"Je pense que la culture surf française commence à prendre plus de valeur et d'authenticité".
24/12/2021 par Rédaction Surf Session
Initialement publié le 28 juillet 2021.
Récemment, le shapeur Naje nous a ouvert les portes de son atelier d’Anglet, où il fabrique ses planches depuis plusieurs années.
Il travaille dans un ancien hangar industriel. Pénétrer dans ce volume spacieux, entouré de végétation, c’est aussi entrer dans son univers. Des planches finies ou en cours de fabrication sont accrochées aux murs, d’autres sont simplement posées. C’est un lieu de fabrication artisanale où l’inspiration vient aussi, un peu hors du temps et loin du tumulte estival. Assez rapidement Jean (anagramme de Naje) nous informe qu’il est en train de repenser l’aménagement de la plus grande pièce de son atelier où nous nous trouvons, qu’il y réfléchit, qu’il y revient.
Naje se situe à la croisé de plusieurs disciplines, entre art et artisanat.
Celui qui bosse désormais beaucoup avec Oxbow aime la photographie, prend des photos et les développe lui-même. Il aime le cinéma, la vidéo, a même créé une boîte de production et réalise des films. Il fait du surf et fabrique des planches. Il aime la musique et joue de plusieurs instruments dont le saxophone qu’il apprend. Il nous a aussi glissé qu’il faisait de la couture lorsqu’on évoquait le réaménagement de son espace et l’éventualité d’y installer une table de couture…
Vous l’aurez compris, quand Jean aime quelque chose, il a besoin de s’en saisir, de rentrer en contact avec la matière, de créer de ses propres mains. Pour lui qui est très attaché à l’histoire du surf et influencé par les cultures hawaiienne et californienne, cette pratique est beaucoup plus qu’un sport. C’est un héritage ancestral qu’il aime transmettre et valoriser. Nous avons pu discuter avec ce shapeur pour qui il est primordial de transmettre la tradition et l’héritage de la culture surf.
Entretien !
Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques mots et revenir sur ton parcours, ce qui t’a amené au shape.
Naje – « J’ai commencé à surfer quand j’avais 11 ans dans le Médoc, chez mes grands-parents. Après m’être éloigné de l’océan, je me suis mis à fond dans le skate. Il y a 15 ans, je me suis installé au Pays-Basque. C’est là que je me suis vraiment mis au surf et que j’ai commencé à fabriquer mes propres planches. Le plus dur au début ça a été de trouver un atelier. Avec mon pote Thibault on a trouvé un ancien atelier de shape qui accueillait à ce moment là une petite dizaine d’artistes peintres, un luthier et un autre shapeur. Petit à petit, les gens sont partis et on ne les a pas remplacé. L’atelier est redevenu un lieu entièrement consacré au shape. C’est à ce moment-là qu’on a monté l’association Blank Surf Shack avec laquelle on apprenait aux surfeurs à créer leur propre planche. Ça nous a permis de créer une petite communauté autour du shape.
Peux-tu nous parler des premières planches que tu as shapé, du lieu où tu as commencé…
Naje – La première planche à laquelle j’ai donné un coup de main était une planche qui m’était destinée, shapée par Daniel’s Longboards. À l’époque, je faisais des images pour une expo et je l’avais filmé. J’ai commencé à apprendre en le regardant, c’est comme ça qu’on a fini par faire une planche ensemble. Par la suite il m’a vendu une planche des années 1970 complètement défoncée. On l’a destratée, on a remplacé son round tail par un fish et on a remis une latte en paulownia. Je me suis ensuite mis à faire des hull, des petits twin-fins et beaucoup de single. Après j’ai commencé à pousser les tailles, ce qui m’a forcé à faire plus attention à ce que je faisais, à davantage mentaliser mes planches et à réfléchir à ce que je voulais faire.
Ton parcours semble indissociable de l’art. D’ailleurs pour toi le shape est un vrai processus créatif. Peux-tu nous en dire davantage à ce sujet ?
Naje – Pendant longtemps j’ai fait des films avec une société que j’ai créé en arrivant ici. J’ai toujours été passionné par la photo, la vidéo, la musique… Mais il me manquait quelque chose de plus manuel. La photo comme la vidéo sont hyper cérébrales. On visualise ce que l’on veut faire et on a juste à cliquer. Le travail en labo photo lui, est très manuel, il me fait d’ailleurs parfois penser à celui que je fais dans la salle de shape. C’est un endroit fermé où l’on perd la notion du temps. Je trouvais ça beau de construire son instrument et de l’utiliser. C’est à toi de penser à un objet fonctionnel dans l’eau, par rapport à ton niveau, ton gabarit, le spot que tu surfes…
Il y a un véritable lien pour moi entre la musique et le surf. Dans les deux cas c’est un instrument qui met en relation l’individu et la pratique. C’est la planche de surf qui relie le surfeur à l’océan. La musique comme le surf, c’est une tradition interprétée. Tout à déjà quasiment été fait. Mais il s’agit de s’inspirer du passé et de créer ce que tu as envie de créer, d’interpréter les choses à ta manière. Je trouve que c’est un très beau processus !
Ces différentes disciplines ont développé mon analyse de la géométrie, de la composition, des courbes, de l’harmonie des formes et des proportions. Mais je ne suis pas quelqu’un qui mesure tout sans cesse, je travaille au toucher. J’aime que mon travail soit intuitif, instinctif. Contrairement à la photo ou la vidéo le shape est quand même plus terre à terre. C’est davantage de l’artisanat d’art. Il y a certes une dimension d’interprétation mais c’est avant tout des techniques, des lois d’hydrodynamie, des principes physiques. Ce sont des éléments qui te donnent des pistes pour avancer et qui offrent un cadre, pas comme la photo ou la peinture dont le champ des possibles est immense. Mon travail c’est aussi d’interpréter ce que le ou la surfeuse désire, de voir des choses qu’il ou elle n’a encore peut être pas vu mais qui vont le/la faire progresser.
Dans ton métier, le côté relationnel est donc aussi très important ?
Naje –Oui ! J’adore recevoir les gens, discuter avec eux, les connaitre. Je suis curieux. Ça me permet d’imprimer la personne, je pense à elle quand je shape. J’aime quand les surfeurs viennent dans mon atelier. Je pense que c’est une véritable expérience pour eux, ça créé une histoire autour de leur planche. La rencontre, le fait d’échanger fait souvent évoluer leur idée de départ. Entre leur idée initiale et le résultat final il y a tout un cheminement. Une histoire s’écrit avant même que la personne se mette à l’eau avec sa planche. Ça lui permet aussi de progresser dans son surf.
J’aime créer des relations et échanger avec les gens et je pense que cet échange est bénéfique autant pour eux que pour moi. Ça me fait vivre et eux ça les fait progresser, ça apporte quelque chose à leur surf. J’aime quand un surfeur me dit que ça marche avec la planche que je lui ai fabriqué, avoir un retour ! Quand tu changes de planche parfois il faut un déclic, l’intégrer, changer un peu sa façon de surfer, ses trajectoires…
Qui sont les shapeurs qui t’ont inspiré ? Quelles sont tes influences majeures ?
Naje – J’ai été inspiré par des shapeurs californiens comme Greg Liddle, Skip Frye, Phil Edwards ou Hobie. Mais aussi par des shapeurs hawaiiens comme Brewer, qui faisaient d’autres types de planches mais qui sont pour moi de grands maîtres. Il y a également des mecs comme Pat Curren qui a travaillé certaines courbes toute sa vie. L’harmonie des courbes et des volumes qu’ils ont réussi à trouver est très inspirante pour moi. En termes de planches j’aime beaucoup les grandes planches, les Glider. Un design qui m’a beaucoup fait évoluer c’est les Hull, elles m’ont fait comprendre qu’il y a plein de façons de surfer différentes. Ce sont des planches convexes en dessous, qui se surfent un peu comme un longboard mais qui sont plus petites. Elles vont plus vite et offrent moins de résistance.
Quels sont les lieux ou les cultures qui t’inspirent dans ton travail ?
Naje – Il y a bien sûr la Californie mais surtout Hawaii, là où le coeur et l’essence de l’esprit du surf sont nés. À Hawaii le surf relève du sacré, les Hawaiiens en ont une approche différente, ils ont un plus grand respect pour leurs ancêtres. Leur culture est liée au surf et à l’océan. Ici c’est différent, c’est plutôt arrivé comme une activité, un sport. On estime moins son histoire.
Tu as l’air très attaché à la tradition du shape que tu aimes transmettre. Mais quelle est ta touche personnelle ?
Naje – Je dirais que la touche personnelle que j’apporte à mon travail c’est mon histoire, ma pratique du surf qui évolue toujours. J’aime les grandes planches, mais j’aime aussi la vitesse sans forcément avoir envie de faire des noses. J’ai un pote Simon lui, qui fait davantage de nose riding. On fait des modèles ensemble. Je rencontre aussi des gens ou des potes qui ont des envies différentes. Tout ça créé des mélanges, des allers retours. Lorsque je créé une planche c’est de l’affinage, c’est rare que je fasse un modèle définitif tout de suite. J’aime travaille une planche en détails, dans son ensemble, réussir à trouver une harmonie, un équilibre entre tous ses éléments.
Quels matériaux utilises-tu pour tes planches ? D’où viennent-ils ?
Naje – Tous mes pains de mousse viennent de Californie, de l’entreprise Us Blanks reprise par ses enfants, ils ont une grande expérience, je peux leur demander un peu tout ce que je veux au niveau du latage, des densités, rockers. C’est du sur-mesure. Je fais aussi le glaçage de mes planches. Pour les customs c’est mon pote Tristan qui s’en occupe, il est juste à côté, on fait un travail d’équipe. Ça reste local, c’est important.
Tu travailles avec Oxbow qui a décidé de soutenir des shapeurs locaux et la scène surf française. Qu’est-ce-que ce partenariat signifie pour toi ?
Naje – Je trouve ça bien. Ce n’est sûrement pas les plus grosses ventes qu’ils vont faire mais ils ont choisi de mettre en vente des planches fabriquées à la main sur leur site, de commander des planches à trois shapeurs locaux dont moi. C’est un bon point de vouloir mettre en lumière le shape local et de nous supporter. Le shape c’est quand même le coeur du surf, c’est une tradition à conserver, encore plus quand ce sont des planches fabriquées dans le coin ! Avant j’étais ambassadeur pour eux, maintenant c’est davantage une collaboration. Ça me donne de la visibilité, même si je ne veux pas non plus être complètement associé à ça. C’est vraiment une bonne démarche de vouloir acquérir quelque chose de plus authentique.
Quel est le rôle du shapeur dans la culture surf pour toi ?
Naje – Son rôle premier c’est la transmission d’un savoir, d’une histoire, d’un héritage ancien. Faire des planches c’est pratiquer et transmettre une façon de faire, une manière d’estimer ces objets mais aussi l’océan et le rapport que tu entretiens avec lui. J’aime affiner et faire évoluer les planches. Pour moi c’est quelque chose qui se transmet. Quand les gens viennent dans mon atelier, ils découvrent les planches, voient comment elles sont fabriquées. Ils visitent la salle de glace pleine de détails puis la salle de shape qui à l’inverse est très épurée… Ce sont deux univers très différents. Ces choses montrent aux gens que le surf ce n’est pas que la compétition ou les JO, parce que maintenant c’est beaucoup par ce biais là qu’ils vont le connaître. Et puis en tant que shapeur j’ai les mains dans la poussière, c’est de l’artisanat et je suis proche des gens.
Y a-t-il plus ou moins de monde qu’avant qui se tourne vers des planches shapées à la main ?
Naje – Je pense que ça a toujours été un va et vient, un peu comme une houle. Il y a des pics puis ensuite des moments plus creux. Mais ces derniers temps la population de surfeurs a explosé, notamment avec la crise sanitaire. La demande est plus importante. Je me demande si ça vient d’une vraie volonté de faire marcher le local, mais je pense que oui. Il y a pas mal de surfeurs qui viennent en me disant qu’ils ont acheté leur planche dans une boutique mais qu’il n’y a pas vraiment d’histoire derrière. Je pense que la culture surf française commence à prendre plus de valeur et d’authenticité. Je pense qu’il y a des choses à faire ici, mettre en lumière des gens qui oeuvrent pour ça. Il faut continuer, comme nos ancêtres, à fabriquer des planches de la meilleure manière possible.
Et pour finir, est-ce que tu connais des femmes qui shapent ?
Naje – J’en connais peu qui shapent, mais j’aimerais bien en connaitre davantage. J’en connais une en Californie, qui s’appelle Furrow. Par contre il y a beaucoup plus de femmes à l’eau, ça créé un équilibre. Je trouve que souvent les nanas comprennent vite le truc de la glisse. Elles se prennent moins la tête à vouloir un truc trop hardcore dès le début. Beaucoup commencent avec le longboard ».
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