Maroc : le surf-tourisme toujours au cœur des discussions

Des ondes sublimes déferlent au Maroc depuis toujours et continueront pour un moment encore, mais dans quel contexte ?

05/05/2023 par Rédaction Surf Session

taghazout surf expo maroc
© Bastien Labelle
taghazout maroc
© Bastien Labelle

Des ondes sublimes déferlent au Maroc depuis toujours et continueront pour un moment encore, mais dans quel contexte ? Après deux années off, line-ups et hôtels ont finalement retrouvé leur fréquentation habituelle, une bouffée d’air frais pour l’économie du pays qui peut bel et bien compter sur ses 3500 km de côte. Et pour cause, tourisme et surf forment une jolie manne économique, mais au profit et au détriment de qui ? Les effets sur les villages, les populations et les cultures locales sont sans précédent en Afrique (excepté en Afrique du Sud, dans un contexte tout à fait différent). Puisque le surf y est pour quelque chose, de nombreux acteurs semblent résolus à prendre en main la situation. Illustration parfaite avec la première édition de la Taghazout Surf Expo en octobre dernier, regroupant acteurs du surf, scientifiques, politiques et experts en tourisme. Un évènement d’ores et déjà considéré comme déterminant pour l’avenir du surf au paradis des droites, qui prépare en ce moment même sa prochaine édition.

Surf, tourisme et pollution, notions indissociables ?

C’est une histoire qui dure depuis un moment maintenant. Dans les années 60, surfeurs américains et européens fréquentent déjà les spots marocains. D’abord au Nord vers Mehdia, puis plus au Sud avec des spots comme Safi ou Taghazout. La suite, on la connaît : climat favorable, qualité des vagues et bouche-à-oreille agissent comme un terreau fertile et le Maroc se voit adoubé comme nouvelle destination phare du surf dans les années 80-90. Le tourisme du surf ne cesse de s’y développer depuis, mais on ne parle pas pour autant de structuration réelle. Christophe Guibert, sociologue et maître de conférences à l’Université d’Angers, se penche depuis une vingtaine d’années sur la culture surf marocaine et nous explique : « Tout se fait de manière un peu anarchique et informelle. Les élus locaux étaient jusqu’ici complètement distants, désintéressés, ils n’y trouvaient aucun intérêt. Il y avait même des confusions entre les différents sports nautiques, mais on constate aujourd’hui une réelle prise de conscience. Et maintenant qu’ils sont à l’écoute, on passe à une tout autre échelle : investissement, structuration et aménagement du territoire, rentabilité économique…  Les politiques utilisent le surf comme véritable levier de valorisation territoriale. » Un changement de position radical qui relègue souvent l’écologie au second plan, laissant présager un sérieux doute sur la qualité des spots du pays et l’état des villages.

À quoi doit-on s’attendre pour les années à venir ?  La question est posée par les locaux et touristes sensibles au sujet. À juste titre, quand on s’arrête sur la fréquentation délirante des spots du petit village d’Imsouane, ou si l’on regarde la Taghazout Bay, aussi appelé « ghetto pour riches » à quelques encablures seulement du célèbre village. Plantée sur le littoral et entourée de montagnes désertiques, cette station surréaliste aux portes de Taghazout est composée d’une succession d’appart’hôtels luxueux et autres établissements cinq étoiles : Radisson Blu, Riu Palace, Hyatt, Hilton, Fairmont,  Marriott, le tout articulé autour d’un immense golf plus green que green sur fond de montagnes désertiques. Mesurant près de six fois la taille du village d’où elle tire son nom, Taghazout Bay vient changer radicalement l’ambiance, quitte à laisser sans voix l’immense majorité des touristes arrivant d’Agadir. Voilà qui n’augure rien de bon pour le mythique spot voisin d’Anchor Point, où 32 hectares de constructions sont planifiés dans les années à venir. « Entre ces hôtels de luxe, le village de Taghazout et les travaux qui vont avoir lieu à Anchor Point, on a une impression de fonctionnement à plusieurs vitesses », reprend Christophe Guibert. « Au milieu, le petit village isolé de Taghazout qui résiste tant bien que mal à l’envahisseur et qui n’est absolument pas pris en compte dans l’aménagement du territoire. Bilan, les retombées économiques ne lui profitent que de manière très limitée, comparé aux profits réalisés ou escomptés sur les autres investissements. Idem pour l’emploi qui bénéficie finalement assez peu aux habitants de Taghazout, mais plutôt aux Marocains venant d’autres régions. » 

La culture marocaine en danger ?

Au Maroc comme partout dans le monde, le tourisme engrange à tous les niveaux un changement permanent dans lequel le meilleur se mélange au pire : amélioration de la qualité des infrastructures, pollution, élévation du niveau de vie, clivage de la population, stabilité économique, exploitation des richesses naturelles, ouverture sur le monde, perte de traditions. La liste est sans fin. Le parallèle avec la démesure qui secoue Bali est tout trouvé et il ne manque pas d’être régulièrement évoqué. La Fédération Royale Marocaine de Surf (FRSM) se veut toutefois rassurante, s’appuyant notamment sur les traditions et les piliers de l’Islam, ciment d’une société marocaine en pleine mutation, comme l’explique Mohamed Khilaji, porte-parole de l’organisation : « Bali est une île, pas le Maroc qui est un territoire bien plus vaste et les traditions sont plus compliquées à mettre de côté.  Il y a aussi la famille et la religion qui tiennent une place importante au quotidien. Les appels de la mosquée par exemple, qui seront toujours là pour rappeler les fondements des traditions marocaines. » 

Christophe Guibert confirme. Le rapport du tourisme à la culture marocaine pourrait selon lui faire l’objet d’un livre tant le sujet est vaste et tentaculaire : « Il faut savoir que le Sud n’est pas le Nord et que l’Est n’est pas l’Ouest », explique le chercheur. « Le Maroc est composite et conserve plusieurs dimensions culturelles, même s’il y a beaucoup d’hybridation, comme avec la forte présence de surfeurs à Taghazout par exemple. Les langues parlées, les manières d’être, les corps sont très différents, ne serait-ce que dans les villages à quelques kilomètres dans les terres, et il y a sans arrêt des échanges. Le regard occidental veut qu’il faille préserver la culture locale, mais à ce moment-là, quel marqueur temporel choisir ? Il y a trente ans, aujourd’hui, dans dix ans ? Dans les modes de vie traditionnels et ancestraux, les maisons sont en torchis, il n’y a pas d’électricité ni d’eau courante. Est-ce une bonne chose aujourd’hui ? La question se pose et je n’ai pas la réponse. Il faut simplement se dire que la société marocaine est comme toutes les sociétés : elle bouge, et le surf contribue à la rendre plurielle. »

Le surf marocain en structuration

Sur le papier, le paradis des droites semble tout à fait en mesure de garder son titre malgré les récentes évolutions. Un gros travail attend toutefois les différents acteurs du tourisme et du surf, dont la FRSM, qui vise aujourd’hui à renforcer les bases du surf dans tout le pays. Les premiers chantiers ont déjà commencé : mise à disposition d’infrastructures, formation des professionnels du secteur, respect de la parité au sein des clubs. « Nous avons les vagues, mais pas l’industrie, les shapeurs ou les clubs. Pour favoriser leur développement, la fédération a construit 22 clubs amovibles en bois qui permettent d’accueillir dignement les locaux et touristes. Il y a aussi un accompagnement des associations de prévu. Cela ne se voit peut-être pas encore, mais c’est un long travail de fond qui va remonter progressivement le niveau dans tout le pays, car toute la côte est concernée, de Tanger à Dakhla » reprend Mohamed Khilaji. Un chantier titanesque, auquel il faut ajouter les nombreux autres sujets de société, comme l’accessibilité du surf aux jeunes filles et femmes du pays : « Nous avons entre 1400 et 1500 licenciés. 91% sont des hommes et seulement 9% sont des femmes. Ce n’est pas normal, c’est un point sur lequel nous travaillons. L’insertion est également un gros sujet pour les personnes qui voudraient travailler dans le surf sans avoir fait d’études. » Au Maroc, la prise de conscience vis-à-vis du surf est aujourd’hui totale, ne reste plus qu’à créer une synergie entre les différents acteurs.

taghazout surf expo
© Bastien Labelle
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Taghazout surf expo
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Lilias Tebbai Maroc
Lilias Tebbai © Bastien Labelle

« Le surf peut offrir un avenir », telle est la conviction à l’origine de la création de la Taghazout Surf Expo, salon professionnel dédié au surf et inédit en Afrique. Le rendez-vous était donné du 27 au 30 octobre 2022 dans la baie de Taghazout sur l’immense parking d’Anchor Point. Sorti de nulle part : un village éphémère de 4000m²  où étaient rassemblés les principaux acteurs du surf, du tourisme, ainsi qu’un comité de chercheurs spécialistes des sciences sociales. « Si on veut développer, il faut le faire en protégeant l’acquis », explique Saïd Bella, co-fondateur de l’évènement. « Ce qui fait peur à la population locale, c’est que nos spots perdent de leur charme. Pour cela, nous avons organisé une table ronde avec des politiques, professionnels du tourisme, acteurs du surf, aborder le sujet de la préservation ici est déjà un grand pas. L’année prochaine, pour la deuxième édition, il y aura en plus du pôle scientifique, un comité dédié à la protection de l’environnement. S’il ressort avec des recommandations, elles seront mises sur la table, même s’il y a des sujets qui fâchent. Nous sommes pour le développement du surf et pour la protection du littoral au Maroc, mais aussi partout en Afrique. La Taghazout Surf Expo doit devenir une référence sur les questions du surf et du tourisme. » 

Si le littoral marocain connaît déjà une profonde transformation, les dés ne sont pas tous jetés aux alentours des spots historiques. Non seulement parce qu’il reste des milliers de kilomètres de côte à préserver et à organiser, mais également grâce au travail de figures engagées sur tous les sujets et à tous les niveaux. Nous pouvons évoquer ici les associations et clubs de surf dédiés à la jeunesse du pays, mais aussi les étoiles montantes du surf marocain comme Ranya Squalli, Lilias Tebbai et bien d’autres surfeuses décidées à se faire entendre pour promouvoir la mixité au pic. La Princesse Lalla Hasnaa, présidente de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’Environnement, est également de la partie avec la mise en place du concours Plages propres, un exercice à grande échelle, mené chaque année dans tout le pays pour sensibiliser à l’écologie. Aujourd’hui même, des messages importants sont portés d’un bout à l’autre du pays, plaçant le Maroc comme référence pour le développement du surf en Afrique. Plutôt rassurant donc, mais les touristes européens ont un immense rôle à jouer. Celui de soutenir le pays et la population dans ses actions, en respectant et préservant les traditions, les populations et bien sûr le littoral. Au Maroc comme dans tous les pays, tout est une question d’adaptabilité, de bon sens et de bienveillance. Le message est passé.

Article par Mathieu Maugret.

Image à la une © Bastien Labelle.


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