Le gilet gonflable,
par Peyo Lizarazu et Pierre Rollet

"Sans lui, je n'ose même pas imaginer la profondeur à laquelle j'aurais été."

12/04/2023 par Ondine Wislez Pons

Pierre Rollet équipé d'un gilet gonflable.
© Greg Rabejac
Peyo Lizarazu équipé du gilet gonflable Quiksilver
© Olivier Madar
Pierre Rollet s'équipe du gilet gonflable
© Greg Rabejac

Comment marche-t-il ?

Il existe plusieurs marques et différents types de gilets, mais tous fonctionnent à peu près sur le même principe. Ils sont équipés de cartouches de Co2 allant de 25g à 38g, elles-mêmes reliées à une vessie, que le surfeur peut gonfler à tout moment. « Ce système est semblable aux gilets utilisés dans les avions et dont les hôtesses et les stewarts font la démonstration. La seule différence, c’est que celui que l’on utilise dans l’eau peut être gonflé et dégonflé plusieurs fois » nous explique Peyo Lizarazu, surfeur de gros. Il fait partie des pionniers de Belharra et a conçu le gilet gonflable pour Quiksilver. Ils sont dotés de deux ou quatre cartouches : « cela dépend du nombre de chances que tu veux te donner » déclare le surfeur de grosses vagues Pierre Rollet, non sans humour « certains surfeurs le portent sous leur combinaison, d’autres part dessus. » Le gilet que Peyo a désigné peut également se gonfler à la bouche : « cette pipette peut être utile entre deux vagues, si le surfeur a besoin de davantage de flottabilité, sans utiliser de cartouche » nous dit-il. Une valve de sur-pression est placée sur la vessie pour la protéger de l’explosion et c’est aussi elle qui permet au rider de dégonfler son gilet. Les gilets Quiksilver, comme d’autres, sont équipés d’une valve de dégonflement que le rider peut déclencher à tout moment. À ce sujet, Pierre nous dit la chose suivante : « c’est important d’avoir l’habitude de l’utiliser pour pouvoir vite le dégonfler. »

À quel moment le déclenche-t-on ?

La prise de décision concernant le gonflement du gilet dépend de chacun. Le surfeur juge de sa propre résistance face à une situation qu’il considère critique ou non. « Lorsque les vagues sont très grosses, je le déclenche le plus tôt possible de façon à ne pas aller trop au fond. Quand tu es très profond, la pression limite l’expansion du gaz et ralentit le gonflement du gilet, même avec une cartouche de 38g. Mais c’est à double tranchant, tu restes dans les turbulences et le voyage est violent » nous explique Pierre Rollet.

« Leur forme est étudiée de façon à ce que tu flottes, la tête hors de l’eau, si tu es inconscient« , nous apprend Pierre, mais ceci n’est valable qu’une fois le gilet gonflé. Pour le chargeur, le gilet est un très bon outil que chacun doit utiliser à sa guise et surtout sans honte. Ses précieuses capacités ont sorti plus d’une fois les meilleurs chargeurs de situations très critiques : « Cet hiver, à Nazaré, je suis reparti avec le lip et même après avoir gonflé mon gilet, je suis resté deux vagues sous l’eau. Sans lui, je n’ose même pas imaginer la profondeur à laquelle j’aurais été et surtout pendant combien de temps« , se rappelle Pierre.

« Je le gonfle dès que je pense être dans une situation où je dois le faire. Je le gonfle quand je suis pris par un set et que je sais qu’une série de vagues va me tomber dessus, que je n’ai pas d’échappatoire. De toute façon quand tu mets le gilet tu as évalué les conditions avant de te mettre à l’eau et tu sais que tu peux en avoir besoin. Je le déclenche sur un mauvais wipe-out, quand je sais que je vais rester sous l’eau. Le gilet marche mieux quand tu le gonfles tôt » affirme Pierre Caley, surfeur de gros.

Une révolution qui n’en est pas une

Comme le dit si bien Peyo Lizarazu : « c’est une révolution sans l’être. » Si cela fait seulement quelques années que le gilet s’est fait une place dans le monde du surf, ça fait bien plus longtemps qu’il existe dans le milieu de la plongée. Pour développer son gilet, Quiksilver s’est associé à Aqua Lung, le leader mondial de la plongée sous-marine : « grâce à l’expertise de ces gens issus du monde de la plongée, qui font des gilets gonflables depuis des décennies, on a développé un produit qui, en termes de performance, dépasse de loin beaucoup d’autres gilets, en un temps record. » Le surf et la plongée sont des univers proches, mais il a fallu du temps pour qu’une connexion s’opère et Peyo en est à l’origine. Avant qu’il ne soit gonflable, les surfeurs portaient des gilets de flottaison.

« Je me souviens comme si c’était hier, quand j’ai vu Shane Dorian débarquer à Belharra avec un gilet gonflable. Nous on portait des gilets en mousse qui nous offraient une certaine flottabilité cependant beaucoup plus limitée, ce n’est pas la même chose » se souvient Peyo. « La flottaison est une donnée objective et chiffrable. Le gilet Quiksilver gonflé avec une cartouche de 38g apporte 100 Newtons, l’unité de mesure de la flottaison, quand un gilet en mousse tel que ceux que nous portions avant ne devait pas apporter plus de 20 Newtons. Ce qui est tout de même mieux que rien, ça ramène un corps inconscient à la surface après un certain temps » ajoute-t-il. Toutefois le gilet gonflable n’est utile que lorsqu’il est gonflé. C’est pour cela que certains peuvent se gonfler à la bouche à l’aide d’une pipette.

Il y a vingt ans, les choses étaient bien différentes. L’apparition du leash, du gilet gonflable ainsi que l’utilisation du jet ski pour assurer la sécurité des surfeurs ont emmené le surf de gros à un niveau jamais atteint jusqu’à présent : « c’est un engin de sécurité nautique indispensable, sans lui, surfer de si grosses vagues n’aurait pas été possible » précise Peyo. Et même si aujourd’hui certaines vagues surfées battent tous les records, les progrès technologiques sécurisent davantage les surfeurs qu’ils ne l’étaient avant, dans des vagues plus petites. La révolution qui s’est opérée en matière de sécurité a été individuelle (EPI), avec la mise au point des équipements de protection individuelle puis collective. Quand un surfeur prend une vague, sa sécurité est assurée par une équipe évoluant à dos de jet ski.

La sécurité dans le surf de gros, un vaste débat

Dans un article rédigé par Greg Long à propos de sécurité, Albee Layer a affirmé que les progrès technologiques ont eu tendance à faire monter l’imprudence d’un cran. Certains surfeurs se lancent désormais sur des vagues où ils ne seraient jamais allés sans gilet et sans la présence des jet skis. Il a même déclaré surfer moins intelligemment qu’avant, quand il n’y avait pas tous ces moyens mis en place pour assurer la sécurité des chargeurs. Il dit d’ailleurs n’avoir lui-même jamais autant chuté que depuis qu’il porte un gilet gonflable.

Koa Rothman avec le gilet gonflable Quiksilver
© Quiksilver
Pierre Rollet équipé du gilet gonflable
© Greg Rabejac
Koa Rothman et le gilet Quiksilver
© Quiksilver
Koa Rothman gilet gonflable Quiksilver
© Quiksilver

Avant l’apparition des gilets et des jet skis, les surfeurs ne pouvaient compter que sur leurs capacités d’analyse du spot, des conditions et sur leur préparation physique. Ils faisaient preuve d’une prudence beaucoup plus grande. Aujourd’hui ils sont quelques-uns à craindre que ces avancées technologiques n’altèrent la vigilance dont les surfeurs devraient faire preuve. Ce débat autour des limites de la sécurité n’est pas nouveau et ne se limite pas au surf. « C’est un phénomène qui a déjà été étudié, notamment au sein de l’industrie automobile dans les années 60. La Suède a été le premier pays à imposer aux fabricants qu’ils équipent leurs voitures de ceintures de sécurité. Deux ans plus tard, un bilan a montré que le nombre d’accidents graves avait augmenté » explique Peyo, « les conducteurs n’utilisaient simplement pas leur ceinture, mais avaient un sentiment de sécurité accru avec cet équipement à disposition. »

Les dispositifs de sécurité ne sont pas les seuls à avoir « encouragé » cette prise de risque. Pendant plusieurs années, la WSL a décerné un prix pour le meilleur wipe-out, à l’occasion des XXL Big Wave Awards. Depuis l’an dernier, cette récompense a été discrètement supprimée. La disparition de cet award, à la demande des surfeurs figurant parmi les plus influents, amorcera très certainement l’évolution du système de l’intérieur et modifiera l’approche du surf en lui-même, si ce n’est pas déjà le cas. Le leash a lui aussi provoqué des interrogations. Alors qu’il est aujourd’hui strictement interdit de surfer sans, ce n’étais pas le cas il y a quelques années. Comme le gilet, son rôle est d’assurer la sécurité du surfeur, mais il peut casser à tout moment. Certains puristes étaient, à l’époque, persuadés que le port du leash encouragerait des individus qui ne savaient pas bien nager à prendre des vagues au large et que cela pouvait être dangereux.
« Je viens d’un époque où l’on surfait sans gilet et aujourd’hui j’en porte parce que je sais qu’ils sont redoutables d’efficacité, mais je me sens tout à fait capable de gérer une situation sans lui » continue Peyo, qui met le doigt sur un point essentiel. Et à Pierre Rollet d’ajouter : « c’est difficile de dire que le gilet ne contribue pas à repousser nos limites, mais il ne fait pas tout, loin de là. De toute façon, si le gilet te fait te sentir invincible, l’océan va vite te remettre en place. »

Article tiré du hors-série MATOS 2022


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