« Dans la prochaine décennie, je pense que le surf européen dominera le World Tour. »

Barton Lynch, un oeil sur l'avenir du surf mondial avec le Blast Off : interview en profondeur.

23/01/2024 par Maia Galot

Barton Lynch est champion du monde de surf 1988. Après 15 années sur le tour ASP et pas moins de 17 victoires de CT, l’Australien s’est éloigné de la compétition, mais pas du surf. En 2006, il crée le Barton Lynch Blast Off, une compétition à part pour les jeunes de moins de 14 ans. Le format se révèle être innovant, porté sur le coaching et la volonté de bénéficier aux plus jeunes. Alors que le Blast Off Video Challenge 2023 vient juste de se terminer, nous avons échangé avec le surfeur sur sa perception de la nouvelle génération et de l’avenir du surf mondial.

Le Blast Off a plus de 15 ans ! Y a t-il eu des évolutions notables au fil des années ?

Tout arrive plus tôt, plus jeune et pour sûr dans la qualité du surf. Je pense par exemple à Alessandro Dotti qui vient juste d’avoir 6 ans, il a remporté cette catégorie et il surfe comme un adulte ! John John Florence ou Kelly Slater n’étaient pas aussi bon à cet âge, peut-être même qu’ils ne surfaient pas encore, moi je ne surfais pas. Tout rajeunit et la qualité des surfeurs est meilleure et plus jeune chaque année. Et que dire des vidéos des jeunes de 14 ans… Quand on regarde le jeune Dylan Wilcoxen qui a remporté la catégorie U14, il est très bon, proche d’un niveau de World Tour, à juste 14 ans.

Les choses ont aussi particulièrement évoluées dans le surf féminin, on a vu une hausse du niveau et des groms de plus en plus jeunes. Ce qu’elles font est dingue, il y a eu une grosse amélioration chez les filles. Il y a aussi de plus en plus de participantes, les premières vidéos que l’on a reçues cette année étaient des filles, il y a définitivement une volonté d’être impliquées et engagées dans tout ça. Je suppose qu’il y a 20 ans, c’était plus intimidant.

Comment expliques-tu ces évolutions ?

Au fil des années la culture s’est adoucie, elle est plus dans l’acceptation, plus large et ouverte d’esprit. C’était un environnement superficiel et étriqué dans les années 80 et Midget (Bernard « Midget » Farrelly, premier champion du monde de l’Histoire en 1964 qui nous a quitté en 2016, ndlr) m’a dit que les années 70 était la période la plus superficielle dans laquelle il ait jamais vu le surf. Il n’y avait pas de longboard, seul le shortboard comptait et tout ce qu’il y avait autour était « naze ». Maintenant on vit dans un temps où tout est cool, peu importe ce que tu surfes, il y a un jour pour tout, pour chaque planche, du foil au SUP au longboard et au tow. Certaines disciplines que l’on a pas vues venir ! Il y a eu beaucoup d’évolutions, de changement, de croissance et de diversité, ça a été super d’en être spectateur.

À cet âge, observe t-on des différences de style selon les pays d’origine ?

À l’époque où j’étais jeune, avant les vidéos, les films de surf sortaient une fois tous les 6 mois donc on ne voyait surfer que les surfeurs de sa plage, ce n’était pas tous les jours en ligne. De ce fait on a pu observer que les premiers européens, les premiers brésiliens ou les premiers sud-africains avaient des styles individuels très prononcés, et c’était le cas partout. Il y avait beaucoup d’individualité car on ne pouvait être inspiré que par le local hero de son spot, il n’y avait de contexte international ou de connexion.

L’arrivée de la vidéo et le fait de pouvoir regarder du surf a été une révolution et l’un des plus gros changements dans le surf. Les styles ont commencé à paraître similaires et aujourd’hui d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, les styles des surfeurs se ressemblent. Les kids des Mentawais au Maroc en passant la France (je pense à Tom Degert qui est passé par le Blast Off), les styles se sont uniformisés et l’individualité et la personnalité s’est dissoute au fil du temps. Là où on voyait des différences, ce n’est plus réellement le cas.

Dans cette dynamique, comment vois-tu la suite, les années à venir ?

Ce qu’il y a de bien dans le surf, c’est sa pluralité. Si ce n’était que du surf de compétition ce serait ennuyant, mais le fait que le surf soit si étendu et qu’il y ait tant de disciplines différentes c’est très excitant. 

J’ai vu des changements générationnels en surf : les 60’s c’était la Californie, Malibu, Miki Dora, Phil Edwards… puis les 70’s c’était Hawaii, Barry Kanaiaupuni, Eddie Aikau, Reno Abellira, Gerry Lopez… Dans les 80’s c’était l’Australie : Mark Richards, Tom Carroll, Mark Occhilupo puis dans les 90’s il y a eu Kelly Slater, Rob Machado, Shane Dorian, la momentum generation. Puis c’est passé au Brésil, avec la brazilian storm et ils ont eu leur temps.

La prochaine que je prédis c’est l’Europe ! Quand on voit les Espagnols, les jeunes des îles Canaries, les Basques Odriozola… ils déchirent. Je vois venir le temps des européens, la jeune génération d’européens suivra bientôt Joan Duru, Jeremy Florès et Michel Bourez, et sans parler de la meilleure de tous : Justine Dupont, la surfeuse la plus incroyable que j’ai jamais vue. Le temps de l’Europe viendra. Dans la prochaine décennie, je pense que le surf européen dominera le World Tour. Je vois les groms qui arrivent et ils sont incroyables.

Il y a aussi dans ce format, toute une notion de reconnaissance…

Bien sûr. Quand j’étais enfant, je me souviens que quand les premiers sponsors m’ont approché ou même quand un local me faisait un compliment sur mon surf, c’était important ! À l’époque en Australie ce n’était pas facile, personne n’était dans le soutien, personne ne m’a dit que j’allais réussir, ils se moquaient etc. Je n’ai pas grandi dans un monde plein de soutien, j’ai grandi dans un monde où on voulait te descendre, un monde qui préférait que tu échoues plutôt que l’inverse. Donc pour moi quand les gens me soutenaient et montraient qu’ils croyaient en moi, ça représentait beaucoup et je fais ça aujourd’hui pour soutenir les jeunes. Je me rappelle de ce que ça fait d’avoir quelqu’un qui t’apporte son soutien.

Une fois en particulier qui t’a marquée ?

Oui et j’aime raconter cette histoire. Quand j’étais jeune je séchais les cours pour aller à la plage, j’étais un pro de ça. Un jour, j’allais au Coca-Cola Surfabout à Narrabeen. J’étais donc au bord de la route à faire du stop dans mon uniforme d’école. Mon héros d’alors était Terry Richardson, l’un des meilleurs goofy du monde à l’époque. Un break bleu s’arrête, la vitre se baisse et assis au volant il y avait Terry Richardson : il m’a regardé et m’a dit « tu vas où gamin ? » et donc je lui ai répondu « je viens te voir !« . Il m’a fait monter à l’arrière, j’étais allongé au milieu de toutes ses planches. J’ai été à la compétition avec lui, j’ai passé la journée avec mon héros à le regarder surfer et puis il m’a ramené dans l’autre sens. C’est l’une des journées que je n’oublierai jamais, c’était un rêve d’enfant. Par la suite, Terry est devenu une figure paternelle pour moi et il a toujours été là tout au long de ma vie. Quand j’ai commencé à faire le Tour on a voyagé ensemble, il était comme le père que je n’avais pas eu.

Ces moments changent le cours d’une vie et donnent de l’espoir : c’est ce que je ressens quand je coache les vidéos. Je vois les réponses des jeunes, ils sont contents et ravis d’entendre ce que je dis de positif sur leur surf et c’est pour ça que je le fais, pas pour l’argent.

Tu es donc amené à rencontrer ces jeunes au début de leur parcours ?

Effectivement. Quand on regarde le Tour aujourd’hui, on retrouve Jackson Baker, Molly Picklum, Macy Callaghan… tous les jeunes australiens sur le Tour sont passés par Blast Off. Tyler Wright a remporté l’édition moins de 14 ans à son époque, son frère Mikey Wright les moins de 10 ans. Midget et Layne Beachley ou encore Tom Carroll ont été présents pour donner les awards, l’événement permet ainsi de mixer les champions et les enfants pour créer cette connexion.

Cette année j’ai été aux ISA world juniors championship au Brésil et j’ai vu beaucoup de participants là-bas, venus de partout dans le monde ! En tant qu’ancien champion du monde, j’ai cette connexion avec le futur et dans beaucoup de cas cela arrive avant qu’ils soient sponsorisés, connus, c’est l’un des premiers endroits où l’on reconnait leur talent. Nous connectons avec ces jeunes avant que qui que ce soit ne les connaisse, nous trouvons les champions de demain quand ils ont 6 ans et n’ont pas encore été exposés à l’industrie du surf. C’est une super relation que j’ai développée avec le futur du surf.

Barton Lynch
Barton Lynch et son père, Bob
Barton Lynch

Peux-tu nous raconter la genèse du Barton Lynch Blast Off ?

Ça a commencé il y a 18 ans, en 2006. J’ai pensé que cette façon de faire les compétitions pour les enfants n’était pas la bonne. Tout ce qu’ils avaient c’était des chiffres, des scores. J’ai moi-même été autour de ces chiffres toute ma vie et pourtant je ne les comprends toujours pas ! Donc faire ça aux jeunes et les introduire de cette façon à la compétition où tout ce qu’ils ont c’est des nombres que les parents cherchent à comprendre pour pouvoir donner aux jeunes des conseils… J’ai eu cette idée de créer un événement où ils ne sont pas jugés.

J’ai créé cette compétition en hommage à mon père qui est décédé quand j’avais 10 ans. L’année avant son décès en 1974, il a lancé une course de nage en eaux libres à Sydney, où ils nageaient de Palm Beach à Whale Beach et c’était la première course de ce type en Australie. Cette course existe encore aujourd’hui et des milliers de personnes y nagent chaque année. C’est devenu une collecte de fond pour le Whale beach surf club, la plage où j’ai grandi à Sydney. Le club a été fondé, existe et survit grâce à cette course que mon père a créée l’année avant son décès. J’ai vu l’atout communautaire que mon père a été en mesure de construire et le fait que cela perdurait presque 50 ans après et j’ai voulu à mon tour créer quelque chose de nature similaire mais dans ce que moi j’aimais, le surf. J’ai été inspiré par la contribution de mon père et ce qu’il a laissé derrière lui puis j’ai eu cette idée d’introduire les enfants à la compétition de surf de façon plus amicale.

Dans les faits, comment est-ce que cela fonctionne ?

Dans la version physique de l’événement, les jeunes se mettent à l’eau et ils surfent puis sont coachés dans ce heat. Cela durait sur 4 jours et on ne jugeait pas une seule vague pendant 3 jours. Ils surfaient et recevaient à la sortie de l’eau des notes qui leurs étaient expliquées par un coach dans une zone de meeting, avec un expert qui leur expliquait ce qu’ils faisaient bien ou non. Tout le monde surfait 3 fois avant toute élimination, leur permettant de s’améliorer entre chaque journée, c’était plus un programme de coaching qu’une compétition de surf. Après ces 3 rounds, on réunissait le top 12 de chaque division pour faire des demi-finales et des finales et seuls ces heats étaient jugés comme une compétition classiques avec des points et des éliminations.

Les 3 premières journées étaient ainsi ouvertes à tous types de surfeurs, des enfants de n’importe quel niveau, les meilleurs jeunes d’Australie face à des enfants qui étaient dans leur tout premier event. Comme ils avaient tous la même attention, cela importait peu et ils faisaient partie de l’évènement.

Pourquoi proposer aujourd’hui le format en digital ?

C’est devenu très populaire, le plus gros festival de surf familial d’Australie, 330 enfants le faisaient chaque année, pendant 15 ans et jusqu’à ce que la COVID arrive. Quand la COVID est arrivée, il a fallu ou annuler l’événement ou se repositionner, on a donc choisi de lancer ce qui est aujourd’hui le Blast Off Video Challenge . Ce qui était important pour moi c’est de garder l’aspect coaching plutôt que le fait de gagner la compétition, c’est le principe même de l’évènement. En ligne on a donc maintenu le coaching, les enfants envoient leur vidéo, on les coache, ils vont travailler sur ce coaching et envoient une nouvelle vidéo qui permet de voir leur travail et leurs progrès. Chaque jour pendant 2 mois nous délivrons des prix : cette année nous avons envoyés 85 packs aux jeunes venus de nos sponsors. Puis à la fin des 6 semaines de coaching, nous choisissons les vainqueurs de chaque catégorie.

Nous essayons ainsi d’imiter l’événement physique en ligne. Je pense que ça fonctionne et on retrouve à la fois les meilleurs du monde et ceux qui commencent juste, des enfants de 3 ans ont envoyé des vidéos ! Les gens ont compris que c’était pour tout le monde et qu’il s’agissait de construire une communauté. J’ai senti que c’était encore plus important dans un temps où nous étions de plus en plus divisés, de réunir les gens et de permettre aux jeunes de connecter à l’international. Je le vois dans les commentaires, un enfant d’Hawaii peut commenter la vidéo d’un enfant d’Australie et parler de surfer ensemble un jour, l’inviter à découvrir son chez-lui et sa culture…

Pourquoi en rester aux moins de 14 ans ?

Nous avons choisi de rester dans ces tranches d’âge ans car 14 ans est un tournant décisif. Avant ça, les enfants sont encore ravis d’avoir ne serait-ce que des stickers (rires) Ils ont encore l’esprit de la jeunesse, qui se perd en grandissant : en devenant adolescent l’attitude entre en jeu et donc pour moi c’est la fin de l’âge innocent. On a pensé à élargir les divisions, mais l’esprit n’aurait plus été le même, il en faut plus pour les impressionner, même si même des adultes aimeraient avoir un tel format ! Mais je préfère garder les choses à ce stade. Les événements comme King of the Groms ou le Gromsearch allaient et vont jusqu’aux moins de 16 ans donc ce terrain est couvert, nous nous occupons des plus jeunes.


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