« Session engagée » : Kepa Acero raconte une folle session en Indo

Heureusement que des pêcheurs locaux étaient là pour prendre des photos.

27/02/2024 par Ondine Wislez Pons

Surfeur aventurier, voyageur et freesurfeur par excellence, nous avons demandé à Kepa Acero de nous raconter l’une de ses sessions les plus mémorables qui fut également, comme le veut la consigne, l’une de ses sessions les plus engagées. Seule contrainte : il nous fallait des photos pour illustrer ses propos. Par chance, les quelques pêcheurs avec lesquels le surfeur a passé du temps au fin fond de la jungle indonésienne étaient là pour appuyer sur le bouton de son appareil photo, alors qu’ils n’avaient encore jamais tenu un tel objet entre leurs mains.

Au-delà du sentiment unique dont Kepa a été traversé, en surfant seul des vagues parfaites au fin fond de la nature, cette session allait être déterminante pour les quinze années à venir. Depuis ce premier voyage en solitaire, dans des destinations reculées, loin de la civilisation, Kepa n’a jamais arrêté. Nous avons pris beaucoup de plaisir à écouter les réponses du surfeur à nos questions et l’on espère que vous en prendrez tout autant à la lecture de ces dernières. Si aujourd’hui et depuis plusieurs décennies, le surf pousse aux voyages, ceux que le Basque entreprend sont teintés d’une quête de sens et de liberté bien à lui.

Surf Session – Salut Kepa ! Raconte-nous, où et quand a eu lieu cette session ?

Kepa Acero – Ça a vraiment été une session très spéciale, dans un endroit tout aussi spécial. C’était en août 2010, alors que je me trouvais au fin fond de la jungle indonésienne.

Peux-tu nous remettre dans le contexte ?

J’avais fait des recherches sur Google Maps et rencontré des Australiens qui voyageaient dans le coin, avec qui j’ai passé un peu temps avant d’arriver sur le fameux spot. Une nuit, alors qu’ils étaient complètement saouls, l’un d’eux s’est mis à me parler de cet endroit. Avant cette conversation alcoolisée, ils ne m’avaient jamais parlé de cette vague parfaite, alors qu’ils la surfaient depuis longtemps. J’ai donc saisi ma planche, mon scooter et je me suis enfoncé dans la jungle. Le matin, quand ils se sont réveillés en gueule de bois, ils m’ont cherché, mais j’étais déjà sur le spot.

Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé, le jour de la fameuse session ?

J’étais seul dans la jungle, accompagné seulement de quelques pêcheurs avec qui j’ai campé pendant quatre jours. Au matin du quatrième jour, c’était vraiment plus gros que les jours précédents, il y avait des vagues d’1m80-2m50. Je suis allé faire le tour des spots environnants parce que les conditions n’étaient pas géniales mais quand je suis revenu tout s’était parfaitement calé, le vent était parfait et les vagues étaient épiques. Le fait qu’il n’y ait rien ni personne autour a vraiment ajouté quelque chose de particulier à tout ça. Les vagues étaient parfaites mais c’était très engagé, c’était du reef et j’étais dans la jungle, loin de tout, d’un hôpital ou autre. J’ai donc vraiment pris le temps de regarder et de me concentrer avant de me mettre à l’eau et de prendre une vague.

Quel était ton état d’esprit avant la session ?

Les vagues étaient d’une perfection telle que quand j’ai vu les premières j’ai crié, c’était vraiment de la folie ! Une fois à l’eau, j’ai passé du temps à analyser les choses, à observer les vagues. À part les quelques pêcheurs j’étais seul et il fallait vraiment que je fasse attention. Dans ce genre de situation, quand on s’apprête à partir sur une vague, il faut sentir un appel, un feu intérieur qui te dit que tu peux y aller, parce que c’est un engagement énorme.

Et après la session ?

Ce fut l’une des meilleures sessions de ma vie. Du point de vue des vagues mais c’était aussi dû au fait d’être seul au milieu de la jungle, avec rien ni personne autour. Au-delà du surf, ce voyage a été très enrichissant pour mon expérience personnelle. Il a marqué le début d’une période très importante pour moi, où j’ai commencé à voyager seul pour surfer. Ce que je veux dire, c’est que quand tu surfes à Mundaka aujourd’hui, il y a une centaine de personnes autour de toi. L’endroit est magnifique, mais tu dois composer avec les tensions potentielles qu’il peut y avoir avec les autres. Là, en Indonésie, j’étais seul à l’eau, entouré de nature, à surfer des vagues parfaites. Ça en devient presque une tout autre activité.

La grande chance c’est que as tout de même réussi à avoir des photos de cette session ! Comment t’y es-tu pris ?

J’étais seul ce jour-là, mais par chance je voyageais avec un appareil photo, un 5D. Je l’ai donné à l’un des pêcheurs avec qui j’étais en lui demandant s’il pouvait me prendre en photo et il s’est vraiment bien débrouillé. C’était la première fois de sa vie qu’il prenait des photos, à l’époque pas même les téléphones n’en prenaient, comme c’est le cas aujourd’hui. Il n’avait aucune notion de toutes ces choses-là mais j’ai mis l’appareil en automatique et il a vraiment pris de belles photos.

Comment s’est déroulée ta session ?

Ça a été une session très particulière, déjà parce que quand je regardais autour de moi, je ne voyais que l’épaisse jungle. Au tout début, quand une vague solide arrivait, j’étais un peu effrayé. Il m’a bien fallu quarante minutes avant de prendre ma première vague. À chaque fois que j’en voyais une arriver je me disais « non, pas celle-là« , puis j’ai fini par en prendre une, que l’on voit sur les photos. La première vague que j’ai prise était vraiment solide, ça a fait un closeout mais ce wipeout m’a permis de me sentir plus à l’aise et petit à petit je commençais à prendre confiance. Cette première vague a déterminé le reste de ma session. C’est un peu comme si il y avait un cap à passer et une fois que c’est fait, tout est un peu plus facile. Mais il m’a fallu un peu de temps mentalement, pour me sentir prêt et tout d’un coup, je me suis senti en connexion avec la vague.

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Aurais-tu une anecdote qui te viendrait en tête, autour de la session ?

Oui, j’en ai une bonne ! Comme je l’ai dit, j’ai passé un peu de temps à camper avec des pêcheurs. Je ne fume pas, mais en Indonésie beaucoup de gens fument, comme c’était le cas des gars avec qui j’étais. C’était la nuit, on était seul au milieu de la jungle et j’ai senti que fumer était un bon moyen pour créer des liens, faire partie du groupe et me rapprocher d’eux. J’ai donc commencé à fumer ce que je pensais être une cigarette mais je me suis vite rendu compte que c’était quelque chose qui ressemblait plus à des champignons ou quelque chose de ce style. J’ai commencé à partir en trip, j’avais l’impression de flotter à travers la jungle et ça a quand même duré quelques heures. Le lendemain s’est avéré plutôt difficile, j’étais en gueule de bois et j’avais très mal à la tête… Ce fut un moment assez intense (rires).

Que dirais-tu que cette session a changé pour toi ?

Cette session est à replacer dans le contexte plus large de mon voyage, qui a duré plusieurs mois. Je suis d’abord allé en Namibie, à Skeleton Bay et si aujourd’hui c’est un endroit bien connu, à cette époque-là quand j’y ai surfé, il n’y avait rien ni personne. Je suis ensuite allé en Indonésie puis au Chili. C’est la toute première fois que je partais seul, ce qui a donné à ce voyage une dimension très particulière. Faire des sessions comme celle-ci, en Indonésie, seul au milieu de la nature ainsi que toutes les choses auxquelles tu fais face quand tu voyages en solitaire a été très challengeant. Mais ça a définitivement changé ma façon de penser et de voir les choses. C’était en 2010 et depuis, je n’ai jamais arrêté. Ce sont des voyages qui nécessitent beaucoup d’engagement, c’est une prise de risque et je ne sais d’ailleurs même pas si je conseillerais à quelqu’un de partir seul comme je le fais. Mais ces voyages et ces sessions en solitaire au milieu de la nature me permettent de développer une connexion très particulière avec les lieux et les vagues sur lesquels je me rends. Ce sont des moments très spéciaux qui ont fait naître en moi un état d’esprit nouveau et cette première expérience a été déterminante pour la suite.

Où te situais-tu ce jour-là, face à tes propres limites ?

Je pense que le fait de se surpasser est une chose que tout le monde peut rencontrer à un moment donné. Moi c’est dans le surf, mais pour d’autres c’est dans le travail ou dans la vie personnelle. Ce voyage a été un énorme challenge pour moi parce que c’est la première fois que je partais seul et en plus dans un pays comme la Namibie dont on ne savait pas grand chose à l’époque. La chose la plus difficile que j’ai eue à affronter ça a été d’acheter les billets en ligne avant le départ. Au moment de cliquer j’étais traversé par plein de choses, c’était mon rêve mais aussi une très grande peur. Mais cette décision a joué un rôle décisif dans ma vie parce que ça fait maintenant quinze ans que je voyage seul, même si je suis aussi beaucoup parti avec des amis. Ces voyages en solitaire m’ont permis d’apprendre sur les lieux où j’ai été mais surtout sur moi-même. J’ai appris des choses dont je n’avais même pas conscience avant et si je n’étais pas parti dans ces conditions, je ne les aurais sans doute jamais réalisées.


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