[best of] PU versus EPS : quel matériau choisir pour votre planche de surf ?

« Il n’y a pas une voie gravée dans le marbre, pas un surfeur mais des millions de surfeurs et donc des millions de planches possibles."

30/12/2023 par Ondine Wislez Pons

RT Surfboards
© RT Surfboards
Johnny Cabianca
© David Bertschinger Karg

Nous nous sommes rendus dans l’atelier de RT Surfboards pour en savoir plus sur les différentes alternatives possibles lors du choix des matériaux nécessaires à la construction de notre planche.

Le noyau d’une planche de surf est constitué de mousse, et s’il existe aujourd’hui d’autres alternatives, la plupart de ces pains sont en polyuréthane (PU) ou en polystyrène (EPS). Ils présentent des caractéristiques différentes mais tous deux sont renforcés par une latte de bois appelée stringer, que l’on vient fixer au milieu du pain de mousse, une fois celui-ci coupé en deux puis recollé. Vient ensuite l’étape de la stratification, visant à recouvrir le pain de mousse d’un mélange de fibre de verre et de résine. Une résine polyester est utilisée sur les pains en PU tandis qu’une résine époxy est appliquée sur les pains en EPS, pour la simple et bonne raison qu’ils ne supportent pas chimiquement la résine polyester.

Si l’utilisation des pains de mousse en PU date des années 1950, les planches en époxy ont fait leur apparition sur le marché il y a une trentaine d’années. Toutefois Alberto, dont l’esprit et les mains façonnent les planches estampillées RT Surfboards, expérimentait déjà la technique au début des années 1980 : « J’ai fait ma première planche en Italie en 1983. On est allé dans un entrepôt de matériaux pour bâtiment où l’on a acheté un morceau de polystyrène que l’on a ensuite stratifié avec de la résine époxy. » L’arrivée de l’époxy s’explique, entre autres, par un durcissement de la législation à propos du polyuréthane. « Une entreprise californienne qui faisait des planches en PU, leader du marché, a fermé boutique du jour au lendemain à cause de la législation qui devenait de plus en plus contraignante. Beaucoup de fabricants se sont rabattus sur le polystyrène, beaucoup plus facile d’accès et moins réglementé. » Le PU provient de l’importation et si aujourd’hui sa pénurie a été dépassée, le marché de l’époxy est toujours présent.

Alberto dresse un constat : « À peu près à chaque fois que l’on cherche à introduire une nouvelle technologie dans la fabrication des planches, il s’agit presque toujours de recréer la même sensation ressentie par les surfeurs avec les planches en PU, ce qui est le cas des planches en époxy. » Quels sont donc les intérêts de l’époxy, face au PU connu et maîtrisé, qui marche bien et a déjà fait ses preuves. Sont-ils d’ordre écologique ? Technique ? Economique ? C’est ce que nous allons tenter de décrypter.

L’époxy, plus écolo que le PU ?

Contrairement aux planches en PU, les planches époxy sont recyclables, mais dans les faits, elles ne sont pas forcément recyclées. Si indépendamment les uns des autres, certains matériaux sont recyclables, une fois combinés à d’autres ils ne le sont plus. Les efforts nécessaires pour ramener ces matériaux recyclables à leur état premier sont très couteux et il n’existe aujourd’hui aucune filière de recyclage de ces planches.

« Il y a une différence entre ce que l’on peut faire, ce qui vaut la peine d’être fait et ce que l’on fait vraiment. L’énergie nécessaire pour rendre ces matériaux à nouveau recyclables est telle, que cela n’a pas d’intérêt. Quand on est du métier et que l’on gratte un peu, on se rend compte de la puissance parfois hallucinante du discours marketing » explique Alberto. Sensible à la cause écologique, le shapeur voit les choses d’un autre œil : « On m’a souvent dit que nos planches marchaient partout dans le monde et dans toutes les conditions. D’un point de vue écologique, au-delà des matériaux, avoir une planche raisonnablement polyvalente évite au surfeur d’en avoir plusieurs qui soient adaptées à chaque type de vague. »

Les différences substantielles entre le PU et l’époxy

Si le processus de fabrication d’une planche en époxy est plus fastidieux que celui d’une planche en PU, la densité de leur mousse est elle aussi différente. « Le pain en PU pèse c’est environ 50 kg pour un mètre cube tandis qu’un mètre cube d’EPS pèse entre 15 et 30 kg » nous apprend le shapeur, avant de poursuivre « ce qui est intéressant avec l’EPS, c’est qu’il présente un large choix de densité, contrairement au PU. Mais il faut réfléchir et faire la différence entre ce qu’il est possible de faire et ce qu’il est utile de faire. Avoir des planches trop légères ne fonctionne pas toujours bien. »

Si la densité des deux matériaux n’est pas la même, leur poids final lui, est souvent assez identique. Les pains de mousse en EPS sont plus légers mais leur stratification est plus consistante : « le coeur est plus léger mais la coque est plus lourde » explique Alberto. À l’inverse, les pains de mousse en PU sont plus denses mais la fibre et la résine qui l’enveloppent sont moindres. Cela donne lieu à des masses différentes et la flottaison des planches n’est pas la même. L’EPS offre plus de flottaison, mais cela n’est pas toujours utile : « On peut donc potentiellement faire des planches plus légères en EPS, mais parfois au détriment de la fonctionnalité de la planche. C’est très alléchant de tenir une planche très légère entre ses mains, mais une fois à l’eau c’est souvent moins le cas. Depuis plusieurs années, on fait des planches en EPS volontairement plus lourdes, même pour nos meilleurs team riders, parce qu’on s’est rendu compte qu’elles marchaient mieux. »

RT Surfboards
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Johnny Cabianca
© David Bertschinger Karg
Johnny Cabianca
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La résine époxy, plus coûteuse et moins facile d’utilisation

Dans la mesure où des restrictions environnementales empêchent l’utilisation de certains composants de la fabrication des pains de mousse polyuréthane en Europe, ceux-ci sont majoritairement produits hors du continent européen. Qu’ils soient fabriqués aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Australie ou encore en Afrique du Sud, ces pains PU sont importés par des grossistes qui en assurent la distribution auprès de l’immense majorité des artisans shapeurs locaux. Les pains EPS eux, sont généralement importés d’Australie, des Etats-Unis, mais sont également produits, pour une partie d’entre eux, en Europe. En termes de volume, le ratio est très majoritairement en faveur du PU, qui représente plus de 85% de la fabrication « sur-mesure » réalisée par les fabricants de planches de surf. Quoiqu’il en soit ces produits, PU et EPS, sont aujourd’hui facilement accessibles à tous, que ce soit pour les professionnels et les amateurs.  « D’un point de vue économique, le coût de la mousse PU et de la mousse EPS est sensiblement identique. Lorsqu’un pain de mousse polyuréthane arrive en France, sa forme est relativement proche de celle d’une planche finie. Il est fait dans un moule et coupé en deux avant d’être rassemblé autour d’une latte de bois. Le pain de mousse en EPS peut arriver présenté de la même manière ou alors, le fabricant de planches peut choisir de commander de gros cubes de polystyrène qu’il découpera et assemblera ensuite, le coût est moindre, mais cela implique une contrainte temporelle assez conséquente. L’un dans l’autre, ce n’est pas forcément intéressant » nous apprend Alberto.

En revanche, la résine époxy est nettement plus chère que la résine polyester. « Elle est 4 à 6 fois plus chère et son utilisation est plus longue et fastidieuse » poursuit le shapeur. À ce prix supérieur s’ajoute une utilisation plus longue et plus compliquée : « Quand on a la technique et que l’on possède un minimum d’expérience, l’utilisation de la résine polyester est plutôt simple. Elle sèche assez vite et offre des plages d’utilisation larges et faciles à contrôler. Qu’il fasse 15 ou 30 degrés, la résine se comporte toujours à peu près pareil. La résine époxy elle, est plus délicate et souffre des changements de température. Elle est beaucoup plus lente à sécher et plus difficile à travailler. » Pour toutes ces raisons, les planches en époxy sont plus chères à l’achat. C’est pour cela, mais également pour leur plus grande polyvalence que le shapeur oriente souvent ses clients vers des planches en PU, surtout lorsqu’il s’agit d’une planche de tous les jours.

Les tendances actuelles : quelle planche pour quelles vagues ?

« Pour des raisons que je ne connais pas mais qui existent forcément, le plus gros fabricant du monde de pains de mousse, qui se trouve en Thaïlande, a tendance à favoriser l’époxy » nous apprend Alberto. Et dans la mesure où ce fabricant fournit environ 80% des gros labels internationaux, on en trouve de plus en plus sur le marché. Toutefois, le niveau du surfeur influence son utilisation. Dans le surf de haut niveau, très peu de surfeurs du World Tour surfent des planches en époxy. C’est un sujet que nous avons abordé avec Johnny Cabianca, le shapeur d’origine brésilienne installé à Zarautz : « Les gars du CT ne surfent quasiment pas de planches en époxy dans la mesure où ils surfent des vagues plutôt grosses et puissantes dans de bonnes conditions. Par contre pour ceux qui évoluent sur le QS ou les Juniors, l’époxy peut être une bonne solution parce que sur ce genre de compétitions, les vagues sont souvent courtes et petites. »

Il existe un consensus sur le fait que les planches en époxy, plus légères et offrant plus de flottabilité, ont un plus grand intérêt technique dans les petites vagues. Les modèles en époxy destinés aux petites vagues prennent donc tout leur sens. « Pour rendre une planche en PU aussi légère et performante dans les petites vagues qu’une planche en époxy, il faut qu’elle soit stratifiée très légère, ce qui lui fait perdre en durabilité » explique Alberto. Mais pour ce qui est des planches de tous les jours, le shapeur juge qu’elles ont moins d’intérêt à être en époxy.

À l’inverse, il est beaucoup plus intéressant de surfer une planche en PU, plus lourde et plus souple, dans des vagues plus grosses. Alberto nous explique pourquoi il est difficile d’allier lourdeur et souplesse avec l’époxy : « Si l’on veut faire une planche souple en époxy, il faut mettre peu de résine, elle sera donc très légère. Et si l’on souhaite la rendre plus lourde il faut ajouter de la fibre et de la résine, ce qui la rendra très rigide. Tandis qu’avec le PU on peut plus facilement faire des planches plus lourdes sans qu’elles deviennent trop rigides. Ce qui fonctionne beaucoup mieux dans les grosses vagues. » Nous avons évoqué avec le shapeur de RT Surfboards, le cas de l’un de leurs team riders, Gatien Delahaye, pour qui l’époxy se justifie dans certaines conditions : « Il est très grand. Quand les vagues ont suffisamment de taille, il surfe des planches en PU. Mais dans les petites vagues, s’il surfe des planches en PU adaptées à sa taille, elles seront trop grandes. Pour être plus compétitif, il se force à surfer les planches les plus petites possible. L’époxy, du fait de sa flottaison, nous permet de lui faire des planches plus petites adaptées à son gabarit. » Voici un exemple d’utilisation des deux types de matériaux à bon escient pour résoudre les problèmes d’un surfeur et lui permettre de mieux surfer.

Quid de la solidité ?

La légèreté des pains de mousse en EPS permet de créer des planches plus stratifiées donc plus solides, qui conserveront tout de même un poids intéressant. Elles sont donc présentées comme plus résistantes que les planches en PU. Mais en cas de choc, les choses peuvent se révéler plus complexes. Si la mousse en PU, constituée de cellules fermées, entre en contact avec l’eau suite à un choc, elle ne rentrera pas en contact avec elle : « Si tu pars en surf trip et que tu surfes pendant 10 jours une planche abîmée, cela ne pose pas de réel problème » explique Alberto. La mousse EPS, quant à elle, est faite de cellules ouvertes contenant de l’air. C’est pourquoi elle est plus légère, mais si une voie d’eau apparaît sur la planche, elle s’y engouffrera. Les planches en époxy obligent donc leur utilisateur à être plus soigneux et attentif à son matériel. « Les clients arrivent souvent avec l’envie d’une planche en époxy car ils désirent une planche plus solide. On peut effectivement stratifier davantage un pain de mousse en EPS, mais ce n’est pas très intéressant.

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Certes la planche est plus solide mais on n’apporte rien au produit et on lui enlève ses qualités. La plupart du temps, les clients ne favorisent pas les planches en époxy pour leur légèreté et leur dynamisme dans les petites conditions, mais pour une plus grande solidité » constate Alberto. Une solidité qui peut vite se discuter dans la mesure où les planches en époxy prennent l’eau rapidement en cas de choc et sont plus dures à réparer. Comme leur fabrication, les réparations peuvent être couteuses. « Le PU est moins rigide et s’enfonce davantage mais s’il s’abîme, il est plus facilement réparable. On peut réparer l’époxy, mais le surfeur doit être soigneux et agir rapidement » poursuit le shapeur. Les raisons qui le poussent à orienter ses clients vers tel ou tel matériau sont multiples, mais dans la mesure où les planches en PU présentent une plus grande facilité de gestion et qu’elle souffrent moins d’un manque d’attention, le shapeur nous confie qu’il a tendance à le conseiller à ses clients : « Pour un surfeur moins technique, qui fait une première expérience sur une planche plus courte, même si avoir une planche qui flotte davantage pourrait être un atout, une planche plus chère et plus difficile à entretenir peu s’avérer moins intéressante. On s’adapte en fonction du profil du surfeur » nous dit-il. Plus chère, la résine époxy peut également être dissuasive lorsqu’un surfeur souhaite s’orienter vers une planche plus grande.

Il n’existe pas une mais bien plusieurs vérités, en fonction du surfeur, de son histoire, de son niveau et de son gabarit. « Ce qui est d’ailleurs très intéressant dans ce milieu, c’est qu’il n’y a pas une voie gravée dans le marbre, pas un surfeur mais des millions de surfeurs et donc des millions de planches possibles, sans compter qu’il y a des vagues très différentes. C’est sans fin et c’est ce qui rend ce métier passionnant » conclut Alberto, qui ne prétend pas détenir la vérité absolue, mais qui cherche sans cesse à tirer des enseignements de ses longues années d’expérience et qui n’arrête jamais d’apprendre grâce aux feedbacks de ses team riders et de ses clients.


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