Entre performance et esthétisme, ce shapeur français nous parle de son travail, ses voyages, ses rencontres et ses collaborations avec de grands noms du shape...
14/08/2021 par Rédaction Surf Session
Pierre, l’auteur des planches estampillées Zaka Surfboards, nous a récemment accordé un entretien. L’occasion pour lui de revenir sur son travail, ses voyages et les rencontres déterminantes qu’il a faites. Car ses planches sont le fruit d’un travail de longue haleine et d’une vie passée à voyager, à partager et à apprendre.
Dans le monde du shape, Pierre Cazadieu fait partie de ceux pour qui la fabrication de planches de surf est un art, une tradition. Lorsque Pierre créé une planche, il fait tout de A à Z, de la sculpture du pain de mousse à la résine teintée et aux customs. Il accorde aussi beaucoup de soin aux finitions. C’est en 1980 qu’il créé sa marque, Zaka Surfboards, lui qui a appris et travaillé au contact de grands noms du shape international tels qu’Eric Arakawa, Maurice Cole, Simon Anderson ou encore Greg Webber.
Pierre fait partie de cette génération de surfeurs qui, dans les 80’s, a dû se fabriquer ses premières planches en raison de l’absence de matériel. C’est de là que sa passion pour le shape est née. Ses connaissances, il les doit aux rencontres et à ses nombreux voyages. Que ce soit aux États-Unis, en Australie, au Japon, ou encore pendant ses hivers passés à Hawaii, Pierre a appris à perfectionner ses compétences, à s’essayer aux diverses techniques et aux différents modèles de planches. Une chose est sûre, Pierre est imprégné d’un savoir faire traditionnel et de techniques précieuses. Sa collaboration avec diverses marques de surf a également contribué à enrichir son expérience. Le travail qu’il réalise aujourd’hui dans son atelier de Soustons se situe à mi-chemin entre performance et esthétisme. Il créé des planches performantes et Old School, du rétro fish au single classique en passant par le bonzer.
Largement influencé par les modèles des 60’s et70’s, ses planches sont avant tout des objets beaux et uniques.
Entretien
Peux-tu avant toute chose, revenir sur ton parcours ? Sur ce qui t’a amené au shape ?
Pierre –« J’ai commencé à surfer à l’âge de douze ans. À cette époque là, dans les années 80, il n’y avait pas de matériel ni de planches de surf. C’est à ce moment-là que j’ai essayé de me faire ma propre planche. J’ai commencé comme ça, chez moi, à la maison. Puis j’en ai fait pour mes amis. Tout est parti de là. J’ai ensuite rencontré d’autres shapeurs lors de leur venue en France, je pense à Maurice Cole ou Eric Arakawa notamment.
Lorsque tu as shapé tes premières planches, avais-tu un lieu dédié pour cela ?
Pierre –J’ai commencé dans le magasin de ma mère, dans une pièce qui se trouvait à l’étage. Il y avait beaucoup de poussière, ça sentait la résine. D’ailleurs je me faisais engueuler par ma mère parce que ça sentait partout dans le magasin et tout le monde se demandait d’où ça venait. Ensuite, avec un ami, on a monté notre premier atelier avant de créer la marque Koungat Surfboards à Vieux Boucau. C’est là qu’on a commencé à faire des planches à l’année. À cette époque, j’ai commencé à shaper des planches pour Fabio Gouveia qui faisait partie du circuit mondial junior. On s’est rencontré et je lui ai fait des planches pendant plusieurs années lorsqu’il venait ici l’été. J’en ai aussi fait quelques-unes pour Barton Lynch qui était aussi sur le Tour dans les années 80’s et les années 90’s. J’ai rencontré des shapeurs comme Maurice Cole, Eric Arakawa, Simon Anderson, Greg Webber.
Après l’atelier de Vieux Boucau, j’ai commencé à travailler pour Rip Curl à Capbreton. Également pour Maurice Cole qui avait monté sa société à ce moment-là, Hossegor International, qui faisait venir pas mal de shapeurs donc Eric Arakawa et Simon Anderson. J’ai beaucoup shapé avec eux et appris à leur contact. Pas mal de pros alors sur le Tour venaient se faire shaper leurs planches. Pour moi cette période d’apprentissage fut une expérience très intéressante !
Quels sont les modèles de planches que tu préfères fabriquer ou bien celles que tu as l’habitude de shaper ?
Pierre – À l’époque, dans les 80’s-90’s, les surfeurs étaient très axés sur les planches performantes telles que les tri fins. Ils performaient dans le shortboard léger, étroit et fin. Ça a duré pas mal de temps. Tout le monde achetait des planches ciblées pour la compétition. Ce qui a d’ailleurs été une erreur car les surfeurs pros y arrivaient mais 80 % des gens n’avaient pas le niveau pour les surfer ! Il a fallu attendre les années 2000 pour qu’un revival des planches Old School des 60’s-70’s s’opère. Je pense aux twin fins, aux single fin, aux fish, aux bonzers… Des planches plus épaisses et plus larges qui assurent une plus grande flottabilité.
Cette mode continue aujourd’hui, la grande majorité des planches sont désormais comme celles-ci. Le shortboard est encore très présent mais surtout chez les jeunes gars qui surfent très bien. Ma clientèle est composée de très bons surfeurs mais qui ont pris un peu d’âge, qui sont très techniques mais qui veulent des planches volumineuses donc plus confortables. Je fais surtout des single et des twin fins.
Le voyage a l’air d’avoir une place majeure dans ton travail et dans ta vie de manière générale. Peux-tu nous en parler ?
Pierre – Bien sûr. Initialement le surf est parti d’Hawaii, des États-Unis, puis de l’Australie. L’apprentissage, les shapeurs et les marques mondialement connus viennent de là-bas donc naturellement le voyage est important. Après avoir rencontré Eric Arakawa j’ai passé plusieurs hivers avec lui à Hawaii pour faire des planches et lui venait shaper l’été ici dans le Sud-Ouest de la France. Je réalisais des planches de sa marque sous licence ici chez Surf Odyssey à Capbreton. Quand j’allais les hivers à Hawaii, je rencontrais beaucoup de monde. Andy Irons, Fred Patacchia et des surfeurs hawaiiens qui se faisaient shaper leur planches par Arakawa.
En 2000, j’ai été contacté par Salomon, qui est une marque française spécialisée dans le ski et qui voulait s’ouvrir aux sports d’eau dont le surf. Ils voulaient créer une gamme complète, des combinaisons et des planches performantes nouvelle génération. Beaucoup de moyens avaient été mis dans ce projet et j’ai été sollicité en tant que shapeur français pour eux. D’autres shapeurs étrangers en faisaient partie, Eric Arakawa, Darren Handley… J’ai travaillé pour eux pendant 7-8 ans, j’ai beaucoup voyagé et participé à plusieurs salons en Californie, en Australie, au Japon…
Y a-t-il des surfeurs dont tu fabriques les planches avec qui tu as une relation plus forte que d’autres ?
Pierre – Oui ! Il y a une partie de mes clients qui sont des amis et avec qui je surfais déjà quand j’avais 20 ans ! Je leur ai toujours fait des planches, je les connais bien, je sais comment ils surfent. C’est beaucoup plus facile. Mais il y a aussi toute une partie de mes clients que je ne connais pas, qui viennent ici grâce au web, aux réseaux sociaux, au bouche à oreilles… J’ai beaucoup de clients d’ici, de la Côte Ouest, mais aussi de la Méditerranée.
Cette année, quelques gars sont venus de Marseille, de Palavas pour que je leur fasse une planche sur mesure. Je ne travaille qu’à la demande, sur commande. On discute de ce qu’ils veulent, ce côté relationnel est d’ailleurs très important. C’est primordial de parler, de comprendre ce qui correspondra le mieux au surfeur, de l’écouter pour ne pas sur ou sous coter sa planche. On discute des cotes, de la taille, de la largeur, de la longueur, de l’épaisseur… Pour qu’ils progressent sans trop de perte de repères je regarde la planche avec laquelle ils surfaient avant. Même si par la suite ils voudront encore évoluer et changer de planche.
Peux-tu nous parler des matériaux que tu utilises pour travailler ?
Pierre –Je fais dans les matériaux traditionnels, les mousses polyuréthanes, la résine polyester, ce qui se fait beaucoup d’ailleurs. Ces matériaux viennent d’Australie, d’Afrique du Sud, des États-Unis via des distributeurs. Tout ça n’est pas très écolo mais d’après toutes les études faites à ce sujet, l’empreinte écologique du surfeur ce n’est ni sa combinaison ni sa planche. Ce sont les déplacements. Prendre la voiture pour aller voir les vagues et pour surfer, prendre l’avion pour surfer ailleurs… Les matériaux d’une planche sont polluants mais une fois qu’elle est finie on l’a et on la garde. Plus tard on la vend, on la revend. Elle n’est pas jetée.
Sur les planches que je fabrique je fais tout du début jusqu’à la fin, j’aime beaucoup faire les résines. Surtout les résines teintées, devoir trouver la bonne teinte. Il s’agit aussi de faire de belles découpes, c’est tout un travail. J’utilise ensuite un brillant pour faire ressortir la teinte et sa profondeur. C’est une vraie technique.
Depuis peu tu travailles avec Oxbow qui a décidé d’établir un partenariat avec des shapeurs français et locaux. C’est le projet « Support Local Shapers ». Qu’en penses-tu ?
Pierre –Je trouve ça bien ! Je connaissais déjà Emmanuel Debruères (l’actuel directeur d’Oxbow) de l’époque où je travaillais pour Salomon. C’est bien parce que c’est la seule marque française à mettre en avant des shapeurs français. Ça fait de beaux objets. Surtout que dans les gros magasins de planches aujourd’hui, 95 % des planches sont américaines, australiennes, chinoises… Il y a extrêmement peu de planches françaises. Je suis allé récemment chez Quiksilver à Capbreton et il n’y avait aucune marque française. C’est assez dramatique. Quiksilver ou d’autres, c’est pareil. Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà ce qui est Australien ou Américain se vend mieux car ça fait plus exotique. Je pense à des marques comme Al Merrick, Josh Hall. Quelques magasins en France jouent le jeu mais ils ne sont pas beaucoup.
Trouves-tu qu’il y a plus de monde aujourd’hui qu’avant qui préfère se faire shaper sa planche sur mesure dans un atelier ?
Pierre – Il y a sûrement plus de monde avec ce retour du Old School et des planches des 60’s-70’s. On assiste à un retour des single et des twin, des résines teintées… Ce que je fais quasiment tout le temps d’ailleurs. J’utilise des pigments dans la résine, c’est ce qui donne cet effet vitral qui rend les planches plus jolies. Il y a vraiment un retour à ça, de plus en plus de gens veulent de beaux objets. Il y a aussi le fait que les surfeurs aient vieilli. Il y a trente ans la moyenne d’âge à l’eau c’était 25 ans alors qu’aujourd’hui il y a une partie des surfeurs qui ont 50-60 ans et qui veulent des planches plus longues et plus larges qui soient de beaux objets.
En tant que shapeur, où te situes-tu dans la culture surf et sa transmission aux jeunes générations?
Pierre – Je reçois de plus en plus de courriers, de messages et de mails de jeunes de villes comme Paris, Strasbourg et d’un peu partout qui ont envie d’être shapeurs. Le problème de ce métier c’est qu’il n’existe ni formation ni école pour le devenir. En plus aujourd’hui il y a beaucoup de shapeurs en France, de surfeurs qui fabriquent leurs propres planches. Professionnellement ce n’est pas évident. Je ne les dissuade pas mais je leur dis que c’est une véritable passion. Si tu veux vraiment shaper tu le fais et tu ne te poses même pas la question ! C’est plus simple d’habiter dans le coin, de soi-même surfer. Il faut être patient et persévérant et pour en vivre correctement il faut se faire son nom. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il y a certains shapeurs qui gagnent plus vite en notoriété, surtout avec l’aide des machines de préshape. C’est plus simple. Jusque dans les années 2000, on ne faisait que les planches au rabot. On recevait le pain de mousse et il fallait le tailler au rabot, c’était de la sculpture pour sortir une planche !
La machine de préshape aide à faire des séries de planches, on peut facilement reproduire une board mais ça enlève le côté difficile du shape. Tout le monde peut récupérer un fichier, bricoler un peu dessus et recevoir son shape. Pas mal de gars travaillent comme ça aujourd’hui. Ça m’arrive parfois de l’utiliser pour reproduire des planches qui marchent mais ça enlève vraiment quelques chose. À l’époque quand on utilisait le rabot ce n’est pas à la première planche qu’on y arrivait mais plutôt à la cinquantième. On apprenait en permanence. La machine enlève cette dimension artistique. Le shape au rabot c’est un mélange d’art et de rigueur en termes de cotes. On fait une forme mais il faut respecter la largeur, l’épaisseur… C’est en cela que c’est important de se former avec d’autres shapeurs. Cette transmission est importante, mais aujourd’hui pas mal de jeunes font leur planche, vont dans des lieux comme la Shaper house à Biarritz pour être entouré et conseillé. Tu y fais toi-même ta planche, tu reçois des conseils mais ça reste du préshape. Il te reste ensuite seulement à stratifier et à mettre la résine. Le do it yourself se fait pas mal en surf. »
"J'avais envie de pousser beaucoup plus loin la dimension artistique de mon travail et la recherche photographique autour du mouvement, de la matière, de l'eau, des détails."
"J'ai envie de voir les meilleurs surfeurs mondiaux faire ce qu'ils savent faire de mieux ici en France, c'est aussi eux qui ont voulu venir, ça leur manque."