« Relever des défis » : Molly Picklum nous raconte sa vision du surf de compétition

La nouvelle génération dans le surf féminin, les vagues de conséquences et les bonnes bases pour atteindre ses objectifs...

28/03/2024 par Maia Galot

Tout comme nous avions pu échanger avec Crosby Colapinto au sujet de ses débuts sur le circuit CT, le MEO Rip Curl Pro Portugal a été l’occasion de rencontrer Molly Picklum, lors de l’une des journées off de l’événement. La surfeuse de 21 ans est arrivée au Portugal avec le lycra jaune sur le dos, après sa victoire à Sunset Beach et sa seconde place à Pipeline. L’Australienne a ainsi commencé en beauté sa 3e saison sur le Championship Tour de la WSL, indiquant sa volonté de dépasser son résultat déjà probant en 2023 losqu’elle avait terminé 5e mondiale à l’issue de Rip Curl WSL Finals.

Deux rounds et une 9e place sur l’épreuve portugaise lui auront suffit pour passer le cut de mi-saison (qui l’avait challengée en 2022) et ainsi échapper à la pression qui lui incombe. « Un bon début de saison enlève toujours un peu de pression vis-à-vis du cut, et je pense que c’est pour ça que j’arrive toujours au Portugal en profitant pleinement de la nourriture et des vagues sans trop penser à la compétition. (Molly avait aussi remporté l’étape de Sunset Beach l’année précédente, se trouvant déjà dans cette position en 2023, ndlr) Mais j’aime à penser que même si je n’étais pas dans cette situation, quoi qu’il arrive on ne contrôle que ce qui est en notre pouvoir donc j’espère que j’en profiterai quand même. Mais c’est tellement plus sympa d’arriver avec de bons résultats, c’est sûr. » exprimait-elle quant à son début de saison. Un échange riche avec la n°1 mondiale au lancement de la 4e étape du tour mondial à Bells Beach.

Portugal © Rip Curl Molly Picklum
Portugal © Rip Curl

Surf Session – De l’extérieur il semble que tu sois toujours ancrée dans le plaisir et l’aspect fun du surf, est-ce naturel chez toi ou quelque chose que tu as eu à travailler ?

Molly Picklum – C’est intéressant car j’ai la sensation que cet aspect de mon surf ne se révèle réellement qu’en ce début 2024. 2023 a été une année difficile pour moi. J’ai eu des blessures qui m’ont gardée hors de l’eau alors que tout ce que je voulais faire était de surfer, m’améliorer, et je ne pouvais pas. Je pense que c’est comme tout, quand on ne peut pas faire quelque chose on a d’autant plus envie de le faire. Je suis retombée amoureuse du surf avec la off season, sans planning pour me dire où aller. J’ai pu être libre de profiter de l’océan où qu’il soit, de la façon dont je le souhaitais, plutôt que d’être rythmée par un calendrier si lourd. Mais c’est aussi quelque chose que je travaille, je m’assure que je prends du plaisir à surfer et à faire de la compétition car ça rend les choses bien plus amusantes ! Si tu voyages et que tu aimes surfer alors le voyage ne te pèse pas mais si tu perds l’excitation de surfer alors le voyage peut se révéler épuisant. 

On parle beaucoup cette année de l’évolution du surf féminin, de la nouvelle génération qui repousse les limites, que penses-tu de ce narratif autour de vos performances ?

C’est intéressant car je suis dans cette phase où je cherche à déterminer quel sera ce narratif pour moi-même. Ces performances ont eu un gros impact, ça a touché beaucoup de gens. Beaucoup de gens ont allumé leurs écrans et ont regardé le surf féminin, c’était réellement un grand moment et je ne l’ai probablement pas réalisé pleinement, je suis encore en train de le réaliser. Mais pour ce qui est des femmes et de moi personnellement, je faisais juste mon truc !

J’ai une vision pour moi-même et ça inclut le surf féminin, puisque je suis une femme qui surfe. Ce qu’il s’est passé ce jour-là faisait partie de ma vision et je n’étais pas personnellement surprise. En revanche j’ai été surprise par la qualité des vagues que l’on nous a données et par le niveau de tout le monde ce jour-là, y compris le mien. Je pense que j’étais concentrée sur le fait qu’on était contentes de se pousser vers le haut et d’avoir de supers heats à Pipeline. Mais je ne tirerais pas toute la couverture à moi, il y a tant de femmes avant nous qui ont poussé le sport, qui ont mis la barre haute, que les prochaines ont repoussée pour en poser une nouvelle, afin que nous puissions à notre tour la repousser. Ce n’est pas à ma génération de revendiquer ce tournant, il appartient à toutes les femmes dans le surf.

Portugal © Rip Curl Molly Picklum
Portugal © Rip Curl

Tu es encore jeune et tu es déjà au coeur de ce narratif, cela peut-il être parfois intimidant ?

C’est marrant car je pense que je suis un peu naïve là-dessus. Les choses arrivent vite mais je suis dans ma bulle, je fais ce que j’ai envie de faire et j’essaie d’être une bonne personne, une bonne athlète. Je laisse le rester se dérouler, y compris de pousser le surf féminin, je ne me lève pas intentionnellement tous les matins en me disant « je veux pousser le surf féminin ». Je me dis plutôt que je veux travailler sur X aspect de mon surf, faire ci ou ça, en sachant que ça va peut-être faire bouger les choses. Ça ne change pas ma façon de faire, à la rigueur ça ajoute un peu de piment et de motivation. J’ai l’impression que chaque génération atteint un certain niveau et que la prochaine ira encore plus loin donc j’essaie de me pousser aussi loin que possible et je suis sûre que la prochaine génération prendra la suite.

As-tu toujours perçu les choses de cette façon ?

J’ai eu la chance d’être très bien entourée et accompagnée, on m’a toujours dit que j’avais les compétences pour réussir, que ce serait le cas mais que c’était un long chemin et qu’il ne fallait pas que je cherche à précipiter les choses. Je pense malgré tout qu’il m’a fallu arriver où j’en suis pour regarder en arrière et relier les points. Je me souviens avoir toujours fait confiance à mon entourage et en ce qu’il me disait, j’ai essayé de prendre le temps tant que possible mais parfois sur le QS j’ai été épuisée. J’ai perdu la passion du surf et de la compétition pendant quelques mois car je me poussais à outrance pour atteindre l’objectif, me qualifier et faire que tout ça arrive en une nuit. Une fois que j’ai traversé cette période difficile, j’ai compris que ça ne se ferait qu’avec du temps, que je ne conquerrai pas le monde ni aujourd’hui ni demain et que ce serait un effort long. Je pense que j’ai apprécié le processus, mais j’avais bien sûr le Tour en tête et mes objectifs. Maintenant je crois que je suis où je dois être, je fais ce que j’ai envie de faire et c’est bien sûr plus compliqué de le voir ainsi quand on est sur les Challenger Series.

Portugal © Rip Curl Molly Picklum
Portugal © Rip Curl

Tu parles de ton entourage, qui retrouve t-on dans ton corner ?

Glenn Hall est avec moi depuis longtemps, mes 14-15 ans, et notre relation a grandi et évoluée. Il a grandi avec moi, il est mon mentor et mon coach ce qui est super. J’ai un peu travaillé avec un psychologue du sport mais dernièrement je me suis un peu écartée de ça. J’ai confiance en mon coach et au système que nous avons mis un place. J’ai aussi deux bons kinés, Tom, le mari de Lakey Peterson, qui travaille pour Red Bull et voyage avec nous et également Paul de Surfing Australia, entre lesquels j’alterne. J’ai de bons managers qui viennent de chez moi donc j’ai la sensation que tout mon entourage me comprend et je me sens à l’aise quand j’échange avec eux. Je connais le rôle de chacun. En 2023 j’avais de bonnes personnes autour de moi mais je ne savais pas vers qui ou vers où me tourner par moments alors qu’aujourd’hui j’ai un process plus clair et je sais trouver ce dont j’ai besoin quand j’en ai besoin. C’est une petite équipe mais c’est super. Et j’ai bien sûr mes amis et ma famille qui me soutiennent !

Rip Curl Pro Bells Beach Molly Picklum
Molly à Bells Beach avec son coach, Glenn Hall © Ed Sloane/World Surf League

La vie sur le Tour peut-elle parfois se révéler solitaire ?

C’est intéressant car de l’extérieur on a l’impression de voir toujours les mêmes personnes, mais chacun a globalement son équipe et traine avec son groupe. On ne traine pas particulièrement ensemble au quotidien, bien sûr on peut se rejoindre si on le souhaite mais naturellement ce n’est pas le cas. C’est parfois difficile, on passe par différentes situations et parfois on peut avoir cette sensation d’être isolé au bout du monde, loin de chez soi. Malgré tout si on s’ouvre il y a de bonnes personnes prêtes à être une épaule et il suffit d’aller à leur rencontre.

Être rookie, que ce soit sur les Challenger Series ou le CT, c’est je pense le plus difficile. On a la sensation d’être isolé car on est nouveau. C’est comme être le petit nouveau à l’école donc je pense que c’est toujours difficile mais encore une fois si on s’ouvre et qu’on fait l’effort, on peut créer de belles relations. J’ai la chance d’avoir de bonnes amies sur le Tour maintenant, je loge avec Lakey Peterson lors d’événements, ça aide. Il faut s’avoir s’appuyer sur les autres. Il y a de bonnes personnes sur le Tour et dans le monde, il faut juste espérer les trouver. Si je devais donner un conseil à la version de moi qui était rookie en 2022, je pense que je me dirais de ne pas stresser. « Tu vas te sentir perdue, tu vas te demander ce que tu fais, tu vas suranalyser les choses mais ne stresse pas, c’est normal et on ne peut pas le contrôler, ça va passer. « 

MEO Pro Portugal Molly Picklum Sophie McCulloch
Sur le MEO Rip Curl Pro avec Sophie McCulloch, rookie en 2023 © Thiago Diz/World Surf League

À l’inverse, qu’est ce que tu aimes dans le surf de compétition ?

C’est marrant, j’ai justement eu l’impression dans la dernière année d’avoir commencé à me faire une idée des choses, à réaliser ce que j’aime dans la compétition et le surf. J’ai la sensation qu’avant je le faisais simplement car c’était là et que j’étais bonne à ça. Maintenant la compétition est un plaisir pour moi car ça me permet de relever des défis que peut-être je n’affronterais pas sans lycra. Être dans un heat avec des lifeguards qui ont les yeux sur toi et des gens pour te noter joue sur le fait de te pousser d’une façon saine et sécurisée. Et bien sûr quand il y a un but aux choses, on donne plus de soi-même. La compétition est amusante et j’aime gagner. J’adore affronter les autres et être mise dans ces situations de challenge, mais aussi travailler mentalement et physiquement pour m’en sortir. Je pense aussi qu’il y a des filles sur le Tour aujourd’hui qui poussent le niveau du surf donc c’est un gros challenge que j’adore.

Hurley Pro Sunset Beach Molly Picklum
Molly lors de victoire à Sunset Beach en 2023, portée par Brisa Hennessy et Tyler Wright. © Tony Heff/World Surf League

L’un de ces défis est d’affronter des vagues de conséquence sur le Tour, quelle relation as-tu entretenue avec ces dernières au fil de ton parcours ?

C’est l’une des choses dont je suis le plus fière, de relever le défi de vagues plus conséquentes. Purement parce que quand j’étais jeune, ça m’effrayait énormément. Quand je regarde les jeunes filles et ce dans quoi elles se mettent à l’eau aujourd’hui, je pense à moi à l’époque et je n’en étais vraiment pas là. Les vagues de taille me faisaient très peur et je ne suis toujours pas une chargeuse mais j’ai appris à aimer les challenges. Les vagues de conséquence sont un challenge pour moi donc j’ai mis le focus sur ça plus que sur d’autres choses. Je détestais ça quand j’étais jeune, je m’y suis exposée de plus en plus. Aujourd’hui je continue de m’y pousser, c’est en constante évolution.

Comment as-tu répondu à ce challenge, as-tu dû travailler physiquement ? 

Je pense que la plus grosse partie est venue du fait de s’y exposer, de l’aspect mental. Voir des vagues de cette ampleur et y être exposée de plus en plus permet de réaliser que l’on peut être en sécurité dans ces situations qu’on percevait comme terrifiantes par le passé. Physiquement, le facteur de force te permet de te sentir plus « capable », si tu rames plus vite par exemple. Si tu es plus en forme physique, tu peux aussi supporter plus de wipeouts et ça donne cette sensation d’être plus en sécurité donc je pense que ça joue son rôle, mais la plus grosse part reste mentale. Il s’est agit de me mettre à l’eau dans ces vagues et de les observer puis doucement me lancer sur des vagues de plus en plus grosses. 

Hurley Pro Sunset Beach Molly Picklum
Sunset Beach, 2023 © Brent Bielmann/World Surf League

À quoi ressemble ta préparation physique pour cela ?

J’essaie de rester constante et de faire du maintien physique tous les jours ou tous les deux jours. J’adapte mon entrainement à ce que j’ai à faire. Si je ressens le besoin de faire de la musculation, je fais une session avec des poids, si j’ai beaucoup surfé et que je suis assez fatiguée je fais plutôt des étirements. Je laisse mon corps me dire ce dont j’ai besoin mais j’essaie de rester régulière parce que le calendrier est très long et que c’est important. M’être blessée m’a montré qu’en restant régulière mon corps me laisserait faire ce que je veux faire alors que si je ne le fais pas, les ennuis commencent à revenir.

Aujourd’hui dans ton surf, sur quoi souhaites-tu travailler ?

Je dirais que j’aimerais m’améliorer dans les tubes. C’est un élément clé dans le surf féminin aujourd’hui, on va à Pipeline, Tahiti ou encore Fidji, donc c’est crucial. Il y a aussi les airs mais pour le moment le Tour ne propose pas trop de vagues qui demandent cela. J’aimerais aussi faire de plus gros et de meilleurs turns (rires).  Avec les performances qu’on a vues cette année à Pipeline et Sunset je pense qu’on a pu observer les filles qui se sont concentrées sur les tubes plus que d’autres, celles qui ont su se démarquer ces jours-là. Je suppose que toutes les femmes sur le Tour ont aujourd’hui cet élément en tête et cette volonté de s’améliorer, puisque le Tour le demande. 

Hawaii © Rip Curl Molly Picklum
Hawaii © Rip Curl

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