Barbuda : le projet d’une station balnéaire menace le mode de vie des insulaires

Le projet immobilier d'un milliardaire américain menace le lieu, son environnement et, par ricochet, l'écosystème dunaire qui permet aux vagues du coin d'exister.

26/01/2021 par Marc-Antoine Guet


D’un côté, les partisans de ce projet de luxe estimé à 2 milliards de dollars américain qui mettent en avant l’argument économique. De l’autre, les opposants qui affirment que ce projet risque de détruire l’habitat naturel ainsi que les traditions et la culture de Barbuda. Des opposants qui craignent de voir disparaître à jamais ce paysage qui a bercé leur enfance. 
Trois ans après avoir été dévastée par l’ouragan Irma, cette petite île des Caraïbes est aujourd’hui le théâtre d’une âpre dispute entre insulaires et promoteurs étrangers. Ces derniers prévoient en effet de construire un projet hôtelier de luxe estimé à 2 milliards de dollars non loin de la péninsule de Palmetto Point


Selon eux, un groupe d’investisseurs, dont John Paul Dejoria (entrepreneur milliardaire à l’origine des produits capillaires Paul Mitchell), aurait obtenu un bail de 99 ans pour créer, en bord de mer au sommet d’une zone humide protégée par un traité international, des centaines de maisons privées de luxe ainsi qu’un terrain de golf. Le projet s’appellerait Peace, Love and Happiness (PLH). 
Les partisans de ce projet mettent bien entendu en avant l’argument économique, soulignant que le projet aurait déjà créé des dizaines d’emplois pour une île qui se remet encore de l’ouragan de septembre 2017. Les opposants, eux, affirment que ce projet empiétera sur un parc national, endommageant l’un des plus grands sites de nidification de frégates au monde. Sans compter que la végétation contribue également à protéger les terres contre l’érosion lors de tempêtes de plus en plus violentes, comme l’ouragan Irma, qui a détruit l’île en 2017.

Les promoteurs affirment que leur concept a été conçu à la suite d’un vote public d’approbation de la communauté en 2016. Les opposants eux, affirment qu’on ne leur a pas dit où exactement le projet aura lieu et que le plan directeur détaillé a été rédigé peu après Irma, lorsque la totalité des 1600 habitants de Barbuda avait été évacuée de force à Antigua. Une affirmation niée par le gouvernement central et les promoteurs.
Toujours selon les informations du Guardian, les travaux seraient déjà bien avancés sur le site, où mangroves et autres plantes indigènes auraient déjà été enlevées pour être replantées ailleurs. Environ 40 des 395 résidences annoncées sur le site web de la firme auraient déjà été vendues, et la construction d’une piste internationale aurait commencé pour faciliter l’accès des jets privés.

Ces zones humides (normalement protégées par un traité mondial) sur lequel le projet devrait voir le jour sont cruciales pour la santé des récifs coralliens et pour les ressources marines. En plus d’être le lieu d’habitat de nombreuses espèces endémiques. 
En décembre dernier, le Réseau mondial d’action juridique (GLAN) a appelé à une enquête internationale sur la destruction des habitats inscrits sur la liste de ce fameux traité mondial. Le « GLAN » a déclaré avoir envoyé des preuves, notamment des rapports scientifiques d’experts, au secrétariat des responsables de ce traité, leur demandant une intervention urgente.
Voilà ce qu’a alors déclaré au Guardian, le porte-parole du GLAN, le Dr Tomaso Ferrando : « L’ampleur de la modification de cet habitat est telle que nous pensons qu’une mission consultative internationale est nécessaire pour évaluer d’urgence les changements déjà en cours et éviter une nouvelle dégradation ».
Le projet se déroule dans le contexte d’une dispute amère entre Barbuda et sa grande sœur Antigua sur le renversement par le gouvernement central d’un système séculaire de propriété foncière communale. Système qui a survécu depuis l’abolition de l’esclavage.
Historiquement, toutes les terres de Barbuda appartenaient à la communauté et les parcelles de terre ne pouvaient être ni achetées ni vendues. Cette pratique a été codifiée dans la loi en 2007. La nouvelle législation de 2017 a introduit la vente en pleine propriété des terres, mais elle fait toujours l’objet d’une bataille judiciaire. En septembre, la cour d’appel des Caraïbes orientales a accordé aux militants le droit de porter l’affaire devant le Conseil privé de Londres, le tribunal de dernier recours du pays.
De nombreux Barbudiens sont toujours furieux de ce qu’ils considèrent être le vol de leur droit d’aînesse, et ce conflit a même déclenché des appels à la sécession d’Antigua.
« Le gouvernement essaie de nous faire un lavage de cerveau en disant qu’il nous aide, tout ce qu’il veut, c’est notre terre », a déclaré Mackenzie Frank, résident et militant.

Le gouvernement du Premier ministre Gaston Browne a réagi avec véhémence, soulignant que le gouvernement central paie la majeure partie des salaires des Barbudiens (dont beaucoup sont employés par la fonction publique), assimilant sans cesse la petite île à un « État-providence » et ses 1 200 habitants à des « imbéciles ». En ce début d’année, le Conseil de Barbuda, qui gère les affaires internes de l’île, a tenté d’arrêter la construction, en invoquant notamment les dommages causés aux habitats de la flore et de la faune protégées.
Jackie Frank, membre du Conseil, a déclaré qu’aucun avantage financier ne pouvait compenser la « destruction de l’environnement ».
« La région était vierge et belle la dernière fois que j’y suis allé pour cueillir des raisins », a déclaré Jackie Frank, qui craint que l’élimination des dunes ne mette en danger les habitants de l’île. « Ma crainte est qu’elles se déchirent trop et qu’il n’y ait pas de retour possible ».


Ce développement risque d’avoir un impact significatif sur les traditions et les cultures des habitants locaux qui, si le projet aboutit, devra revoir sa façon d’utiliser les terres.  
Dans l’île, si l’agriculture et le tourisme à petite échelle aident certains à gagner leur vie, les possibilités d’emploi intéressantes restent assez difficiles à trouver.
Toujours selon The Guardian, un porte-parole du projet hôtelier aurait déclaré que la société replantait en ce moment des milliers de plantes indigènes qui couvriront près de la moitié de la masse terrestre du projet. 


Un combat loin d’être évident à mener pour des Barbudiens tiraillés entre leur attachement viscéral à leurs terres, et le mirage économique qu’entraîne un tel projet. 
« Ils peuvent parler d’opportunités économiques, mais ces opportunités ne nous appartiendront pas. Je possède 62 miles carrés de terre – et chaque Barbudien peut dire la même chose. On nous demande d’échanger tout cela contre un travail qui appartiendra à quelqu’un d’autre », a précisé au journal britannique John Mussington, biologiste marin local. « C’est un projet qui s’est fait au détriment de la vie des gens. Chaque jour est comme un combat pour notre survie. »

Affaire à suivre.                          

          


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