« Session engagée » : Charly Quivront raconte…

" Ça a sans doute été la session la plus courte mais la plus intense de toute ma vie."

27/11/2023 par Ondine Wislez Pons

Initialement publié le 31 mai 2023.

Charly Quivront Teahupo'o
© Kirvan Baldassari
Charly Quivront à Teahupo'o en jet ski

Charly Quivront se trouvait à Tahiti le 13 août 2021, lorsque le spot de Teahupo’o a été frappé par un swell désormais historique. Nous nous sommes posés avec le surfeur du team Volcom qui nous a raconté comment il avait fini par prendre le plus gros barrel de sa vie, au cours de la session la plus courte, mais la plus intense de sa jeune existence. Tracté par Lucas Chumbo pour sa première fois en tow-in et sa première fois sur le célèbre spot tahitien, le Français nous raconte comment cette vague a changé son approche du surf dans des vagues plus grosses.

Surf Session – Salut Charly ! Tu as donc choisi de nous parler d’une session en particulier pour cette chronique « session engagée » ?

Charly Quivront – Il y en a plusieurs qui me viennent à l’esprit mais je pense que j’ai fait ma session la plus engagée à Teahupo’o, le 13 août 2021, le jour où Matahi Drollet et Kauli Vaast ont pris leur grosse vague en tow-in. Ce jour-là, j’ai eu le plus gros barrel et la plus grosse vision de ma vie. Quand j’étais plus jeune, j’ai fait une session mémorable à la Barbade avec William Aliotti (une session que Charly raconte dans l’épisode Impact Zone qui lui est consacré.) C’était très spécial, ça n’arrive quasiment jamais que ça soit aussi gros et aussi parfait là-bas. On était sous pression et on manquait d’engagement parce qu’on était que tous les deux, il n’y avait personne à l’eau pour nous pousser un peu, les locaux eux-mêmes n’y étaient pas. Une autre session plus récente m’a également marqué, en novembre à Aileen en Irlande. Mais je vais choisir celle que j’ai faite à Teahupo’o.

Surf Session – Tout d’abord, que représente Teahupo’o pour toi ?

Charly Quivront – Quand j’étais plus jeune, que je suis arrivé à Hossegor et que je suis rentré dans le team Volcom, j’étais entraîné par Didier Piter et je me souviendrai toujours, quand je suis allé chez lui pour la première fois, qu’il y avait une photo de lui à Teahupo’o. Un des boss chez Volcom avait aussi une photo de lui là-bas. Depuis, j’ai toujours rêvé d’avoir ma photo dans cet énorme barrel. Je pense que tu ne peux pas avoir une photo aussi parfaite ailleurs et au-delà des images il y a l’expérience, c’est intimidant et c’est une chose que très peu de gens vivent sur cette planète. Je prends ça comme un privilège, c’est énorme de vivre ça au moins une fois dans sa vie.

Surf Session – Peux-tu nous remettre dans le contexte de cette session du 13 août 2021 ?

Charly Quivront – J’étais à Teahupo’o pour les trials, mais il y avait des problèmes liés au Covid et la compétition a été annulée. Je me suis retrouvé là-bas au bon moment, quand il y a eu la grosse houle et il n’était pas question pour moi de changer mon billet et de rentrer à la maison la queue entre les jambes. Sur place, j’étais bien accompagné, j’étais avec Ian Fontaine, Mihimana Braye et d’autres locaux tahitiens que j’avais l’habitude de voir l’hiver à Hawaii, comme Matahi Drollet ou Lorenzo Avvenenti. J’ai à peine surfé le spot la veille au soir de la grosse journée où l’on a fait du tow-in et la houle était vraiment entrain de grossir. J’étais avec Lucas Chumbo et Mihimana Braye, j’ai pris deux barrels à la rame, juste avant la nuit. Un énorme set est arrivé, on a ramé au large et je me souviens d’être passé par dessus la vague, de regarder derrière et de voir cet énorme trou noir.

Surf Session – Et le lendemain, tu t’es attaqué à Teahupo’o en tow-in ?

Charly Quivront – Le lendemain j’ai passé une grande partie de la journée dans le bateau avant de me mettre à l’eau. C’était déjà très impressionnant de voir les vagues de côté. J’avais une board, mon casque et un gilet, j’étais équipé pour potentiellement saisir l’opportunité de surfer si on me le proposait mais je n’étais pas dans l’optique de demander aux gars de me mettre sur une vague. Après avoir regardé toute la session de la matinée, on a dû rentrer au port pour manger et j’ai vraiment ressenti la frustration de ne pas avoir pu rester plus longtemps pour regarder et de ne pas avoir pu prendre une vague. Je me disais que la journée était finie pour moi, que je n’en prendrais pas et même si je partais sans objectif, j’ai ressenti un petit pincement au coeur. On est arrivé au port, la marina était fermée et la police bloquait les bateaux. La houle était si grosse que les pontons étaient cassés, les vagues rentraient dans les maisons au bord du lagon et passaient par-dessus la route. Je suis allé chez mon pote Lorenzo dont le ponton privé nous permettrait de partir sans que les flics nous arrêtent.

Surf Session – Tu es donc monté dans le bateau ?

Charly Quivront – Oui, je suis allé les voir, c’était des locaux et j’en connaissais certains dont Tereva David et je leur ai demandé si il y avait une place pour moi, pour continuer à regarder. Ils m’ont dit que dans le bateau il n’y avait que des gars qui allaient surfer et j’y suis allé. Une fois que l’on est arrivé sur place, Lorenzo est venu me voir avec son jet ski et il m’a dit de monter. On a fait un petit tour de Teahupo’o. Il m’a emmené dans le lagon pour checker la vague d’en bas, il m’a regardé et m’a dit « mec, regarde moi dans les yeux, si tu ne surfes pas maintenant tu vas le regretter toute ta vie, ça va changer ta vision de prendre une vague ici. » Il m’a motivé comme un malade, je voulais y aller mais j’avais besoin de quelqu’un qui me motive et me donne confiance à ce moment-là. Quelqu’un qui me mette un petit coup de pied au cul.

Surf Session – Raconte nous ta vague !

Charly Quivront – À ce moment-là, Lucas Chumbo est passé devant nous en jet ski et Lorenzo lui a dit qu’il fallait qu’il me donne une vague. Je me suis dit « ça y est Charly c’est ton moment !  » Je me suis changé à une vitesse folle, j’ai mis mon gilet, Lorenzo m’a tendu son casque en me disant « tiens, prends mon casque, il est magique » et je me suis retrouvé dans le channel à aller au large, les pieds dans les straps. C’était la fin de l’après-midi, c’était plus petit que le matin, mais il restait tout de même de grosses séries. Au moment où on est arrivé au pic il n’y avait que deux jet skis, le notre et celui de Matahi Drollet, juste avant qu’il prenne sa bombe de la journée. J’ai dit à Lucas que je n’avais jamais fait de tow-in et je lui ai demandé de me poser sur une petite vague pour commencer. J’ai pris un barrel de 2,5m, la vague a soufflé et je suis sorti nickel. Il m’a récupéré dans le channel, je me suis remis debout, on est arrivé au pic et là, une vague est arrivée. Le jet n’a même pas eu le temps de s’arrêter qu’il m’a reposé sur cette seconde vague qui fut ma meilleure vague. Lucas n’a pas eu à me dire de lâcher la corde, ça s’est fait hyper naturellement. Il y a eu une première marche à descendre, je l’ai descendue puis j’ai fait mon bottom avant de prendre ma ligne et de rider le barrel. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de l’ampleur et de la beauté de la vague, de son épaisseur, de sa largeur. J’ai un peu perdu le feeling de mon corps, seule ma tête pensait, j’étais en autogestion totale. Tu ressens tellement d’adrénaline que tu ne sais pas trop ce que tu fais, j’ai vécu le moment mais je n’étais pas très conscient de ce qu’il se passait. La vision était énorme, je suis sorti et ça a soufflé tellement fort que je ne voyais plus rien. Quand j’ai commencé à voir de nouveau j’ai aperçu les bateaux qui étaient là, tout proches, à 20 mètres de moi et j’arrivais tellement vite que j’ai dû me jeter en arrière. Lucas m’a ensuite proposé d’en prendre une deuxième mais j’ai voulu rester sur celle-ci. Cinq minutes seulement se sont écoulées entre ma première et ma seconde vague, ça a sans doute été la session la plus courte mais la plus intense de toute ma vie, au cours de laquelle j’ai vécu le meilleur ride de ma vie. C’est rare de vivre une session comme ça, où tu regardes des vagues toute la journée pour ensuite en prendre une sur un temps aussi court. Finalité de l’histoire, j’ai ma photo encadrée dans mon salon.

Surf Session – Tu as vu Matahi prendre sa vague ?

Charly Quivront – Juste avant la mienne, Matahi a pris sa vague. On était au line-up avec Lucas, j’étais assis et j’attendais. C’était le moment où j’allais lui demander de me poser sur une petite vague pour commencer et je ne voyais pas ce qu’il se passait derrière. Ça faisait 8 heures que Matahi attendait au large et dès qu’une série arrivait on était jamais sûrs qu’il n’allait pas appuyer sur la gâchette. Il a laissé passer tellement de vagues qu’on ne voulait pas prendre le risque de partir. Lucas m’a dit que si Matahi n’y allait pas je pouvais y aller. Tout à coup Matahi s’est levé, le jet ski est parti, il est passé à fond à 2 mètres de moi et j’ai vu sa vague de derrière qui était monstrueuse, puis le souffle. J’ai entendu tout le monde crier dans le channel pendant au moins une minute. Ensuite, on s’est retrouvé seul et j’ai ressenti un petit coup de pression, j’avais passé toute la journée à regarder les vagues et tout d’un coup j’étais au pic entrain de regarder les bateaux. Si une grosse vague arrivait j’étais obligé d’y aller.

Surf Session – Y a-t-il eu un avant/après cette session ?

Charly Quivront – Après cette vague, ma vision du surf a vraiment changé, elle m’a ouvert l’esprit sur ce qu’il était possible de faire dans les grosses vagues. Sans elle, je ne sais pas si j’aurais eu la même approche de ma récente session en Irlande. Mentalement, j’ai eu un déclic. J’ai toujours aimé prendre des tubes, des gros tubes, même si surfer des grosses vagues avec des guns ne m’intéresse pas. Quand je suis allé en Irlande, c’était très différent. C’était une grosse droite en bas d’une falaise qui mesurait 215 mètres de haut, l’environnement était hostile, il fallait se changer en haut puis descendre à pieds. Il faisait très froid, on portait des chaussons, une cagoule, un gilet, il fallait surfer une grande board, j’étais en 7’2. Mais ça a changé quelque chose d’être dans une vague aussi grosse à Teahupo’o, d’avoir une vision de l’intérieur aussi grosse, je n’avais jamais pu vivre ça avant, même en step off à Hossegor. Teahupo’o m’a donné un peps de confiance et m’a permis de passer un cap, j’ai compris que c’était possible de surfer des vagues aussi grosses. Ça m’a donné envie de recommencer mais peut être plutôt sur des droites, j’ai plus de faciliter à faire des tubes frontside.


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