment où j’ai reçu le prototype de mon modèle de chez Christenson. Il n’y avait pas de réel fil conducteur, je l’ai vu comme une étude de cette planche dans différentes conditions.

Surf Session – Une fois à l’eau, quelles ont été les singularités de cette planche ?

Clovis – C’est un shape assez classique, simple et raffiné, qui permet différentes approches, que ce soit pour un surf minimaliste ou, au contraire, dynamique avec plus de puissance.

Surf Session – Quelle résonance a-t-elle eu avec ton propre style ?

Clovis – Le plus important pour moi est de pouvoir, en quelque sorte, connecter les points de la vague et la surfer jusqu’au sable. Que cela passe par des noses, des virages ou simplement en allant tout droit. Il était donc important pour moi que la planche ait une inertie et une facilité à glisser depuis tous les points, du tail au nose.

© Thomas Lodin

Surf Session – Quel est ton lien avec Christenson ?

Clovis – Cela fait un peu plus de cinq ans que je surfe ses planches, il a une approche très directe et nous avons les mêmes influences dans le design des planches. Le fait qu’il puisse faire n’importe quel type de shape, du fish au glider est bien sûr également très intéressant. Dans l’édit, la première planche est le prototype du Scarlet Begonia, qui est un modèle sur lequel nous avons travaillé ensemble. La bleue est une planche de stock, avec un rocker spécifique dédié au noseriding.

Surf Session – Et avec Thomas, comment décrirais-tu votre collaboration ?

Clovis – Nous avons, l’un envers l’autre, une confiance mutuelle. Il connaît bien mon surf et ce qu’il veut en capturer, cela me permet de surfer sans pression, sans avoir cette impression de devoir performer.

Surf Session – Que trouves-tu chez lui que tu ne retrouves pas chez un autre photographe ?

Clovis – Le sens du détail, il ne laisse rien au hasard. Ce qui ne l’empêche pas d’être ouvert à l’improvisation.

Surf Session – Quelle est ta vision du surf ?

Clovis – Le surf est à mi-chemin entre l’acte quotidien de manger ou de respirer et un aspect plus philosophique, créatif, qui consume beaucoup de mon temps.

Surf Session – Que recherches-tu quand tu surfes ?

Clovis – Je recherche parfois des choses très spécifiques, mais dans l’ensemble j’aime cette idée que chaque vague est unique et sans répétition possible, du coup, l’improvisation et la beauté de l’instant priment sur le reste. Je suis très influencé par les stylistes du passé tel que Matt Kivlin Dora ou Phil Edwards, un surf fonctionnel et esthétique.

Surf Session – Dans un article à ton sujet dans Surfer’s Journal, tu dis avoir vécu à fond toute une époque, celle du Biarritz Surf Festival, la culture et les rencontres qui allaient avec… Comment décrirais-tu la scène longboard aujourd’hui en France ? Que reste-t-il de ces années ?

Clovis – De ces années je ne suis pas sûr qu’il reste grand chose. Je ne vois malheureusement pas trop de gens de ma génération que cela ait vraiment marqué. La scène longboard française est très fragmentée je trouve, il n’y a pas vraiment de cohésion et encore moins de vrai « style à la française », quelque chose qui pourrait nous différencier du style californien, australien ou hawaiien. Il y a pourtant de quoi faire, avec notre patrimoine culturel. À la place, on rend le leash obligatoire et ceux qui ne s’y conforment pas sont ostracisés. Heureusement qu’il y a chez les shapeurs et glasseurs français, un vrai renouveau et une passion du design et de l’histoire. Je suis sûr que cela contribuera à une nouvelle génération talentueuse.

© Thomas Lodin
© Thomas Lodin
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© Thomas Lodin
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Surf Session Comment dirais-tu que tu as trouvé ton propre style ?

Clovis – J’ai eu de la chance de grandir à la Côte des Basque, je surfais avec Lartigau, Jacky Rott ou Maurus, des caractères forts. Dès le début je me suis rendu compte que quelle que soit la planche utilisée, ils y insufflaient une âme, quelque chose que je ne retrouvais pas dans d’autres formes de surf. J’ai été bien sûr très inspiré par certains surfeurs, Joel Tudor en tête, mais je me suis vite rendu compte de l’importance de trouver ma propre voix.

Surf SessionOù puises-tu ton inspiration ?

Clovis – Je trouve mon inspiration dans beaucoup de choses, tout est entremêlé, avec un peu d’imagination, le surf se retrouve partout. »

Thomas Lodin nous parle de son travail

Surf Session Comment est né le projet de cet édit ?

Thomas Lodin – « Clovis a développé son modèle « Scarlet Begonia » avec Chris Christenson. J’étais avec lui, en Californie, lorsqu’ils ont fini de shaper la toute première il y a deux ans et j’ai naturellement documenté cela de la salle de shape de Chris à sa première session avec. Après quelques sessions, on s’est dit que ça serait intéressant de continuer de le filmer à découvrir toutes les subtilités de sa planche et d’en faire une vidéo.

Surf Session – Que trouves-tu chez lui que tu ne trouves pas chez un autre surfeur ?

Thomas Le souci du détail, sans compromis. Il a toujours tracé son propre chemin sans se préoccuper des modes ou autre. Sa passion se retranscrit par une culture impressionnante, une technique parfaite et donc un style unique.

Surf Session – Quand vous travaillez ensemble, tu lui donnes des directives ou bien tu le laisses faire ?

Thomas – C’est vraiment du 50/50. On discute beaucoup. Je lui expose des idées d’images (la photo en couverture du numéro actuel en est un exemple) ou de projets, si ça lui plaît on le fait et parfois on ajuste. S’il a également une idée de son côté il m’en parle et on essaye de transformer tout ça en concret.

Surf Session – Dans un article à propos de lui, tu disais « Il a une dextérité technique que chaque instant vaut son image« . Est-ce donc un surfeur que tu préfères filmer, pour en saisir tous les mouvements ?

Thomas – Filmer est un métier à part entière et mon amour premier est la photographie. J’aime le fait d’essayer de nouvelles choses pour ne pas tomber dans la monotonie. Penser mon cadrage en termes photo tout en filmant est très intéressant mais s’il y avait un choix à faire aujourd’hui, je resterais quand même sur la photo pour son intemporalité. Avec un surfeur comme Clovis, chaque instant vaut son image, autant en vidéo qu’en photo!

© Thomas Lodin

Surf Session – Comment as-tu pensé puis tourné le film ?

Thomas – Tout s’est fait au feeling. J’avais l’introduction dans la tête avant même qu’on parle de filmer, lorsque nous étions chez Chris (Christenson) puis le but était de montrer différents moments de surf de Clovis avec son modèle, donc nous avons filmé pendant plusieurs mois afin de ne garder que le meilleur.

Surf Session – Quand tu travailles avec lui, sur quels détails se porte ton objectif ?

Thomas – Tout. Tout dans les détails.

Surf Session – Avec le montage, la bande son, qu’avais-tu envie de montrer, quelles émotions avais-tu envie de susciter ?

Thomas – La musique est la partie de Clovis. Je le laisse choisir les morceaux qui lui parlent et qui lui correspondent. J’avais fait un pré-montage des images, sans bande son, afin de lui montrer comment j’avais articulé le clip. Il m’a ensuite envoyé beaucoup (trop) de morceaux qui fonctionnaient bien mais il n’était pas 100% satisfait jusqu’à ces deux-ci. Il avait raison de ne pas s’arrêter aux premiers.

Surf Session – Où puises-tu ton inspirations, dans et hors du monde du surf ?

Thomas – Dans tout ce qui m’entoure. Le monde extérieur est une source d’inspiration infinie, une lumière, un reflet, une planche, une texture… Je suis curieux de nature avec une passion pour l’image, quelle qu’elle soit. J’ai une préférence pour l’imagerie plutôt ancienne, qu’elle soit photographique, cinématographique, peinte… L’esthétique de l’époque a beaucoup plus d’âme. Chaque image était pensée, réfléchie, parfaitement exécutée avec le souci du détail que je retrouve moins dans les images contemporaines. Le style n’était pas laissé au hasard non plus, dans le surf comme dans le cinéma ou la musique. »

© Thomas Lodin
© Thomas Lodin

A ‘Study in Scarlet’


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