Se lancer dans une carrière de vidéaste de surf : un portrait de Paul Lavoine

À la rencontre du réalisateur de "Liés par l'océan", le court-métrage plebiscité par les festivals de film de surf cet été.

30/11/2023 par Rédaction Surf Session

Paul Lavoine
Paul Lavoine © Maeva Mirol
vague aqua
Turbulences © Paul Lavoine

« J’ai passé une nuit blanche à monter. Je n’avais jamais mis autant d’énergie dans un travail !« 

Paul Lavoine

Il doit être aux alentours de 6 heures ce matin-là quand Paul ouvre les yeux dans sa chambre à Tahiti, mais ce n’est pas l’arrivée de nuit et les douze bonnes heures de décalage horaire dans la tronche qui vont changer ses plans. La déco aussi l’invite à se lever pour vérifier si tout cela est bien réel. Il y a stocké là plus de planches de surf neuves qu’il ne peut en compter et partout sur les murs : des photos du prince de l’île. Le jeune photographe aquatique d’Hossegor le sait, il ne pouvait pas rêver mieux qu’une place dans le bungalow familial des Vaast pour son premier trip à Tahiti. En pleine pandémie, ce premier réveil sonne pour lui le début de dix jours d’isolation parmi les plus cools de la planète surf, mais surtout le top départ d’une expérience qui va changer sa carrière.

Comment peut-on en arriver là ? Un mélange de chance, de talent et de détermination, mais pas uniquement. Derrière l’improbabilité d’une telle histoire, la question demeure et du haut de ses deux petites années d’expérience, on lui a posé un paquet de fois. Lui-même se demande encore aujourd’hui comment il a bien pu se retrouver là-bas. 

Paul est né en 1999 à Paris, sans lien particulier avec l’océan et encore moins avec Tahiti. Il a grandi dans les rues de la capitale, loin des vagues et de toute histoire avec l’océan. À l’époque, les seuls indices concernant sa future vie se cachent dans les logos de ses tee-shirts et dans son physique de nageur. Son corps élancé semble déjà au courant de ce qui l’attend. « Un jour, je devais avoir seize ans, je suis allé à Mimizan tester le surf lors d’un stage avec mon club. J’ai beaucoup aimé et j’ai tout fait pour y retourner les années suivantes », explique-t-il. Le jeune homme développe une réelle passion pour le surf, mais bien ancré dans sa vie de citadin, il planifie tout de même de décrocher une double licence de droit et de science politique à La Sorbonne. « Je voulais devenir avocat » poursuit-il, « mais je n’ai fait que la première année d’étude, car je suis ensuite parti en surf trip. On a fait tous les spots de la Bretagne à la côte basque espagnole. On s’arrêtait partout. Je filmais tout. »

Caméra au poing, Paul se met naturellement à documenter leurs aventures sur les côtes françaises, et c’est de retour à Paris que le déclic a lieu. « Quand je suis rentré avec tous mes rushs, je me suis mis au montage et je n’ai pas pu m’arrêter. J’ai passé une nuit blanche à monter. Autant le droit et les sciences politiques m’intéressent, mais là ! Je n’avais jamais mis autant d’énergie dans un travail ! Je me suis dit que ma force se trouvait sûrement ici et pas sur les bancs de la fac. » Du jour au lendemain, Paul change ses plans et troque son sac à dos pour un tablier de poissonnier, avec l’objectif de faire de l’argent rapidement. 

Acheter du matériel photo et vidéo, préparer des voyages mêlant surf et shooting, tout cela coûte cher et il tient à se lancer le plus tôt possible. « Après la poissonnerie, je faisais un peu de tout, notamment des concerts, mais il y avait de longues périodes pendant lesquelles je ne faisais rien et ne gagnais rien. » Heureusement pour Paul, nous sommes en octobre 2019, le Quiksilver Pro France d’Hossegor était toujours d’actualité. Tous ces pros à l’eau, l’occasion est trop belle. « C’est là que j’ai shooté mes premières photos et vidéos de surf. C’est aussi là que j’ai vu un mec faire de la photo aqua pour la première fois. Qu’il y ait des personnes à l’eau pour prendre des photos ne m’avait jamais traversé l’esprit. Je me suis dit : j’aime la photo, j’aime le surf, j’ai nagé douze années en compétition, elles vont peut-être enfin me servir », explique-il.

Pour sa première sortie en aqua, le jeune photographe se donne sans le savoir rendez-vous avec Laurent Pujol et Mathias Maallem aux Culs-Nuls dans un bon 2,50 mètres hivernal. « J’y suis allé la fleur au fusil, on ne se connaissait pas, mais j’ai réussi à avoir 2-3 shots. » se souvient-il. Suffisamment pour que Paul prenne rapidement de la vitesse, achète son premier caisson et signe ses premiers clients, d’abord des particuliers en plein cours de surf, puis des entreprises.

Un beau jour, l’une d’entre elles le sollicite pour réaliser une interview vidéo d’un certain Kauli Vaast, une nouvelle aubaine qu’il saisit au vol. « À la suite de ce travail, on en a évidemment profité pour aller shooter à l’eau à Capbreton. Les vagues étaient vraiment nulles, mais pour lui ce n’était pas un problème. Il envoyait air-reverse sur air-reverse et en à peine une demi-heure, j’avais déjà shooté des photos incroyables. Quelques jours plus tard, Quiksilver a voulu me les acheter », explique-t-il. Bien déterminé à ne pas en rester là, sûrement un peu influencé par ces quelques instants passés en compagnie du jeune athlète, Paul décide d’écrire la suite à Tahiti, depuis le cœur du réacteur du surf français : Teahupoo.

« Pour ma première fois là-bas, j’ai demandé des conseils à Kauli, il m’a donné le nom d’une guesthouse, Tahurai Homestay, dans le village de Teahupoo, un super endroit pour découvrir la culture tahitienne. Après ma quarantaine, je suis resté deux mois là-bas et au fil d’une discussion, Kauli m’a proposé un hébergement chez lui, histoire de rester un mois de plus. » Seul avec la famille Vaast, Paul découvre la culture locale et la vie sur l’île. « Gaël, le père de Kauli, a pris le temps de m’expliquer comment fonctionnait la vague, le récif, m’a rassuré. Je n’avais jamais vraiment photographié de vagues comparables. La première fois, il m’a emmené pendant un sunset magnifique, au bout de dix minutes, j’avais pris plus de jolies photos qu’en un an à Hossegor. Quand je suis sorti, il m’a tendu une bière et on est rentré en jet-ski à fond dans le lagon. Pendant ces huit minutes, ma tête explose. Je viens de faire des photos de ouf, le ciel est encore dingue, je bois ma petite bière, le père de Kauli qui me conduit, mais comment j’ai fait pour en arriver là ? » À écouter Paul parler, on comprend qu’il y a indéniablement le talent, mais aussi une réelle capacité à avancer à l’instinct et à bien s’entourer. 

Après avoir fait ses armes à Tahiti et jeté de solides bases à sa vie de photographe / vidéaste, Paul ne compte bien évidemment pas en rester là. Il est depuis retourné à Tahiti, est passé par Hawaii et a cette année suivi le Championship Tour sur de nombreuses étapes. Le défi est de taille, ça tombe bien, lui aussi. 

Cet été, Paul à aussi dévoilé en festivals son film « Liés par l’océan » qui explore les liens avec l’océan des surfeurs tahitiens Matahi Drollet, Kauli Vaast, Tahurai Henry ou encore Mormont Mauthui. Son premier court-métrage a été récompensé par le prix du jury au Anglet Surf Film Festival, le premier prix au Toronto Beaches Film Festival et le prix de la thématique développement durable au Portuguese Surf Film Festival.

Teahupoo
Premier shot à Teahupo’o © Paul Lavoine
Kauli Vaast Teahupo'o
Kauli Vaast à Teahupo’o, image de l’affiche de « Liés par l’océan » © Paul Lavoine

Article par Mathieu Maugret