Le coup de pression de Didier Piter

Le Français a commis au début de sa carrière une erreur qui lui a coûté cher : taxer un des pires locaux de Pipeline...

16/06/2014 par Romain Ferrand

“C’était au Pipe en 1994 quand j’ai dropé Shawn Briley. J’étais au début de ma carrière, j’avais la vingtaine environ et c’était ma deuxième année sur le North Shore. J’étais à fond sur Pipeline. J’y passais du temps et je m’étais peut être fait repérer parce que quand t’es un haole (un blanc) pressé de prendre des vagues, on te remarque vite. Je commençais à connaître certains locaux qui me disaient bonjour. Et il y avait Shawn Briley. C’était le boss, il n’y avait pas meilleur chargeur que lui à l’époque, il partait vraiment late. Et je l’ai droppé (taxé).

Tôt ou tard à Pipeline tu commets une erreur.  Soit contre toi-même, soit contre un local. Parce qu’on est tellement nombreux au line-up… La subtilité de cette vague, c’est que t’as 200 gars au pic qui veulent comme toi prendre des vagues. Tu dois avoir une concentration de tous les instants pour ce que tu es en train de faire, c’est-à-dire souvent un take-off dans l’urgence. Trouver ta vague, la choisir, l’avoir pour toi tout seul, faire ton take-off mais en plus de ça il faut faire attention à pas gêner un gars, untel et untel. Et lui je l’ai pas vu parce qu’il revenait de Backdoor, un peu plus bas. Il s’est retourné au dernier moment et il est parti. Et je ne l’ai vu qu’en me levant. Trop tard.

Ironie du sort, il y a eu une série de huit vagues juste derrière, et il les a toutes prises dans la gueule. Et là, j’ai eu une grosse pression parce que je me suis dit “merde, ça c’était vraiment la dernière chose à faire”. Surtout quand tu veux faire tes preuves au pipe, t’as pas envie que ça se passe mal. Tu gagnes tes jalons petit à petit, session après session. Et quand tu fais un truc comme ça, tu repars à zéro.

En plus il était balèze, énervé et il est venu me voir direct. On ne s’est pas battus mais il m’a mis deux claques derrière la tête. Plus pour m’humilier qu’autre chose. C’était de ma faute, je ne voulais donc pas rentrer dans une bagarre mais plutôt faire profil bas. Son geste était surtout pour marquer le coup.

Au-delà de ça, il n’y avait peut être pas une rivalité entre nous, mais ça devait l’emmerder de me voir souvent. J’aurais du lui dire bonjour d’entre de jeu. Il avait peut être raison, peut être que je suis arrivé un peu trop affamé, en faisant un peu trop le coq sans m’en rendre compte. Mais j’étais à fond, je voulais prendre des vagues.

Je n’ai pas forcément ressenti de grosse pression sur le moment, c’est venu l’après-midi. Je voulais absolument retourner sur Pipe. Lorsque j’y suis retourné, Shawn est directement venu me parler en me disant de faire attention, et que si je refaisais ça il me tuait.

Mais j’étais désolé, je savais ce que j’avais fait. Je pense que ça aurait pu arriver à tout le monde. J’étais vraiment désolé. Mais il ne m’a pas pardonné. Et ça a mis deux ou trois hiver à se tasser.

Malgré ça je n’ai jamais cessé d’être captivé par Pipe, j’ai continué à y aller pour prendre des bombes. Mais à chaque fois qu’il était à l’eau ça restait tendu. Et il a fini par me tendre la main deux ans après, à Margaret River, en me disant que c’était cool.

Entre temps il y avait eu Teahupoo qui était un terrain neutre et qui a aidé à calmer les choses. Il a vu que j’avais payé ma dette, que j’avais fait mes preuves. J’ai pris mes bouffes. Et il a vu que j’aimais surfer ce genre de vagues. Ces gars-là n’aiment pas ceux qui viennent juste pour leur image et faire les barbeaux. Il y a sûrement eu quiproquo au début, il m’a pris pour le mauvais gars.

Moi je pensais faire preuve de respect mais peut être que je n’ai pas fait assez attention. Pourtant j’étais là pour de bonnes raisons : prendre des bombes et surfer. Le Pipe c’était mon rêve. Après, les gars ne veulent pas forcément partager, et encore moins avec des gars qui sont là avec leur logo sur la planche et qui font les marioles sans dire bonjour. Donc j’ai appris à la dure, mais de la bonne manière.”

Photo : Didier, Landes juin 2014 – ©Sylvain Cazenave

Retrouvez les récits inédits et exclusifs de Kelly Slater, Laird Hamilton, Jeremy Flores, Peyo Lizarazu, Miky Picon etc. dans le livre « Coup de pression : les surfeurs pro racontent leurs plus grosses frayeurs » en kiosque jusqu’à fin juin en supplément du Surf Session n°322 (mai 2014). Également disponible sur shop.surfsession.com


Tags:



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*
*