Othmane Choufani, le prince du surf de gros

Rencontre avec le Marocain de 22 ans, qui petit à petit inscrit son nom sur les spots de gros du monde entier.

15/06/2015 par Robin Guyonnet

A 22 ans, Othmane Choufani est en train de se faire un nom sur la scène mondiale du surf de gros. Il faut dire qu’il s’en donne les moyens, parcourant la planète dès qu’il le peut pour être présent sur les plus gros swells. De Nazaré à Puerto Escondido en passant par Mavericks ou Teahupoo, le jeune Marocain relève ses défis personnels avec un solide objectif en ligne de mire : se qualifier pour le Big Wave World Tour. Rencontre avec lui à Biarritz, quelques semaines après une mission XXL à Puerto (à retrouver dans le mag de juin, actuellement en kiosque).

Tu reviens du Mexique, où tu as surfé un swell énorme. Comment c’était ?

J’ai mis du temps à réaliser à quel point c’était gros. Mais une fois arrivé sur le spot, on nous a dit que ça allait être vraiment fat. Comme disait Mark Healey, les vagues allaient hyper vite. Ça allait être dur de les prendre à la rame. Une fois que je me suis mis à l’eau, j’ai réalisé que c’était différent des autres jours. Mais en fait ça m’a vraiment motivé, j’en voulais une. A tête reposée et avec les retombées médiatiques de ce swell, je me rends compte que c’est une vague qui marque ma courte carrière, si je peux parler de carrière.

Je l’ai avant tout fait pour moi, pour repousser mes propres limites, mais c’est cool de voir que les gens et les médias ont apprécié ce que j’ai fait. Ça pourrait aussi m’aider à trouver un sponsor majeur. Je ne suis plus chez Rip Curl depuis très peu. Heureusement, mon sponsor marocain Paradis Plage m’aide pas mal.

“mon père me courait après dans les rochers parce qu’il ne voulait pas que je me mette à l’eau, je devais avoir 15 ans.

Comment t’est venu cet engouement pour les grosses vagues ?

Depuis que j’ai 10 ans, j’ai toujours aimé prendre les grosses dans les sessions. J’ai toujours pris des close-out du coup, parce que c’était celles qui fermaient sur les spots où on surfait avec Ramzi (Boukhiam). Rires. On se lançait des petits défis, moi je le poussais à faire des manoeuvres “fais un air reverse, j’en ai jamais vu !” et lui quand c’était plus gros il me disait “vas-y je te respecte si tu pars sur celle-là !”. Là, c’était les grosses vagues de nos sessions d’enfants.

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Mais j’ai quand même eu une session où mon père me courait après dans les rochers parce qu’il ne voulait pas que je me mette à l’eau, je devais avoir 15 ans. Il y avait entre 3 et 4 mètres, quasi-personne au line-up, j’ai sauté dans l’eau et j’en ai eu une qui était vraiment grosse. Cette session, c’était à la Pointe des Ancres, et ça m’a marqué. C’était des sensations différentes, nouvelles, un gros take-off et un gros mur.

C’est en mars 2011 que je suis allé en Galice pour la première fois avec Jérôme. En tracté, j’en ai bouffé trois. Mais rien qu’avec la sensation d’avoir presque mis un gros tube, j’étais conquis. J’ai commencé à checker tous les swells, mettre un peu de budget pour aller en chasser quelques-uns. Au début, mes potes me chambraient un peu, ils m’appelaient Mark Healey. Et au fur-et-à-mesure, je me suis fixé de nouveaux objectifs, c’est comme ça que tout a vraiment commencé.

Tu as délaissé la compétition pour partir à la chasse au swell ?

J’ai arrêté la compétition il y a 4 ou 5 ans. J’avais fait un Pro Junior à Hossegor où les vagues étaient parfaites. J’ai perdu, mais j’avais fait croire à mon team manager que j’étais dégouté alors qu’en fait, j’étais très content de pouvoir passer le reste de la journée à me mettre des barrels (rires). Là, je me suis rendu compte que la compétition, c’était pas fait pour moi.

Puerto, c’est le sixième swell XXL à mon actif. A la rame, c’est le quatrième ou le cinquième. Avant ça, il y a eu Mavericks, deux fois le Mexique, Teahupoo, la Galice, le Maroc, et même Nazaré.

“Il faut avoir déjà surfé 3 vagues du Big Wave World Tour pour se qualifier

Tu souhaites intégrer le Big Wave World Tour, tu en es où ?

Il y a trois semaines, j’étais en Californie. J’ai passé une nuit chez Greg Long, qui a bossé avec la commission de la WSL pour définir les critères d’entrée sur le Big Wave World Tour. En fait, il faut faire une vidéo. J’avais déjà envoyé la mienne à Peter Mel, mais les choix étaient déjà faits pour l’année. Peter m’a dit de continuer à enrichir ma vidéo avec de nouveaux rides. Il faut également avoir déjà surfé 3 vagues du BWWT. J’ai surfé Mavericks, Puerto, et j’aimerais bien scorer Punta Galea pour la 3ème. Je compte aussi aller à Jaws en Octobre, donc ça ferait 4.

Tu suis aussi une préparation pour ça ?

Je pars en Indonésie cet été. Je vais beaucoup surfer, mais j’ai aussi un pote là-bas, qui est assez calé niveau training. Je vais donc travailler avec lui, sur le physique mais aussi sur le mental. Je n’ai pas encore un planning bien précis, mais je vais bien manger, faire du yoga, et rester healthy au maximum.

En quelques années, tu as pu rencontrer des pointures de la discipline. Quelle est la rencontre qui t’a le plus inspiré ?

J’admire beaucoup Greg Long, pour ce qu’il a fait, et pour son approche. C’est quelqu’un de calme, et de très humble également. C’est un exemple pour tout sportif.

Mais celui qui m’a le plus marqué, c’est Mark Healey. Pendant 10 ans dans ma chambre, je dormais devant une photo de lui à Phantoms. Ce qui est assez drôle car je suis devenu pote avec lui, on s’entend très bien. Il a une vision différente de celle de Greg, il est plus sanguin, limite “branque” (rires). Ça fait du bien de voir qu’il y a des mecs comme lui, il est entrainé et très pro, mais naturel et fidèle à lui-même. Plus jeune, il s’est aussi mis en danger dans certaines situations, on en a pas mal parlé d’ailleurs. Je me reconnais bien en lui.

“Il n’y a que quelques vagues dont on se souvient toute sa vie

C’est important d’avoir un réseau dans le big wave surfing ?

C’est super important, mais ça arrive vite en fait ! Une fois que tu es vraiment dedans, que tu montres que tu es sérieux, tout le monde t’accepte. C’est une grande famille. J’ai eu beaucoup d’aide de Mark (Healey) et de Greg (Long). Il n’y a pas de groupies, on fait tous la même chose et chacun apporte son truc en plus, c’est avant tout de l’échange et du partage.

Mais je prends tout ce qu’on me dit, je le note même, pour chaque spot. J’étais en Californie chez Greg la veille du swell à Puerto, et lui et son frère (Rusty Long) m’ont fait un bon briefing. Rusty m’a dit de me réveiller au petit matin, de faire ma routine, de m’échauffer à fond, et d’aller à l’eau le matin très tôt. Il y a un phénomène inexplicable là-bas, qui survient aux aurores. Très tôt le matin, des droites et des gauches absolument parfaites déferlent. Plus tard, il y a encore des bombes, mais elles sont plus rares, avec des sets plus éloignés.

J’ai dis à Rusty et Greg que je voulais les gauches, et il m’ont donné un endroit où me placer. Le lendemain, j’en ai eu trois. Ce qui est dingue avec Greg – les autres aussi mais surtout lui – c’est sa patience. Il a une capacité à attendre sa bombe, pendant des heures si il le faut. Mais plus jeune, il a fait quelques conneries aussi, il s’est parfois jeté dans des close-out. La sagesse, c’est quelque chose d’important dans le big wave surfing. Il n’y a que quelques vagues dont on se souvient toute sa vie, il ne faut pas partir sur n’importe quoi, ça peut te valoir une blessure pour toute l’année, même pour la vie dans des spots comme ça. Alors que si tu attends, si tu parviens à gérer cette grosse montée de stress, tu y arriveras forcément. La roue tourne et j’aime bien ce genre de loterie.

“Il faut ajouter l’intellect à l’engagement

On ne retrouve pas dans le big wave surfing cette compétition qu’on peut avoir dans le QS

Ma vision de la discipline, et j’ai l’impression qu’il y en a pas mal qui pensent comme moi, c’est que l’océan te choisit. Ca peut être ton jour, ou pas, mais le but c’est d’être le meilleur pour gérer des situations où ta vie peut être en danger. Il faut ajouter l’intellect à l’engagement. Quand tu y parviens, et que tu choppes la bombe, les gars sont contents pour toi. Si tu es content quand eux ont des bombes, une bombe viendra à toi un jour. Je pars vraiment avec cette idée de partage. J’adore voir des gars démarrer sur une vague énorme. Si ce n’est pas ma session, ce sera peut-être celle d’après. Le tout, c’est d’apprendre un peu plus à chaque fois, en étant heureux pour les autres.

La compétition, c’est avec toi-même. Je ne me vois pas en compétition avec qui que ce soit. En QS par exemple, tu dois surfer contre quelqu’un. Dans le BWWT, et dans le surf de gros en général, tu surfes avec quelqu’un. Si tu surfes contre quelque chose, c’est contre l’océan uniquement.

Comment tu gères ta carrière financièrement ?

Je viens tout juste de finir mes études, j’ai eu mon dernier examen vendredi dernier. J’attends les résultats mais normalement, je serais licencié en marketing, gestion et communication. J’ai un sponsor au Maroc, Paradis Plage. C’est un hôtel qui m’aide à partir sur quelques trips XXL. Grâce à eux, j’ai fait Mavericks, Teahupoo et Puerto. J’aimerais bien faire The Right en Australie mais ils ne sont pas encore d’accord pour m’envoyer là-bas, c’est aussi des potes (rires). Pour l’instant, je suis donc à la recherche d’un sponsor qui pourrait me permettre d’en vivre, de commander mes planches, me soutenir dans mes trips. Un sponsor local aussi pourquoi pas ! J’aimerais bien représenter le Maroc au top niveau.

“A la différence du surf de compétition, une carrière dans le gros prend du temps, ça se construit sur du très long terme

Comme tu viens d’avoir ta licence, tu comptes chercher un travail pour te financer ou te consacrer à 100% dans le Big Wave ?

A 22 ans, on n’est pas beaucoup à faire ça, 4 ou 5 peut-être. Les autres jeunes sont tous bien payés et ont des sponsors. Ça m’embêterait à 22 ans d’aller dans un bureau, parce que je sais que pour mon sport, mon bien-être et mon pays, ma place est dans l’eau. J’ai confiance en mes capacités, je veux en vivre, essayer d’être un jour champion du monde BWWT, faire le Ride Of The Year… A la différence du surf de compétition, ça prend du temps, ça se construit sur du très long terme. Mais j’aime bien ça, car je suis quelqu’un d’impatient, et ça m’oblige à travailler là-dessus.

Sur le BWWT, les mecs envoient carrément des turns sur des vagues énormes. Droper une pente vertigineuse de 6 mètres, ça ne suffit plus ?

C’est exactement ça. Il m’arrive d’aller surfer des vagues de deux mètres en 8’5 pour essayer de faire des turns. Je m’entraine pas mal là-dessus et c’est une chose que j’aimerais apporter avec ma génération, si je peux apporter quelque chose. J’ai vu Greg tenter un roller à Mavericks, un autre gars en plaquer un. Ce sont tous aussi de bons surfeurs de petites vagues. C’est fini l’image du surfeur de gros qui va tout droit, les jambes écartées et les bras devant.

Ils veulent faire les mêmes choses mais sur des vagues différentes, bouleverser les critères. Mark Healey fait des bottoms assez serrés avec des 9 pieds, Ramon Navarro met des tubes et des laybacks à Punta de Lobos… L’avenir du BWWT, c’est d’être technique, avec des grandes planches, et j’ai hâte de voir ce que notre génération va apporter.

Quels sont tes plans pour la suite ?

Là je suis en France pour un moment. Je vais en Indonésie cet été pour faire un clip, surfer à fond et apprendre à conduire un jet ski. Chaque trip que je fais me permet d’apprendre quelque chose de nouveau, de me construire. En septembre, je rentrerai au Maroc pour m’entrainer avant la saison hivernale, ma préférée.

Interview : Robin Guyonnet

Photos : Bastien Bonnarme (à suivre sur Facebook) et ©kirvanb_photography

> Retrouvez dans le Surf Session de juin les photos et le récit de l’énorme swell qui a touché Puerto Escondido le mois dernier, et les interviews exclusives de Mark Healey, Grant Twiggy Baker, “Jérôme Sahyoun” et Othmane Choufani.

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2 commentaires

  • alex
    17 juin 2015 9h34

    Dinque qu’un surfer comme lui n’ pas de gros sponsor quand on voit un mec comme ian Fontaine surfe bien mais sans plus est chez Billa depuis des années!

    Répondre

  • MARIE
    15 juin 2015 20h23

    chouette parcpurs, on a envie de te suivre encore sur du gros,mais bon,on t’aime,alors gaffe a toi,quand meme:::

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