Entretien : Johnny Cabianca, shape de haut niveau

"Je ne voulais pas copier ce qu'ils faisaient mais simplement me nourrir de tout ce que je voyais pour ensuite créer ma propre façon de shaper."

02/06/2023 par Ondine Wislez Pons

Johnny Cabianca atelier Zarautz
© Silvano Zeiter
Johnny Cabianca atelier Zarautz
© David Bertschinger Karg

Originaire du Brésil, Johnny Cabianca a 35 ans de shape dans les mains et vit désormais en Espagne où il a installé son atelier en 2016, la Basque Country Surf Compagny, véritable fief des planches haute performance. Depuis plus de dix ans, le Brésilien fabrique les planches de Gabriel Medina, bien avant que celui-ci ne devienne champion du monde. Le shapeur travaille également avec des athlètes du monde entier. Johnny nous a ouvert les portes de son atelier que nous avons visité, salle après salle, avant de nous poser avec lui pour échanger sur son travail, ses débuts dans le shape et les évolutions dont il a été témoin.

Ses débuts dans le shape

Depuis son enfance au Brésil jusqu’en Europe, l’existence de Johnny a toujours été liée au surf mais le shape est arrivé plus tardivement. « Je n’ai pas tout de suite commencé par le shape« , nous raconte-t-il avant de poursuivre « quand j’avais 15 ans et que je vivais au Brésil, mes deux frères et moi n’avions qu’une planche pour trois. Elle s’est cassée, je l’ai réparée et par la suite, plusieurs amis m’ont demandé si je pouvais réparer les leurs. » Quand le shapeur a eu 18 ans et qu’il est entré à l’Université de Sao Paulo, il s’est associé à l’un de ses amis pour glacer des planches. « J’ai grandi dans ce milieu, en réparant des planches, en les gaçant, en les ponçant… » nous confie-t-il. Lorsqu’il se met au shape au début des années 1990, le fait d’avoir été en contact avec tant de planches lui a grandement facilité la tâche. Commence alors pour lui un long parcours fait de voyages et de rencontres qui vont lui permettre de développer son style et son ADN. Aujourd’hui, la plupart des planches estampillées Cabianca sont des planches haute-performance mais pas uniquement : « Les gens qui viennent frapper à ma porte sont quasiment tous des athlètes et beaucoup de kids qui font de la compétition viennent me voir, mais je m’adapte à tous les niveaux » explique Johnny.

Avant de créer sa marque, le Brésilien a travaillé pendant de nombreuses années chez Pukas, où il a été le ghost shapeur de nombreux grands noms, ce qui lui a permis de gagner en crédibilité et en légitimité. « Une fois que ces grands shapeurs sont à l’aise avec toi, ils s’ouvrent à toi, te donnent des conseils » nous raconte Johnny. Une expérience qui lui a permis de développer ses propres designs. « Je ne voulais pas copier ce qu’ils faisaient mais simplement me nourrir de tout ce que je voyais pour ensuite créer ma propre façon de shaper » poursuit-il.

Johnny Cabianca atelier Zarautz
© David Bertschinger Karg

La rencontre avec Gabriel Medina

Au cours de notre échange, Johnny est revenu sur ses débuts avec Gabriel. « Quand je vivais au Brésil, on vivait dans la même ville. Au départ, j’étais très ami avec Charlie, son beau-père, on était tout le temps ensemble. J’ai vu grandir Gabriel au milieu des autres enfants mais j’ai perdu le contact avec eux quand je suis venu en Europe en 2000 parce que je ne rentrais au Brésil que pour Noël. Mais j’ai revu Gabriel quand il était plus grand et les surfeurs qui évoluaient autour de lui n’avaient pas le même impact que lui, il était bien au-dessus des autres enfants de son âge. Avant de travailler avec lui, j’ai travaillé pour beaucoup de pros surfeurs entre 2005 et 2007, dont certains gars du CT. Mais 2009 a vraiment marqué un tournant dans ma vie. J’étais beaucoup en contact avec Charlie et ils n’avaient pas beaucoup les moyens de voyager à cette époque-là. Quand Gabriel a eu 15 ans il a gagné une compétition au Brésil et tout le monde a halluciné. Ça lui a permis de se qualifier pour le King of The Groms à Hossegor et je les ai accueillis chez moi. C’est après cette compétition en France que son nom a commencé à briller à l’international. Je me rappelle de l’une des premières planches que je lui ai shapé, j’avais pris une vieille planche dont j’avais retiré le glaçage pour la re-shaper avant de la glaçer à nouveau et de lui donner. » La machine était lancée. Quand nous avons rencontré Johnny, il venait tout juste de finir de shaper le quiver qui a accompagné Gabriel sur l’étape du Surf Ranch Pro 2023 en Californie.

Le témoin d’une révolution majeure dans le monde du shape

Depuis une vingtaine d’années que Johnny fabrique des planches, il a assisté à des évolutions notoires dont certaines ont radicalement changé la vie et le travail des shapeurs. Lorsqu’on le questionne sur ces changements le Brésilien évoque d’abord les matériaux nécessaires à la construction des planches. « La manière de fabriquer les planches, avec des pains de mousse en PU, un stringer et de la résine polyester est identique depuis les années 1950. Les gros changements qu’il y a eu sur le marché concernent la qualité de la mousse, de la fibre et de la résine qui est nettement supérieure, les planches sont donc plus performantes et leur design a lui aussi beaucoup évolué. Les accessoires tels que les plugs, les leashes, les dérives ont eux aussi gagné en qualité » explique Johnny. Mais le plus gros changement concerne l’apparition des machines CNC qui pré-coupent les pains de mousse, ce qui n’existait pas dans la première moitié des années 1990. « Avant je shapais tout à la main, je travaillais plus de douze heures par jour mais quand ces machines sont arrivées, tout a été plus facile » poursuit le shapeur. En 1993, alors que Johnny vivait encore au Brésil, il a commencé à travailler avec la personne qui est à l’origine de la première machine CNC et du tout premier logiciel capable de couper le pain de mousse. « Ce fut un véritable boom sur le marché et je me suis retrouvé au milieu de cela. Au Brésil, des Américains et des Australiens sont venus me voir pour cette technologie. En 2000, j’ai été invité à venir en Europe chez Pukas, pour installer cette machine et montrer le logiciel aux shapeurs d’ici, ce que j’ai fait ensuite au Portugal » nous explique le Brésilien à propos de ces machines.

Aux premières loges d’une diversification des shapes

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, les planches ont connu un arrêt dans leur développement. À ce moment-là, un phénomène a agité le marché et le monde du surf : Kelly Slater. « Tout le monde voulait surfer les mêmes planches que lui, quel que soit leur gabarit. Pour nous c’était assez frustrant parce que tout le monde voulait surfer comme lui, devenir pro ou surfer ses planches. Au Brésil c’était pareil » raconte Johnny. Mais au début des années 2000 un nouveau concept est apparu en Amérique et partout dans le monde, le fish. Les surfeurs ont commencé à être davantage dans le plaisir en surfant des twin fins qui ont commencé à se faire une place sur le marché. « Un shapeur comme Pat Rawson a lancé le San Diego fish, on a assisté à une renaissance de ce genre de planches, ce qui a permis à beaucoup de gens de surfer à nouveau, des personnes qui commençaient à prendre de l’âge, du poids, à avoir moins de condition physique » poursuit le shapeur. Des tendances qui se sont rapidement vues dans les ateliers de shape et Johnny nous a d’ailleurs raconté une anecdote amusante à propos de cela : « J’étais avec Eric Arakawa, avec qui je travaillais chez Pukas. Dans les années 1990, quand tu regardais un rack de surf, toutes les planches étaient les mêmes, avaient la même taille. Mais au début des années 2000, j’étais avec Eric et un jour, alors qu’un rack à roulettes plein de planches finies passait devant nous, il me dit « regarde, tu ne vois rien qui a changé? » Et effectivement, les planches étaient toutes différentes les unes des autres. Aujourd’hui ça l’est encore plus, avec les planches époxy, les soft boards… » conclut-il.

Gabriel Medina Cabianca
© Lucas Balbino
Johnny Cabianca atelier Zarautz
© David Bertschinger Karg
Johnny Cabianca atelier Zarautz
© David Bertschinger Karg
Johnny Cabianca atelier Zarautz
© David Bertschinger Karg
Johnny Cabianca atelier Zarautz
© Patrick Armbruster


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