[best of] Interview : évolution d’une carrière de surfeuse professionnelle, Pauline Ado raconte

La Basque nous a parlé d'expérience, de travail, de son entourage ou encore de la gestion de la pression.

27/12/2023 par Maia Galot

Pauline Ado Izipizi
© Izipizi
BALLITO, KWAZULU-NATAL, SOUTH AFRICA - JULY 2: Pauline Ado of France surfs in Heat 2 of the Round of 48 at the Ballito Pro on July 2, 2023 at Ballito, Kwazulu-Natal, South Africa. (Photo by Kody McGregor/World Surf League)
Pauline Ado. Ballito Pro. ©Kody McGregor/World Surf League

Avec plus de 15 ans d’expérience en compétition, Pauline Ado est le profil tout trouvé avec qui aborder la notion d’expérience. La Basque a connu le Championship Tour, les Qualifying Series, l’ancien format de la World Surf League et le nouveau avec la naissance des Challenger Series ainsi que les compétitions ISA et les Jeux Olympiques. Autant d’exercices auquel elle s’est prêtée, nous permettant d’aborder avec elle les notions d’expérience, de travail, d’entourage ou encore de gestion de la pression. Interview.

Surf Session – Quand on parle d’expérience, qu’est ce que cela t’évoque ?

Pauline Ado – Avec l’expérience tu apprends à te gérer toi, tes émotions, ta motivation, ton mental, ton stress… Quand je pense à ma carrière, les raisons qui me motivent maintenant ne sont pas les mêmes, en grandissant j’aborde les choses différemment. Plus jeune il n’y a que le résultat qui comptait, aujourd’hui il y a aussi d’autres choses qui entrent en jeu, la recherche de progression dans tous les domaines. Quand tu n’as plus 20 ans tu gères différemment ton énergie. Ce n’est ni positif ni négatif, c’est trouver un équilibre entre la qualité et les plages de repos, des éléments que tu ne prends pas forcément en compte en début de carrière.

Souvent en compétition, on a l’impression que tu es en mesure d’aller chercher le score attendu, sans forcément chercher à en faire trop, est-ce quelque chose que tu perçois ?

Parfois l’important c’est de passer, souvent tu veux tout péter et proposer ton meilleur surf mais cette approche-là c’est l’approche du tout ou rien. C’est vrai qu’avec l’expérience tu arrives à te sortir de situations difficiles dans les dernières minutes où tu joues plus stratégique dans les fins de séries. Mais dans les deux cas parfois ça ne passe pas, si tu n’es pas assez dans la recherche de gros scores tu peux aussi passer à coté d’une série, le surf reste un sport de variables.

Toutes les échéances viennent avec leur lot de pression. Ta gestion de cette dernière a t-elle évoluée au fil des années ?

C’est aléatoire, il y a des compétitions avec plus ou moins d’enjeux donc tu apprends à le gérer. J’ai appris à me détacher de ce qui se dit, de ce que pensent les autres, de ces distractions qui n’aident pas dans la performance : ne pas lire tout ce qu’on dit sur toi ou écouter les avis de tous les gens que tu croises. Ça m’a poussée à un peu me fermer, notamment autour des compétitions, à créer une sorte de bulle. Je pense que si on m’observe en période de compétition je ne paraît pas accessible mais ça fait partie des conditions qu’il faut que j’arrive à réunir pour être mieux dans ma compétition et plus concentrée sur les choses que je peux maîtriser, éliminer les sources de distractions. Certains ont besoin du côté social, c’est une autre manière de gérer la pression, via la distraction. C’est un peu proche des notions d’introvertie/extravertie, moi j’ai plutôt une tendance introvertie.

As-tu eu besoin d’adapter ton surf aux notations des juges, en fonction des circuits ou au fil des années ?

Complètement. J’ai un surf dans la fluidité et j’aime bien tout le temps conserver ma vitesse, c’est une qualité mais aussi un défaut car je suis trop dans la souplesse, pas assez agressive. Les critères de jugement tendent vers de plus en plus d’engagement et d’agressivité, c’est donc quelque chose que j’ai remis en question et que j’essaie encore de faire progresser. Globalement plus tu montes en niveau et plus les juges sont exigeants sur la notation, regardants sur le côté technique, moins généreux. Tu t’adaptes aux critères qui évoluent aussi d’une compétition à l’autre en fonction des conditions mais aussi dans le temps. Là on tend vers plus d’effet « wow » et mon surf de base n’est pas là-dessus.

Quand on parle de « travailler son surf », qu’est ce que ça implique ?

Ça peut-être un geste technique, l’amélioration de la condition physique, un changement dans l’attitude… Il y a une question d’approche, la façon de surfer la vague et puis ça inclut le travail d’explosivité du bas du corps et si techniquement c’est bien fait il y a un gain de vitesse et du spray.

Pauline Ado Taghazout
Pauline Ado lors du QS Rip Curl Pro Search Taghazout Bay © Damien Poullenot/World Surf League
Pauline Ado ©Pablo_Jimenez / ISA
Pauline Ado ©Pablo_Jimenez / ISA
Wallex US Open of Surfing Presented By Pacifico
Pauline Ado © Pat Nolan/World Surf League
Pauline Ado ISA
Pauline Ado aux ISA 2023 © FFS / we_creative
Pauline Ado
© FFSurf / Wecreative

Apporter ces changements signifie t-il que tu prends moins de plaisir dans ton surf ?

Pas forcément, ça me sort de ma zone de confort mais quand je réussis je suis contente, ça fait partie de la recherche de progression. À l’eau comme en dehors, c’est gratifiant de réussir. Sur l’aspect mental tu progresses mais chaque nouvelle situation est susceptible de remettre en jeu tes acquis passés car les circonstances sont toujours différentes, tu peux surmonter les choses d’une certaine manière une fois mais ça ne signifie pas que tu y parviendras de la même façon la fois suivante.

Comment gères-tu ces challenges du mental ?

Je vois une psychologue du sport. J’ai déjà vu des préparateurs mentaux et d’autres approches par le passé mais depuis un petit moment je vois cette psychologue du sport, avec qui je fais une approche par la performance mais aussi l’équilibre dans ma vie en général. Car tu ne peux pas être qu’un sportif, tu as aussi une vie personnelle, des aléas familiaux ou d’autres évènements dans ta vie qui vont affecter ta performance mais aussi dont tu peux te servir. J’aime beaucoup travailler ce côté-là. Plus tu as ça jeune mieux c’est selon moi. J’ai commencé à 17-18 ans mais je n’étais pas aussi réceptive sur certains aspects que je peux l’être là depuis 6-7 ans. C’est normal car tu grandis, tu prends de l’expérience et tu n’es plus la même personne. Ça peut remuer des choses donc il faut accepter sa vulnérabilité mais ça fait aller de l’avant et c’est très intéressant.

De qui d’autre se compose ton équipe ? Tu travailles notamment avec Rémi Blanc, ton mari, sur la partie images…

Avec Rémi on fait beaucoup d’images, c’est ce qui se voit, mais je dis souvent que malgré qu’il ne soit pas coach c’est presque mon meilleur coach. Il me connaît par cœur, il connaît très bien le surf, il sait très bien mon niveau et les objectifs que je me fixe, il est au courant des choses à mettre en place pour réussir. Certes il n’est pas objectif mais il me donne toujours son avis honnête et c’est hyper important. J’ai l’impression que c’est assez courant pour les athlètes féminines d’impliquer leur partenaire dans leur carrière.

Ensuite, je fais de la préparation physique, et de la technique surf périodiquement sur l’année avec Vincent Primel qui habite en Australie. Et la Fédération Française met aussi des choses en place dont je bénéficie.

Avec l’évolution des formats de la WSL et du système de qualification, as-tu eu à modifier ta façon de travailler ?

Pendant longtemps quand j’étais sur le Championship Tour (CT) je faisais le CT et les Qualifying Series (QS) en même temps. Les deux se recoupaient et ce n’était pas facile mentalement à gérer d’être sur les deux objectifs, les deux tableaux. Maintenant c’est possible de plus compartimenter, mais c’est moins vrai quand on fait le QS et les Challenger Series (CS), car ça reste entremêlé. J’aime bien que ce soit par étape, d’abord une qualification régionale puis se concentrer sur les Challengers. Globalement ça reste proche de ce qu’on avait avant avec les QS 6 étoiles, ce sont les compétitions sur lesquelles il faut réussir. J’ai l’impression que le format réduit permet d’avoir de meilleures waiting period et parfois d’avoir la possibilité d’attendre pour de meilleures vagues, ce qui est top. Également on sent qu’ils ont mis les moyens en termes de communication, ils mettent en avant le circuit CS, ce qui est positif. L’argument était aussi de dire que ça allait coûter moins cher pour les athlètes, ce qui n’est pas forcément vrai en revanche (rires). Notamment car là on est obligé de tout faire alors qu’avant on pouvait choisir un peu plus stratégiquement ses compétitions et éventuellement faire l’impasse.

As-tu déjà pensé à t’installer à l’étranger, notamment dans un pays où l’eau est toujours chaude, pour passer encore plus de temps à l’eau ?

Couper de l’hiver et me déplacer pour m’entraîner oui, mais ma base et mon équilibre sont à Anglet, au Pays basque. C’est mon point ressource et je n’ai jamais voulu déménager ailleurs. Quand on commence à voyager on a l’impression que c’est toujours mieux ailleurs mais avec le temps on se rend compte que chez soi on a beaucoup de choses hyper positives. Certes le froid l’hiver est un frein à la progression mais avec les compétitions et les stages j’y trouve mon équilibre et on a quand même de supers conditions d’entraînement ici. Maintenant je suis plus sur la qualité que la quantité de temps passé à l’eau, je ne me dis pas que je progresserai plus ailleurs.

Pauline Ado ISA
Pauline Ado aux ISA 2022 © FFSurf / Wecreative
Pauline Ado Anglet
Pauline Ado lors du Anglet Surf de Nuit © WSL
Pauline Ado Izipizi
© Izipizi

Tags: