Bali en 1974 : Gibus raconte

Le fondateur du mag répond à quelques questions autour de son film, sorti la semaine dernière.

15/09/2014 par Jeanne Dauthy

Gibus de Soultrait a ressorti la semaine dernière une vidéo de son trip à Bali en 1974. Un coup d’oeil dans le rétro 40 ans après qui a ému et fait réagir. L’intéressé répond à quelques questions que vous vous êtes peut-être posées après avoir vu ce film :

Pourquoi avoir attendu 40 ans avant de ressortir ces images ?

Quand je suis retourné à Bali 30 ans après, j’avais ramené des images et avais imaginé un montage jouant sur le contraste avec ce que j’avais filmé en 1974. Et tout ça est resté à nouveau dans les cartons, la sortie des magazines étant la priorité. Puis apprenant à quel point Bali se développait avec notamment tous les problèmes de pollution, de déchets plastiques, j’ai pensé que ces images passées de paysages encore vierges prenaient encore plus de pertinence avec le présent. Oui, le passé pour le passé, ce n’est pas très intéressant. Mais quand il sonne avec le présent pour signifier quelque chose… Et c’est la raison pour laquelle j’ai gardé finalement le montage original de mon film super 8, en le raccourcissant juste un peu, plus la voix off du récit et le rebond de la fin avec la session qu’Antonin avait eue en 2009 avec Hugues Oyarzarbal dans un solide Padang Padang, spot qu’on ne surfait pas bien sûr, en 1974.

Que t’évoque cette période, avec le recul de l’âge ?

On était ados dans les années 70, mais on partait jeunes en voyage, avec le sac à dos… L’aller-retour en traversant Java en train, avec la foule, la pauvreté, la lenteur, la fatigue et nos grandes boards à caser parmi les gens, ce fut une expérience à 17 ans. C’était la façon de voyager de l’époque, en phase avec une attitude un peu utopique, rêveuse, nourrie d’insouciance et de radicalité à la fois qui nous poussait à se mettre en marge de ce à quoi on devait se conformer. Du coup le voyage, l’expérience du terrain l’ont emporté un temps sur les études, pour par mal d’entre nous. Pas forcément la voie la plus facile. Les embûches de la drogue, vécue au départ comme une des multiples expériences à vivre de l’époque, ont fait des dégâts. Mais il y avait un appétit du présent et une forme d’intégrité dans la démarche. Bien sûr après, avec l’âge, on apprend la réalité des choses ! Mais je me sens proche de l’ado du film… déjà, dans cet appétit à surfer et à rêver aussi (rires).

Beaucoup, à l’évocation de cette vidéo, parlent de Bali comme d’un paradis perdu. Ton avis là-dessus ?

Cela a été une volonté gouvernementale à la fin des années 1960 d’ouvrir Bali au tourisme. Les surfers, principalement australiens juste à côté, y ont trouvé leur Graal. Bali n’a pas arrêté de changer depuis et ne cesse de changer tous les jours. Tous ceux qui y vont s’en rendent compte. Le Bali roots d’hier est une chose et on ne va plus à Bali pour chercher cela aujourd’hui. Avec la croissance économique asiatique et qui plus est celle de l’Indonésie, Bali s’est transformé en cité du monde, comme beaucoup d’endroits ailleurs. Mais la culture ancestrale hindouiste des Balinais maintient quelque chose de propre à cette île et à ses habitants. C’est ce qui en fait aussi son attrait. Pour ce qui est du surf, l’enjeu actuel est l’arrivée de surfers de tout pays ayant l’engagement mais pas le niveau requis de beaucoup de vagues de l’île… ça crée de la zizanie. Mais là comme ailleurs à la longue les choses se réguleront. Le surf est une culture jeune à Bali, un peu opportuniste encore, mais plus il s’ancrera, plus il véhiculera ses règles, ses valeurs… du moins c’est à espérer. Il faut y mettre du sien aussi.

Tu termines la vidéo par « important de ne pas oublier le passé pour préserver le futur ». Peux-tu approfondir ?

En montrant Uluwatu sans rien en 1974, ce n’est pas un appel à démolir tout ce qui y est construit aujourd’hui. Mais en revoyant comment était cet endroit, c’est une prise de conscience de la vitesse de transformation de notre environnement, là comme ailleurs. La donnée environnementale est incontournable et deviendra prioritaire en pesant sur la donnée économique qui semble seule nous régir actuellement, mais c’est un leurre. Les enjeux écologiques nous conduiront forcément à calmer le jeu, à mieux rythmer l’évolution des choses, à prendre le rythme des choses. C’est surmontable. Notre civilisation moderne a affronté bien pire. A Bali, pas mal d’associations agissent face à la pollution et à la plaie des déchets plastiques, par exemple. Step by step…

Tu as d’autres vidéos comme celle-ci dans tes cartons ?

Ce n’est pas du surf, mais c’est une vraie “time capsule” comme disent les anglo-saxons. En 1976, lors d’un long voyage, j’ai retrouvé un ami à New York et alors on a décidé de faire un film sur cette ville. On a filmé pendant deux mois d’été en super 8, la vie dans les rues. 6 heures de film, autant en bande son. Et pour diverses raisons, c’en est resté là. C’est dans mon grenier. Un trésor d’images à ressortir un jour…

Recueilli par Romain Ferrand

(Errata dans le commentaire du film : Morning of the earth, cité au début, n’est pas de Paul Witzig (auteur de Evolution, 1968) mais de son contemporain australien Alby Falzon,  également co-fondateur en 1970 du magazine Tracks)


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