Laurent Inne : à la croisée des mondes

Artiste aux multiples facettes, rencontre avec celui à qui Justin Becret doit son dernier dessin.

01/02/2021 par Marc-Antoine Guet

Rencontrer Laurent, c’est faire une plongée dans la culture surf. Et c’est bien à cette dernière que cet artiste doit toute son inspiration.
Si Laurent Inne est aujourd’hui basé à Biarritz, c’est bien plus au sud qu’il a effectué une bonne partie de son enfance.  Au Maroc, sur les rives de Casa, l’homme apprend à surfer. Et en plus de tomber amoureux de la pratique, Laurent y apprend ses codes. C’est là-bas que tout commence. 
Juste avant Noël, ce passionné s’est arrêté nous voir en compagnie de Justin Becret à qui il venait de customiser une planche. Car si le jeune surfeur du team Billa était alors sur le départ, hors de question pour lui de s’envoler pour Hawaii avant d’avoir récupéré cette board commandée auprès de Laurent.


Justin – « Quand j’étais petit, j’ai rencontré Laurent au Sri Lanka. Il m’avait déjà fait un dessin ainsi qu’à mon frère. Je l’avais trouvé super sympa. Sur une de mes stories Laurent a vu que je venais de recevoir 10 planches de chez DHD. Il m’a demandé de lui en garder une pour une déco et j’ai trouvé l’idée top ! Habituellement c’est mon père qui me fait toutes mes décorations de planches. Pour le dessin, je l’ai laissé complètement libre. Mais j’adore le thème du dragon qu’il a choisi. Je garde cette planche pour les compétitions si elles reprennent un jour…Sinon je la surferai en France en rentrant ». 
L’occasion ce jour-là d’échanger avec Laurent sur cette collaboration originale, et d’en apprendre un peu plus au passage sur cet artiste aux multiples facettes. Ce qui suit est le résultat pêle-mêle d’une discussion passionnante d’1h30 quelques jours avant Noël. 

Comment s’est passée cette collab’ avec Justin ? Il t’avait demandé quelque chose en particulier ? 

Laurent Inne – Il m’a donné carte blanche. Il était juste préoccupé par les logos, mais je lui ai dit que j’avais l’habitude de ça. Justin je l’avais déjà croisé dans le passé en voyage, j’avais déjà fait des customs pour lui le soir en déconnant, il avait bien aimé. Là, il m’a vraiment dit de faire ce que je voulais en faisant gaffe aux logos. Ils sont un peu angoissé là-dessus (rires). 


Le Maroc aujourd’hui ça représente quoi pour toi ? 

L.I Beaucoup de choses. Au Maroc c’est là-bas que j’ai vraiment commencé à m’exprimer. Je dessinais partout et tout le monde le savait. Dès que j’arrivais quelque part on me demandait de faire des trucs. Des boards, la porte du cabanon, etc. Ma spécialité c’était la vague qui est dessinée à Hossegor. Celle-ci je l’ai faite des millions de fois. C’était rigolo. Ensuite j’ai vu des mecs commencer à shaper. Ils faisaient ramener leurs boards des Etats-Unis, je dessinais dessus. Pendant ma jeunesse à Casa je surfais tous les jours et je continue encore aujourd’hui. J’ai beaucoup orienté ma vie par rapport au surf et à la culture surf. Une culture surf que je n’ai pas retrouvé dans le business du surf quand je suis devenu team manager chez Split Europe. Les mecs ils te vendaient du rêve mais ils n’y étaient pas. La plupart ne comprenaient rien à cette culture. C’est ce qui m’a fait arrêter, quand je me suis rendu compte que tout le business était gangréné par le pognon et que les mecs se la racontaient. Même si quelques mecs comme Buffalo, Philippe Vergès ou Von Zipper eux créaient des trucs vraiment fabuleux, la majorité c’était pas vraiment ça. 

Team manager ça voulait dire quoi pour toi ? 

L.I – Au début je ne savais pas trop à quoi ça allait servir. Après j’ai vite compris que ça allait servir de faire-valoir à la marque en essayant de payer le moins possible les mecs pour faire le plus d’argent, ça aussi ça m’a gêné. J’étais dég de voir qu’ils étaient prêts à payer une blinde pour faire une pub dans un magazine et à peine 200 balles à un gamin… ce rapport m’a mis mal à l’aise. Et en plus j’ai vite découvert que la majorité des mecs n’avaient pas la culture surf que pouvaient avoir les Américains par exemple. En France ils avaient la culture du prêt à porter, du business, mais certainement pas celle du surf. C’est pas un sport le surf, pour moi c’est ma culture. Et si ça devient un peu dure à l’eau aujourd’hui c’est justement parce que c’est devenu un sport, une industrie. 


Comment bosses-tu aujourd’hui ? 

L.I – Je me suis mis aux réseaux sociaux. Je trouve que ça a remplacé le bar tabac. Je m’y suis mis pour ne pas me prendre au sérieux et m’amuser. Mais comme au bar tabac, tu croises le poivrot, le raciste, le machin… tu croises tout le monde sur les réseaux sociaux. Je suis très étonné que les gens n’aient pas ce recul nécéssaire à leur utilisation. Mais aujourd’hui c’est un peu comme ma vitrine. Sans prise de tête, ça me donne de la crédibilité. Je bosse aussi un peu avec les marques, notamment Jonsen et Posca. Je bosse donc à Biarritz avec mon réseaux, mes amis, et les clients qui me découvrent sur Insta. Je me fais aussi souvent des décos sur des boards à moi pour me faire un peu de pub. Les gens parfois s’arrêtent sur la plage pour me demander ce que c’est, c’est l’occasion d’échanger avec eux. Le bouche-à-oreille fonctionne aussi beaucoup. 


Tu bosses où ?

L.I – Si j’ai besoin je vais chez Eric Rougé. Je suis un peu à la maison avec lui et Minvielle. Les deux sont adorables. Si j’ai besoin de l’atelier je monte, je m’installe et je demande à Eric si c’est ok. Pour moi c’est un mentor. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup aidé quand je suis arrivé dans le Pays Basque à la fin des années 90′. Je lui suis très reconnaissant. Il m’a aidé financièrement quand j’ai eu un peu de problème d’argent. Car quand je suis venu ici à la fin des années 90′ pour faire des décos à 10 balles, pour bouffer ce n’était pas évident. Il venait juste de s’installer en plus. Il me faisait des avances. Eric a toujours été une personne centrale et importante pour moi. Ma femme m’a beaucoup soutenu aussi, je la remercie. Tout comme WRK2SRF, Posca, Minvielle, ND Surfboards et Wetty Family. Je travaille aussi un peu avec la maison du surf avec qui je participe à des expos. Je ne cherche pas à gagner de l’argent avec ça et j’essaye de rester modérer dans les prix que je pratique parce que j’estime que c’est de l’art éphémère. Je fais aussi des séries limités pour les shapers comme Axel Lorentz par exemple avec qui je bosse pas mal. En communicant là-dessus, j’ai régulièrement des gens qui viennent me voir. Mais je fais aussi du textiles, des casques… J’aime beaucoup bosser pour les gamins, les casques de skate, etc. 

Que représente le custom pour les gamins justement ? 

L.I – Ils adorent. Dans mon quartier j’ai commencé par un casque et ensuite j’ai fait tout le quartier. Quand ils se rencontrent au skate-park ils veulent tous la même chose. Parfois, même s’ils ont 8-10 ans ils me demandent des trucs bien trash… 


Quelle place prend le custom dans ta vie ? 

L.I – D’ici quelques années j’aimerais bien faire du 50/50. 50% custom, 50% shape. J’aimerais revenir au shape, parce que ça fait longtemps que je baigne un peu dedans, ça fait 20 ans que je prends des notes, que je commence à shaper un peu dans mon coin. Beaucoup de shapers m’ont dit que jusqu’à l’invention du thruster, on surfait de la merde. Son arrivée a tout changé. Il y a une faille dans notre système à nous avec les vieilles planches. Sous prétexte que c’est des planches old-school, les mecs te la vendent comme une magic board. C’est faux. 70% des longboardeurs que je connais dans le coin ne savent pas surfer sur un shortboard. C’est vraiment un univers qui m’intéresse aussi. 


Quelle influence a l’actualité justement sur ton inspiration ? 

L.I – J’adore détourner l’actualité. J’ai fait une planche pour Joel Darrigues qu’on voit notamment dans Biarritz Surf Gang. C’est un amis depuis très longtemps. Je lui ai souvent fait des planches. La dernière c’était sur les produits pharmaceutiques ou je lui ai dessiné un gros fuck. Je lui en ai fait plusieurs qui résonnaient avec l’actu et avec son actu. Je lui en ai fait une aussi pour la Covid. Elle était en couleur avec Barth Simpson qui regarde un donuts. Donuts qui s’avère être la Covid. C’est détourné d’une affiche des Simpson, avec une chauve-souris en haut de la planche et le $ comme une porte de prison. 


Est-ce que tu suis la période actuelle ? Est-ce que par exemple ce que tu fais aujourd’hui tu aurais pu faire pareil il y a 10 ans et inversement ? 

L.I – Je suis obligé de suivre un peu la tendance des gens. Les gens ont un pannel de choix aujourd’hui complètement fou. Mais ce que je fais aujourd’hui oui j’aurais pu le faire dans le passé. J’ai toujours aimé la dérision, j’ai toujours aimé faire des trucs un peu drôle, c’est ma marque de fabrique de déconner et ne rien prendre au sérieux. Mon compte Insta fait d’ailleurs honte à mon fils qui lui est beaucoup plus réservé (Ndlr : artiste lui aussi). Moi je suis très pouet-pouet, très humour les Nuls. J’ai aussi un certain recul sur les réseaux sociaux que beaucoup n’ont pas.            

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