Kyllian Guerin : "C’est la première fois de ma vie où je me suis dit que je pouvais me noyer".

Celui qui a repoussé hier dans les Landes les limites du surf à la rame, est revenu avec nous au téléphone ce matin sur cette vague mais aussi sur la cohabitation pas toujours évidente entre les jets et les autres surfeurs.

02/03/2022 par Marc-Antoine Guet

Hier soir, en partant du bureau, nous savions qu’il avait dû se passer beaucoup de choses à l’eau… Les premières stories Instagram de la mi-journée laissaient prévoir un mardi d’hiver peu ordinaire. 

Et même si nous avons pu voir de nos propres yeux en milieu d’après-midi ce swell world-class, nous étions loin de nous imaginer qu’à une vingtaine de kilomètres du bureau, de l’autre côté de l’Adour, Kyllian Guerin allait s’offrir une vague dont il se rappellera longtemps. Une vague, prise à la rame, qui allait aussi (re)lancer le débat entre les « rameurs » et les « surfeurs en jet ». 

Il était 18 heures hier soir quand le jeune landais nous a prévenu qu’il avait eu selon ses mots « une très très bonne vague ». Lien Wetransfer à l’appui, nous en avons eu confirmation. 

Nous avons bien évidemment diffusé dans la soirée sa vidéo sur Instagram mais nous avons aussi souhaité en savoir un peu plus sur le surf à la rame dans ce genre de conditions tout en revenant plus précisément avec lui sur cette grosse session d’hiver et cette vague mémorable. 

Ce matin, alors qu’il prenait son café, c’est le corps fatigué mais l’esprit épanoui et toujours sous l’émotion de l’adrénaline procurée, que Kyllian a bien voulu revenir pour nous sur cette session d’hiver peu ordinaire. Fatigue, mise à l’eau, courant, découragement, peur et grosse frayeur, le surfeur de chez Rip Curl est revenu longuement sur la session d’hier, tout en nous faisant part d’un sujet qui le titille depuis quelques temps déjà, à savoir la présence importante de jets lors de sessions qui ne le justifient pas forcément. 

Entretien. 

Kyllian, ta vague d’hier a tourné toute la nuit un peu partout. Raconte nous cette journée et ce qui s’est passé. 

Kyllian Guerin : « Je me suis réveillé tôt le matin et je suis allé surfer 2h30 à la Nord. Je suis sorti de l’eau vers 12h30, j’ai pris mon petit déj’ en 1/2 heure et je suis reparti faire du physique avec mon préparateur. Je savais que les conditions étaient solides. J’étais déjà un peu fatigué de la journée avec mon surf du matin et la prépa physique mais j’ai voulu remettre ça sur un autre spot. Quand je suis arrivé aux Estagnots, il y avait quelques gars qui checkaient les vagues. On a regardé ensemble pendant une vingtaine de minutes ce qui se passait. Kauli (Vaast) et Sancho (Benjamin Sanchis) sont arrivés en jet et ils ont surfé pendant 45 minutes environ. Je suis retourné à la voiture en me disant que c’était mort. Du bord, tu ne voyais que très très peu de vagues surfables. C’était en chantier, ça ne donnait pas du tout envie. Mais sur le parking, alors que je m’apprêtais à repartir, j’ai fait demi tour. J’ai voulu aller re-regarder encore. Je ne voulais pas aller surfer à Capbreton et batailler pendant 2 heures, je voulais un challenge. Je suis retourné voir le spot et j’ai trouvé que ça s’était un peu cleané. Le problème c’est que j’étais à la rame et qu’il n’y avait pas de passe pour passer la barre. Je me suis doucement (et gentiment) fait chambrer par des mecs qui surfent en jet qui me demandaient si je ne voulais pas y aller à la rame. Ce fut le déclic. Je suis rentré chez moi me changer, je suis allé me mettre en combi et c’était parti. Quand je suis revenu, Kauli et Sancho en jet n’étaient plus là. J’ai vu une petite passe et j’avais remarqué qu’il y avait 10-15 minutes d’accalmie entre les séries. C’est là que j’avais potentiellement la chance de passer à la rame. Je suis rentré dans l’eau et je me suis fait aspirer directement par le courant jusqu’à la zone d’impact. Je me suis fait découper. J’étais tout seul dans l’eau. Je commençais à me dire, merde, si le leash casse je suis mal. J’ai pris une mousse pour revenir au bord et me remettre dans la baïne. Là il y a eu une accalmie, j’ai voulu repasser la barre. C’est à ce moment-là que j’ai vu un jet arriver, je croyais que c’était Sancho mais c’était Clément Roseyro qui sortait de nulle part. Comme un ange gardien. Il m’a proposé de faire du step-off mais je lui ai dit que non, je voulais ma vague à la rame. La sécu ok, mais je voulais prendre ma vague à la rame, c’est pour moi, un plus gros accomplissement que d’en prendre une en step-off. Ma première vague fut une grosse grosse droite. Un gros close-out. Je me suis fait démolir dans le tube. J’ai tapé le sable, je me suis fait secouer et quand j’ai sorti la tête de l’eau j’étais encore dans la zone d’impact. J’ai vu arriver une vague de 2-50-3m qui m’a cassé dessus. Ensuite j’ai pris 3-4 mousses sur la tête qui m’ont ramenées jusqu’au bord. J’ai déjà surfé ce spot quand c’était solide, mais là c’était massif et en chantier avec beaucoup de mouvement d’eau. Clément du bord me demande si je voulais retenter le coup et en reprendre une. Je sentais qu’il m’en fallait au moins une de plus. Je sentais que je n’avais pas terminé le challenge que je m’étais fixé. Il m’a reposé au large et je me suis replacé à l’instinct. J’ai ramé sur une vague qui doublait et je l’ai raté. Elle était pourtant parfaite. Deux vagues après, celle-ci est arrivée. Un monstre. Je l’ai vu arriver en triangle. J’avais pas du tout analysé la vague comme étant un close-out. Je pensais que j’aurais eu le temps de faire un grand take-off, un gros bottom et me caler dans le tube. J’ai ramé comme un ouf, j’ai donné 3-4 coups de rame et j’ai fait mon take-off. Puis je fais mon bottom, et là, au bottom, je me rends compte que la vague tubait déjà et que je n’avais pas le temps de la contourner pour me caler dedans. J’étais trop late. Il y quelques semaines à Backdoor, j’avais fait un tout droit sur une vague pareille, ce fut par la suite un gros regret. Je m’en suis rappelé et là, je me suis dit non, pas cette fois-ci. Il faut que je tente. Dans le tube je me suis dit que c’était énorme. D’un coup je sors du tube, toute cette joie tombe en moi mais je n’ai rien pu laisser sortir car en sortant du tube la vague faisait 2 fois la taille de la vague de base. Je me suis dit faut tenter le doggy door. J’étais en bas de vague, je n’avais pas trop de vitesse, je me suis dit que le doggy door n’allait pas passer. J’ai lancé ma planche un mètre devant moi et le lip est tombé direct dessus, ça s’est joué à un mètre. J’ai finalement eu raison de ne pas le tenter. Puis j’ai mis mon cerveau en pause et j’ai essayé de rester calme. Je me suis fait plaquer contre le sable et la vague m’a broyée. Je me suis fait secouer de partout. C’était violent. J’ai sorti la tête de l’eau, et là, j’ai enfin pu laisser exploser ma joie. Je n’avais jamais pris un shot d’adrénaline aussi puissant de toute ma vie. Je prenais des mousses de 2 mètres dans la gueule mais je hurlais de joie. Je n’arrivais plus à respirer, je n’avais plus de souffle mais j’étais tellement heureux. Clément fut un peu mon ange gardien, il a eu un oeil sur moi. C’est grâce à lui que j’ai eu cette 2e vague. Je suis sorti de l’eau, j’avais eu ma dose. C’est la première fois de ma vie où je me suis dit que je pouvais me noyer. Quand je suis sorti de l’eau, le premier à courir sur la plage les bras en l’air c’était mon père ».


Solide ! Tu m’as aussi fait part d’un sujet qui te tient à coeur et dont tu souhaitais parler aujourd’hui via cette vague : les jets à Hossegor ?

K.G : « La situation des jets-ski à Hossegor ça devient n’importe quoi. Il n’y a aucune règle pour les jets ici dans les Landes. Certains gars, des anciens, sont en jet et je le comprends. Ils ont tout prouvé depuis des années, ce sont les boss et il n’y a pas de débat avec eux. C’est normal qu’ils choisissent la simplicité. Ils ont le mérite et le droit d’être en jet. Mais depuis un ou deux ans, tout le monde rêve d’avoir son jet ski pour se faire sa petite session en step-off. Tu as des gars qui sont sur des jets, qui ont moins de 30 ans, qui pourraient largement surfer à la rame. Et je ne parle même pas des gars qui viennent d’Espagne ou de Mundaka foutre leurs jets ici. Jamais on ne pourrait faire ça chez eux. C’est ça l’ironie du sort. Quand tu as 2m, 2m50 tu peux y aller à la rame. Normalement quand tu es en jet, tout doit être cadré. Là c’est chacun pour sa gueule. Si encore chacun assurait la sécurité de chacun. Mais là c’est dangereux car tu es à la rame, eux n’assurent pas ta sécurité et en plus viennent polluer le spot. Il y a trop de jet skis aujourd’hui et il n’y a pas de règle. Ça devient n’importe quoi. Moi j’en ai un chez moi. Je m’en sers quasiment jamais. Oui c’est plus compliqué à la rame. Oui tu te prends des branlées. Mais une fois que tu as compris où te placer, tu bosses sur ton sens marin. Personnellement c’est plus jouissif d’en chier à la rame. Pour moi tu as plus de mérite de trouver la vague à la rame, que de te faire droper par ton jet ski 10 mètres avant qu’elle ne casse. La sensation que te procure la rame, c’est un accomplissement personnel pour moi plus important. Les sensations que j’ai eu hier, jamais j’aurais pu avoir ça en step-off. Oui j’aurais pu avoir la même vague en jet. Mais là j’ai galéré pour l’avoir, c’est ça qui rend le truc ouf. Hier il n’y avait pas de jet à l’eau où j’étais. Il n’y avait personne. Alors que pour le coup c’est un jour qui méritait de les utiliser. Quand je vois tout le monde en jet aujourd’hui, ça me donne encore plus envie de batailler à la rame. Bientôt, il y aura 1m50 et plus personne n’utilisera ses bras. Tu ne verras à l’eau que des jets ski et je trouve ça triste ». 

La relation « rameurs » et « surfeurs en jet » quand les conditions sont « ramables » est un vrai sujet que nous aborderons plus en profondeur prochainement sur ce site en donnant la parole à tous les protagonistes. 

>> Vidéo Insta par Ted Boutin 


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2 commentaires

  • nanar
    1 avril 2022 21h07

    maverick kiki , l ocean est a tous et nous sommes tous different
    mais surtout arréter d interdire
    freedom

    Répondre

  • sanoj
    15 mars 2022 21h25

    Certains auraient le droit au jet et d’autres non, en fonction de leurs palmarès à l’eau ? Les Espagnols pas le droit mais les locaux un peu anciens si ? ça ne choque personne ? Cela ne répond à aucune logique ni sociétale, ni environnementale : c’est un donc un choix arbitraire. Et nous savons où cela peut mener, surtout en ce moment.
    Les jets à l’eau, soit c’est non (de mon avis cela devrait être interdit dans 95% des cas), soit c’est très bien encadré.

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