Interview shape : Mère-Made Surfboards fait du shortboard performance une affaire de famille

« Mon travail en tant que shapeur pour les planches de performance c’est l’écoute »

15/03/2024 par Maia Galot

shape Meremade surfboards Valerie Duprat
Valerie Duprat et sa fille, Victoria, dans la shaping room Mère-Made Surfboards.

Valérie Duprat shape sous le nom de Mère-Made Surfboards depuis plus de 10 ans. C’est en Californie qu’elle s’est lancée. La shapeuse revenait déjà sur ses débuts en interview dans le Surf Session Mademoiselle n°8 – Pionnières, été 2020. Cette année, la Française expatriée s’est lancée dans un nouveau challenge, celui de fournir à sa fille des shortboards performance adaptés à son parcours de surfeuse professionnelle. À 15 ans, Victoria Duprat fait en effet partie de la team Junior USA et participe au circuit QS et Pro Junior nord-américain. La jeune fille surfe deux fois par jour tout en suivant un parcours classique au lycée publique. Ce dernier point était important pour ses parents, qui souhaitent montrer l’exemple que l’on peut « avoir une éducation normale et aller à l’école publique tous les jours et quand même surfer à haut-niveau et performer dans les compétitions. »

Plongée dans une histoire de famille peu commune.

Surf Session – Salut Valérie, peux-tu nous parler de tes débuts dans le shape ?

Valérie Duprat – J’ai commencé à shaper il y a peut-être maintenant 12 ans, totalement pas hasard pour le fun. Ici c’est très accessible parce qu’il y a des magasins qui te vendent des blanks, tu peux en acheter et en faire dans ton jardin. Je m’y suis mise comme un hobby, une passion à moi. Ma première planche était un shortboard parce que je me suis dit que ce serait plus facile, qu’avec moins de volume j’aurais aussi moins de travail à faire. J’avais un peu raison à ce sujet, physiquement c’était plus facile.

Ma première planche était un thruster traditionnel qui était d’ailleurs une horreur (rires). Je l’avais faites pour mon fils de 8 ans qui surfait à peine. Je savais qu’il ne la surferait pas réellement et que ce ne serait pas réussi. Ma seconde planche je l’ai faites pour moi car je ne voulais pas que quelqu’un surfe des horreurs. J’ai fait un egg de 8 pieds, un fun shape pour essayer. Le shape était affreux aussi mais ça marchait du tonnerre. J’ai eu de supers vagues avec, je l’ai surfée très longtemps et même des gens à qui je l’ai prêtée qui étaient de bons surfeurs ont halluciné sur cette planche alors qu’elle était horrible.

Le surf a t-il toujours fait partie de ta vie ?

Non, c’est complètement venu de mon mari. J’ai grandi en banlieue parisienne donc l’océan pour moi c’était une semaine à Lacanau par an. Je n’avais aucune connaissance de la mer et je n’ai pas grandi à l’océan. Plus tard dans mon adolescence, je me suis tournée vers le snowboard. J’ai passé du temps à la montagne, j’ai fait de la compétition en slalom et j’étais accro à ça. Sauf que j’ai rencontré mon mari à Bordeaux, où je faisais ma thèse de biochimie, et lui ne pouvait pas vivre loin de l’océan. Il surfe depuis ses 14 ans. Avec les études j’avais prévu de partir aux Etats-Unis et donc j’ai postulé uniquement en Californie (San Francisco, Los Angeles, San Diego). On a tout de suite accroché avec San Diego et j’ai accepté le contrat dès qu’on me l’a proposé. C’est comme ça qu’on a déménagé, pour l’aventure américaine, et on s’est créé notre petite vie ici, maintenant avec nos deux enfants.

C’est ici que j’ai appris à surfer, avec un ami qui lui aussi cherchait à apprendre et progresser. J’ai ensuite connu mon partenaire de surf tandem, qui était un excellent surfeur avec qui j’ai pratiqué pendant plusieurs années. Il m’a appris les parties essentielles du surf que sont le positionnement et la lecture du line-up. On a fait de la compétition jusqu’aux championnats du monde à Waikiki.

C’est en revanche mon mari qui a appris à surfer aux enfants. Il voulait qu’ils soient de bons surfeurs et y a investi du temps. Pour mon fils, qui a un bon niveau, c’est une activité sociale et de partage, comme c’est le cas pour moi. Ma fille est davantage comme son père, elle est compétitive et à fond là-dedans. Il la coache et s’occupe pleinement d’elle. Aujourd’hui c’est elle qui m’apprend à surfer et grâce à qui je progresse.

Comment expliques-tu ton interêt pour le shape ?

Quand j’ai commencé, je n’étais pas intéressée par les formes ou autre. Ce qui m’intéressait c’est que la planche marche dans l’eau. J’ai dû apprendre, par nécessité, et m’intéresser aux différentes caractéristiques des planches. J’ai beaucoup étudié des planches du commerce, je le fais encore aujourd’hui. J’observe beaucoup le travail des autres. Je pense qu’au départ tout le monde fait ça, à part les pionniers qui ont commencé à shaper des planches. Avec l’historique que l’on a aujourd’hui, on a maturé des planches qui fonctionnent. Il y a des shapeurs qui au fil des générations ont développé et précisé les détails. Je n’essaie pas de réinventer quelque chose mais plutôt de m’inspirer et d’ingurgiter tout cet historique formidable pour me faire plaisir et en régurgiter ma vision personnelle.

Victoria Duprat Meremade
Victoria Duprat, free surf en France en août 2023.
Victoria Duprat shape Meremade surfboards
Victoria Duprat lors du Super Girl Surf Pro (QS 3000)

« Mon travail en tant que shapeur pour les planches de performance c’est l’écoute »

Mère-Made Surfboards

Tu t’es très vite tournée vers le shape de modèles shortboards, pourquoi ?

Je me suis mise à faire plutôt du shortboard par contrainte d’espace. Mon mari m’a construit une shaping room dans le jardin, qui fait 9 pieds. Donc si je dois shaper un longboard de 9 pieds, je dois shaper la porte ouverte, ce qui n’est pas très pratique la journée puisque j’ai besoin des lumières rasantes pour shaper.

C’était aussi par préférences personnelles. Même si j’ai commencé par le longboard, je me suis vite tournée vers les planches plus courtes. Mon mari, mon fils et ma fille surfent tous des shortboards donc déjà dans la famille on est très shortboard et je me suis naturellement spécialisée là-dedans. Quand je reçois une commande de longboard, j’essaie de la rediriger vers des collègues shapeuses. Je crois qu’il faut aimer ce qu’on shape, et surfer les choses qu’on shape pour intégrer les paramètres de performance qu’on veut y mettre.

Quelles sont les spécificités d’un shortboard performance ?

Les thrusters se ressemblent d’une planche à l’autre. Les différences sont donc minimes et pratiquement personnelles. À la différence du thruster d’un rack en shop, celui du compétiteur est adapté à 200% au surfeur. Chaque surfeur à ses demandes particulières et sa façon de surfer. Je l’ai constaté en travaillant avec de bons surfeurs. Travailler avec des gens qui savent exactement ce qu’ils veulent c’est très difficile mais ça fait énormément progresser car ils donnent des feedbacks que je n’aurais moi-même pas pu sentir sur une planche.

Mon travail en tant que shapeur pour les planches de performance c’est l’écoute. Entendre le feedback et ne pas me vexer s’il est négatif. Je demande toujours un retour honnête car ça m’aide beaucoup plus, même si c’est négatif. Pour les athlètes de haut-niveau tout se joue dans cette relation, travailler en continu, sur des cycles.

Tu shapes aujourd’hui pour ta fille, dirais-tu que cette relation shapeur-surfeur est facilitée par votre relation mère-fille ?

Elle est très honnête et n’hésite pas à me faire des retours. On travaille sur une planche à la fois et j’en fais beaucoup car c’est quand même une sacrée production. Je dirais que c’est plus facile car je la vois surfer en permanence, que j’ai le feedback de suite. C’est un luxe que les autres surfeurs de son âge n’ont pas forcément. Et ça reste sain car on se dit les choses et que les choses avancent.

En revanche à partir du moment où je l’accompagne sur les compétitions (et ça n’arrive pas toujours car cet environnement m’a toujours stressée), je suis uniquement dans mon rôle de maman, je ne pense plus aux planches. Et c’est déjà assez dur car il y a des hauts et des bas dans la compétition.

Qu’est-ce qui vous a poussées à vous lancer dans cette aventure ensemble ?

Elle n’a pas vraiment eu le choix ! Je shapais déjà à fond, je shapais pour mon mari qui faisait de la compétition, plus jeune je lui faisais ses boards avec des décos fun et puis quand elle s’est lancée c’était déjà en place. C’est une chance pour elle, certes elle est bloquée avec moi mais les autres surfeuses de sa catégorie et son niveau ont du mal à trouver des sponsors de planche, c’est l’une des choses les plus dures à trouver.

Elle a récemment été approché par une marque de planche très connue aux Etats-Unis. Je savais que ça allait arriver alors elle a le nom de quelques shapeurs : si eux lui proposent, elle doit accepter. Cette fois elle a refusé mais c’est bien pour son moral quand même, ça lui montre qu’elle a le niveau pour ça.

A-t-elle la capacité de te préciser ses besoins en termes de planches ?

Elle sait me dire ce qu’elle ressent mais c’est à moi de faire la traduction pour trouver ce qu’il y a à changer sur la planche. Aujourd’hui je n’ai pas son niveau de surf et donc je n’ai pas toujours les capacités d’interpréter, donc à nouveau mon mari entre en jeu car lui a le niveau permettant de traduire ce qu’elle dit et quel changement est nécessaire. En ce sens c’est vraiment une collaboration familiale car il traduit et moi j’applique. Il fait partie intégrante de cette relation de par son niveau de surf et du mien.

« Je suis une scientifique et je crois beaucoup aux choses qui arrivent par erreur »

Valérie Duprat
MereMade Surfboards Valerie Duprat shape
Valerie duprat victoria duprat shape Meremade surfboards
© Laurent Chantegros
Victoria Duprat shape Meremade surfboards
MereMade Surfboards Valerie Duprat shape

Cette traduction est-elle toujours la même ou est-ce qu’elle varie selon le surfeur ?

Je pense qu’en grande partie ce sont des règles de mécanique générale, qui s’appliquent à tous les surfeurs. La vérité c’est que 95% des surfeurs ne vont pas faire de différence de 1/16 sur le tail par exemple. Les compétiteurs de haut-niveau sont une audience particulière qui eux vont vraiment sentir cette nuance. Lorsque les règles générales du shape s’appliquent je peux ajuster les choses moi-même, ce sont sur les détails performances que j’ai besoin d’appui.

Quels ajustements avez-vous apporté sur ses planches cette année, après ses débuts en compétition ?

Avant elle avait une planche, qu’elle surfait dans toutes les conditions, maintenant on a adapté son quiver à toutes les possibilités. On est monté en step-up pour les grosses vagues et on est aussi descendu en taille. J’ai fait un groveler pour les plus petites vagues, quand il y a 50cm comme ça arrive en compétition QS.

C’est compliqué de performer dans ces vagues donc ce type de planche plus large avec plus de volume, un nose plus plein et moins de rocker (une planche plus plate) permet de prendre de la vitesse même dans du petit. Sur cette planche, je lui ai fait une asymétrie au tail pour justement accentuer la vitesse dans des vagues qui n’ont pas d’énergie. Elle adore cette planche donc je suis contente. On a adapté ses planches aux vagues, si c’est une vague creuse elle a une planche avec plus de rocker par exemple.

Les critères à son niveau ne changent pas, c’est toujours en priorité la vitesse, le flow et la variété.

La clé se trouve donc dans la variété du quiver ?

Je l’encourage toujours à essayer toutes sortes de planches, elle pourrait avoir un déclic ou trouver quelque chose qui lui plaise beaucoup plus que ce qu’elle a aujourd’hui. Je suis une scientifique et je crois beaucoup aux choses qui arrivent par erreur. En science beaucoup de découvertes se font par erreur et c’est valable dans tous les domaines, dont le shape.


Tags: