[Best of] « Session engagée » : Maud Le Car raconte…

"Je me sentais bien et j'avais l'impression que j'allais sortir, sauf que ça ne s'est pas du tout passé comme prévu."

25/02/2024 par Ondine Wislez Pons

© Thierry Bouriat

Après les « sessions engagées » de Jade MagnienKyllian GuérinLaura CoviellaCharly Quivront, ou encore Vincent Duvignac, c’est au tour de Maud Le Car de nous raconter la sienne. La surfeuse a décidé de nous parler d’une session qui a eu lieu il y a quelques hivers, sur un spot des Landes qu’elle connait bien. La journée avait bien commencé mais s’est malheureusement finie aux urgences. Si la surfeuse originaire de Saint-Martin est habituée aux vagues du circuit QS, elle est aussi du genre à s’attaquer à des vagues plus conséquentes et fait parfois des sessions step off, comme ce fut le cas pour celle-ci. Elle faisait équipe avec Joan Duru, aux côtés d’autres local heroes habitués à sortir en jet quand les spots landais ne sont plus praticables à la rame. Nous avons d’ailleurs aussi posé quelques questions à Joan pour avoir sa version de l’histoire.

Surf Session – Raconte-nous Maud ! Où et quand a eu lieu cette « session engagée » ?

Maud – C’était aux Culs Nus, il y a presque trois ans, au mois de février. J’étais en step off avec Joan, c’est lui qui me conduisait. C’est un spot que je connais très bien mais les conditions étaient inhabituelles ce jour-là. C’était gros, carré et ça pétait vraiment sur le sable. C’était aussi beaucoup plus creux que ce que j’ai l’habitude de surfer, mais avec le jet ski, on peut se permettre d’aller dans des conditions qui ne seraient pas accessibles à la rame.

Quel était ton état d’esprit avant d’aller à l’eau ?

J’étais super excitée et très contente. Les sorties step off avec Joan sont toujours de très bons moments. J’aime de plus en plus aller dans ce genre de vagues. C’est un bonheur de ne pas se prendre toutes les séries sur la tête. Le plus dur en surf, c’est de ramer, surtout quand c’est gros et encore plus dans les Landes, avec le courant qu’il peut y avoir. Mais j’étais quand même un peu fatiguée, je revenais tout juste d’un tournage à Alaïa Bay où j’avais fait trois jours de surf intensif en plein hiver.

Peux-tu nous remettre dans le contexte de cette journée ?

Je me suis levée très tôt et tout avait bien commencé. J’avais eu une superbe vague avant ma chute. On était pas exactement sur le spot des Culs Nus, on était plus vers les Guardians. À la fin de la session, on s’est dit qu’on allait prendre quelques vagues aux Culs Nus. Les garçons y étaient et apparemment c’était top, la marée était entrain de descendre et il y avait moins d’eau.

Parle-nous de cette vague !

On les a rejoint et j’ai d’abord eu deux trois vagues plus petites, puis une bombe est arrivée. Miky (Picon) et Alain (Riou) qui faisaient équipe m’ont dit « aller, celle-là c’est pour toi, tu y vas ! » Joan n’était pas très chaud pour me lancer dessus, parce qu’il avait vu qu’elle doublait. Je n’ai pas capté grand chose, mais je voulais y aller. Quand les vagues arrivent et qu’on est en jet, on part beaucoup plus au large, donc on voit juste une ondulation. Ce n’est pas comme quand tu es à la rame et que tu te rends vraiment compte de ce que la vague va faire. Mais si on me dit d’aller sur une vague j’y vais, je ne me pose pas trop de questions et la présence du jet ski me rassure, mais je n’avais pas une planche très adaptée. Et généralement je porte un gilet, donc je sais que je vais remonter à un moment donné. Mais cette fois-ci, je ne l’avais pas. Sur le moment ça ne m’a pas perturbée plus que ça, même si j’aurais bien aimé l’avoir au moment de ma chute.

Joan, peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?

Joan Duru – Maud s’est beaucoup blessée dans des tubes, donc elle avait un peu d’appréhension. C’était joli pour elle en jet ce jour-là, ce n’était pas très gros, même si il y avait deux bons mètres. Elle a eu plein de jolis petits tubes et l’appréhension était partie. Puis on est arrivé aux Culs Nus, c’était encore très bas. Il y avait une droite qui drainait dans le sable, qui partait dans le courant, comme ça arrive parfois et vraiment pas beaucoup d’eau. Il y avait Miky et Alain sur un autre jet et Marc (Lacomare) à la rame. On tournait, je faisais prendre une vague à Maud, une vague à Marc. Je déposais Maud sur les petites parce que c’était très creux et je savais qu’il n’y avait pas d’eau. La bombe est arrivée, Miky était au large et j’étais sûr qu’ils y allaient, en plus c’était à eux. On a pas bougé, on leur a dit d’y aller mais la vague est passée et ils ne se sont pas lancés, ils nous l’ont laissée. On était obligé d’y aller, elle était parfaite. J’ai mis Maud peut-être un poil deep, elle a eu un super tube, mais elle n’avait pas une planche adaptée, on ne pensait pas aller aux Culs Nus et elle n’avait pas encore de planche de step off. Quand elle était bien profond, le fond de bol l’a balayée et ça l’a envoyée direct dans le sable. La planche était trop légère. Maintenant elle a une vraie planche de step off, plus lourde, donc le prochain barrel, elle sortira !

C’est donc sur cette vague que tu t’es blessée ?

Maud – Oui, elle a fait un gros tube et elle est devenue bien carrée. J’étais dans le tube, j’étais super contente parce que c’était le plus gros tube de ma vie. Je me sentais bien et j’avais l’impression que j’allais sortir, sauf que ça ne s’est pas du tout passé comme prévu. J’étais un peu trop deep et je me suis faite aspirer. La vague m’a jetée très fort sur le sable et m’a compressée au fond. Tout le poids de mon corps s’est retrouvé sur mon pied et mon tibia s’est cassé, en même temps que les ligaments de ma cheville et le bas de ma cheville. J’ai senti que j’avais tapé très fort le fond et que j’avais mal, parce que je ne pouvais pas nager, mais avec l’adrénaline je n’ai pas trop senti la douleur. Je suis remontée sur le jet et sur le moment je pensais que j’allais pouvoir continuer la session, mais je me suis vite rendue compte que la douleur était trop vive.

As-tu su instinctivement comment réagir au moment de ta chute ?

Quand j’ai touché le sable, j’ai entendu un bruit bizarre et j’avais mal à la cheville, mais mon objectif était de remonter à la surface. Dans des sessions comme celle-ci, le but est de garder la tête froide, surtout quand tu te fais mal. Mon instinct de survie m’a poussée à vouloir reprendre mon oxygène et dans de telles situations, le corps est très intelligent, il sait comment réagir. D’autant plus qu’on évolue dans l’océan, un milieu où la priorité est de respirer. Dans ces moments de chute, ce qui m’effraye de plus est d’être inconsciente parce que c’est là que des choses graves peuvent arriver.

© Thierry Bouriat

As-tu eu le temps de faire attention à ta manière de tomber ?

C’est marrant parce que j’en parlais avec Joan qui me disait que quand il tombait, surtout dans des tubes, il avait une certaine manière de tomber. Ce n’est pas quelque chose que je calcule, quand je chute, je prie juste pour ne pas tomber sur la tête et inconsciente. Mais on m’a dit qu’il fallait tomber en boule et j’essaye vraiment de l’appliquer. Je pense que je me suis blessée parce que mon corps était un peu partout. Alors que si on essaye d’être le plus compact possible, ça évite qu’une cheville ou un bras ne traîne et ne prenne cher. C’est aussi important de se protéger la tête. Ce ne sont pas des choses auxquelles je pensais mais maintenant, j’y fais vraiment attention.

Y a-t-il eu un avant/après pour toi, à l’issue de cette session ?

Maintenant, j’ai une petite appréhension dans les tubes. Toutes les fois où je me suis fait mal, c’était dans un tube. La première session en jet ski que j’ai faite suite à ma blessure, tout mon corps tremblait alors que ce n’était pas gros du tout. Je voulais réessayer mais mon corps se souvenait que je m’étais fait mal dans ce contexte-là et encore aujourd’hui, quand je prends un tube, je dois me battre pour y rester, ne pas sauter et me dire que ça va bien se passer. En plus j’étais contente parce que juste avant cette session, je sentais que mon traumatisme était entrain de partir et je m’engageais de plus en plus. Plus jeune, je m’étais cassée les métatarses dans un tube aux Mentawais et depuis, j’avais vraiment du mal à me sentir bien dedans. J’étais sur une bonne lancée, mais ça fait partie du jeu. Et je vois que ça ne fait pas si mal donc il faut y aller (rires). Le plus dur finalement quand tu te blesses, c’est de devoir rester hors de l’eau pendant plusieurs semaines…

Est-ce que depuis, tu es plus prudente avant de te lancer ?

Ça dépend de qui me dit d’y aller (rires). Oui, j’essaye d’être plus prudente, surtout que je me suis blessée à trois reprises sur des vagues où je suis tombée. Mais quand on te dit d’y aller, parfois tu n’as pas trop le choix, tu es dans une position où tu ne sais pas si tu vas réussir ou pas, mais c’est aussi ça de prendre des bonnes vagues. Il faut trouver le juste milieu entre être prudent et potentiellement prendre la vague de sa vie.

Comment gères-tu ces sessions où le risque de blessure est plus élevé et le fait de continuer les compétitions ?

C’est vrai que c’est compliqué. Quand je me suis cassée la cheville et le tibia, je pouvais potentiellement me sélectionner pour les JO à Tokyo. On avait les sélections une semaine plus tard et je n’ai pas pu y aller. Ça m’a brisé le cœur parce que c’était l’un de mes objectifs de l’année. Cette blessure m’a empêchée de m’exprimer et d’aller au bout de toute mon année, en plus j’avais fait une super saison. Au début je faisais très attention pour ne pas me blesser mais je pense qu’il faut faire un choix et que mon choix se porte davantage sur ces sessions plus engagées, même si je continue à faire des compétitions. Les deux ne sont pas compatibles, ça je l’ai bien compris et j’en ai payé le prix fort.

As-tu senti ce jour-là, que tu étais allée au-delà de tes limites ?

Ce qui est sûr, c’est que je préfère me blesser au cours d’une session comme celle-ci, sur des vagues qui nécessitent un vrai engagement, plutôt que pendant un entraînement. Je trouve que ça en vaut presque la peine, parce que tu te surpasses. Mais je ne pense pas être allée au bout de mes limites, c’était un accident et ça peut arriver n’importe quand. Il y avait deux mètres engagés mais ça n’était pas non plus dangereux.

Quels sont tes objectifs maintenant dans les vagues plus conséquentes ?

Je veux y retourner et combattre ma peur. J’aimerais retrouver la mentalité que je pouvais avoir avant. C’est vraiment une histoire de confiance en soi, le surf c’est aussi beaucoup dans la tête. Une fois que tu reprends confiance en toi et que tu fais une bonne session, tu passes des caps. Depuis j’ai fait des sessions pas mal, dernièrement j’ai fait du tow in pour la première fois à la Nord et c’était beaucoup plus gros que quand je me suis cassé la cheville.


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