Interview : d’un art à l’autre, Ayo et sa passion du surf

La chanteuse de soul a posé ses bagages à Tahiti pour être au plus près des vagues.

11/01/2024 par Maia Galot

« C’est peut être la chose que j’aime le plus dans ma vie après mes enfants, le surf. Peut-être même plus que la musique, aujourd’hui je surfe plus que je ne fais de la musique »

Ayo

L’artiste Joy Olasunmibo Ogunmakin est plus connue sous le nom de Ayo, son nom de scène, qui signifie « joie » en dialecte yorùbá (l’une des trois langues nationales du Nigeria, d’où son père est originaire). Parmi ses plus grands succès, le titre « Down On My Knees », issue de son premier album Joyful (2006), devrait vous paraitre familier, ayant bercé nombre d’entre nous il y a plus de 15 ans déjà. Pourtant, si la chanteuse a l’habitude de toucher à l’aide de sa voix et de sa guitare, c’est au travers d’un autre médium que nous avons connecté avec elle : le surf. Après avoir vécu à Paris et New York puis au Portugal, Ayo a posé ses valises et son soul à Tahiti, où elle vit depuis plus de 2 ans, par amour du surf. Interview.

Raconte-nous Ayo ! Quand et comment est née ta passion pour le surf ?

La toute première fois c’était à 19 ans, j’étais descendue de Paris à Hossegor avec un ami. Un autre de nos amis, Ed, m’e emmenée à l’eau cette fois-là. Je me suis retrouvée dans l’océan et je ne savais pas alors que l’océan pouvait être si intense. Après ça, j’ai eu envie d’apprendre, de comprendre, j’ai de suite aimé la sensation. Ensuite j’ai surfé au Portugal pendant les vacances mais parfois je ne pouvais pas surfer autant que je le voulais, quand j’étais très prise par la musique. Je surfais aussi à New York, c’est là-bas que j’ai acheté ma première planche il y a 12 ans. À partir de ce moment-là c’est devenu une addiction, jusqu’au point où j’ai dis « maintenant je veux vivre là où il y a des vagues ». J’ai d’abord décidé de vivre au Portugal. Je ne peux pas imaginer vivre loin de l’océan et me réveiller sans faire du surf. Ça fait presque 5 ans.

Et aujourd’hui te voilà à Tahiti ?

Oui ! La première fois que je suis venue ici c’était pour un premier concert. Je devais rester 2 semaines pour jouer 2 concerts mais ils ont fermé les frontières à cause de la COVID-19 et j’ai décidé de rester. Au lieu de jouer 2 concerts j’en ai joué 22 et je suis restée 5 mois ! Pendant ces 5 mois j’ai surfé matin et soir, ma vie c’était vraiment le surf et je crois que c’est le moment de ma vie où j’ai fait la plus grosse progression, c’était devenu naturel d’aller à l’eau dès le réveil et je ne pourrais plus imaginer vivre sans ça. J’ai été déprimée quand j’ai quitté Tahiti, je suis partie en tournée (et heureusement que j’ai joué car c’est aussi thérapeutique) mais dès que j’ai quitté la scène je suis tombée dans une dépression car ça m’a trop manqué, je voulais revenir.

Après 3 mois de tournée, je suis directement repartie à Tahiti et j’ai compris que je n’arrive pas à quitter cet endroit. J’habitais déjà au Portugal pour le surf et j’adore ce pays, les vagues sont magnifiques, ça ne coûte pas cher, c’est un joli lifestyle mais c’est différent, l’eau est froide toute l’année et ce n’est pas la même chose. C’est aussi là que j’ai réalisé que je ne peux plus vivre dans une ville comme Paris : même si j’aime Paris, j’ai besoin de l’océan.

Es-tu la première de ta famille à avoir ce lien avec l’océan ?

Oui, c’est venu avec moi, même si ma maman et ma grand-mère aimaient beaucoup nager ! Depuis petite j’ai toujours aimé l’eau, c’était déjà mon élément préféré. Mon papa par contre ne sait pas bien nager, c’est le stéréotype africain (rires), beaucoup de Nigérians ne savent pas nager. Encore aujourd’hui il a cette peur pour moi, il me dit toujours “n’exagère pas” car culturellement il n’a pas l’habitude, c’est tellement impressionnant pour lui qu’il ne comprend pas qu’on ne puisse pas avoir peur, pour lui ce n’est pas naturel. Aujourd’hui mes enfants aiment ça aussi. Ma fille a 13 ans, elle n’a pas peur, elle me suit et est à l’aise mais elle n’aime pas trop surfer avec moi (rires). Elle dit que je suis trop stricte, je pense que c’est parce que quand c’est nos enfants on fait très attention et aussi que j’aime tellement ça que j’ai envie qu’ils aiment ça aussi… Pour le dernier né je n’insiste pas, il a 6 ans, il a un peu peur des vagues mais il commence à jouer dans l’eau et je le laisse faire, le jour viendra où il sera prêt à commencer l’aventure du surf.

Tu parles d’appréhension, qu’en est-il de ton côté, comment as-tu vécu les différentes phases d’apprentissage au fil des années ?

C’est une évolution constante. Pas plus tard qu’hier je n’étais pas bien à l’eau, alors que maintenant j’ai un bon niveau mais j’étais trop dure avec moi-même et je me sentais comme une débutante dans l’eau. J’ai réalisé que c’est parce que je surfe en continu, que je ne fais pas de pause. Parfois je reste dans l’eau pendant des heures, ça m’arrive de rester 6h à l’eau et au bout d’un moment tu n’écoutes plus ton corps. C’est vraiment une addiction, ça devient fatiguant mais tu ne le comprends pas car ton corps est fatigué mais dans ta tête tu es bien et tu veux absolument continuer à surfer, sauf que ton corps est fatigué et que tu n’es plus pareil, tu fais des erreurs. 

Au début j’étais moins frustrée car je voulais juste devenir meilleure pour trouver cette sensation de glisse plus longue, sentir cette liberté totale de ne faire qu’un avec le rythme de l’océan, c’est ça qui m’inspirait et j’avais envie d’apprendre. J’ai fais des progrès trés vite car c’était une passion et j’avais envie de devenir bonne en surf et de progresser, j’ai pris beaucoup de plaisir dans cette progression. 

Quelles planches surfes-tu ?

Au Portugal je surfais un 8’ single fin très litrée. C’était une autre sensation de glisse, jusqu’à aujourd’hui j’adore les single fins mais ma plus petite planche est une 5’7. Je la prends sur les vagues de récif. J’adore le shortboard parce que c’est une autre sensation, une autre vitesse, un autre rythme. J’aime ça aussi dans le surf, dès que tu changes la planche ça change le feeling et j’adore cette diversité. Beaucoup de sports n’ont pas ça. Aujourd’hui j’aime avoir toutes ces possibilités, il y a des jours où tu as un feeling en particulier, tu regardes l’océan et tu te dis « c’est la 6’10 qu’il faut« , j’adore ça. 

Vois-tu des similarités entre le surf et la musique ?

Il y a beaucoup de similarités. Pour moi le surf est très spirituel, il y a des jours où je vais à l’eau et je pleure de gratitude tellement je me sens bien, je voudrais serrer l’océan ou le monde dans mes bras. Je me sens reconnaissante d’être dans cet endroit magique et chaque vague que l’on peut surfer c’est comme un cadeau. J’ai la même émotion quand je fais de la musique, quand j’écris. C’est l’univers qui donne les chansons et c’est l’univers qui donne les vagues, on ne peut pas le contrôler. Quand je fais de la musique, je ne contrôle pas non plus. La musique c’est aussi une autre dimension qui fait quelque chose avec toi et je retrouve le même effet dans l’eau, la même profondeur. Faire de la musique ce sont des fréquences et les fréquences sont des vagues, c’est la même chose. Et quand tu joues un concert, tu ne sais jamais les conditions (rires), c’est toujours différent, c’est vraiment comme le surf, j’ai les mêmes sensations et c’est vraiment incroyable.

« Pour moi il n’y a que du bon dans le surf, ça fait du bien à l’âme, c’est thérapeutique »

Ayo
Ayo
Ayo et sa fille, à l’eau.
Papenoo Tahiti
Le spot de la Papenoo, son « préféré au monde ».

« Il y a une autre couleur dans ce disque et je crois que cette couleur c’est l’océan qu’on entend. »

Ayo

 Ta capacité à te connecter à tes émotions dans la musique t’a t-elle aidée dans le surf ?

Oui car pour moi c’est le même sentiment. Les surfeurs et surfeuses le comprennent ! Quand on parle avec les gens qui ne font pas de surf, ils nous regardent comme si on était un peu bizarre quand on parle de ces sensations, on parle comme des fanatiques (rires). Pour moi, il y a cette émotion, que moi j’explique par le fait qu’on a de l’eau en nous (la quantité moyenne d’eau contenue dans un organisme adulte est de 65 %, ndlr), ça veut dire que nous aussi on est tiré par la lune, comme l’océan, et que l’on est sensible à plein de choses comme l’océan. Je crois que dès qu’on est dans l’eau, on fait un avec cet élément parce qu’il est en nous et je crois que ça a de nombreux effets, ça nettoie, c’est magique. Parfois lorsque je vais à l’eau, surtout si je ne suis pas bien, l’eau m’enlève le mal et ça remet tout en perspective, ça m’aide émotionnellement. Quand on est à l’eau, on a un sourire sur le visage qui ne part plus, on sent l’amour de l’océan et on se sent à l’aise, aimé, ça remplit. Dans l’océan, je me sens complète, je ne cherche plus rien car l’océan m’a comme « tout donné« . 

Le surf dans ma vie m’a beaucoup aidé émotionnellement. Il n’y a même pas de mot, je crois que l’océan c’est sacré, c’est le vrai paradis. On connaît bien l’univers, les planètes, la technologie est incroyable mais quand on parle de l’océan on ne sait rien, les scientifiques ne sont pas capables de comprendre cet élément, ils ne sont pas capables d’aller dans les profondeurs et de comprendre ce qu’il s’y passe. Pour moi c’est le jardin sacré, c’est magique.

Et à l’inverse, l’océan a t-il influencé ta musique ces dernières années ?

Ma musique a beaucoup changé. Je suis née émotive, je l’ai toujours été et aujourd’hui j’arrive à me comprendre mieux, j’ai moins peur d’être vulnérable. Le surf a cet effet aussi, il te rend humble, ce n’est pas que joli : tu tombes, tu galères, il y a pleins de journées compliquées où il faut se battre. Je crois que ça m’a aidé sur ça. Avec le surf tu deviens humble, reconnaissant et tu vis dans le moment. Mon prochain disque qui va sortir en 2024 parle de l’océan, il est dédié à l’océan. Son titre est « Mami Wata« , la déesse de l’océan en Afrique. J’écris surtout après le surf, ou avant, j’écris près de l’eau. Il y a une autre couleur dans ce disque et je crois que cette couleur c’est l’océan qu’on entend, c’est l’esprit de l’océan, c’est ce qui m’a inspirée et qui a tout changé.

En allemand le mot « weltmeer » qui signifie « océan » est neutre (ni masculin ni féminin) et j’ai remarqué que tu faisais parfois référence à l’océan au féminin, peux-tu m’expliquer ?

C’est intéressant car en français on dit “la mer”, hors pour moi l’océan est une énergie féminine, comme une mère. Quand on donne la vie, quand on est enceinte, ça commence par l’océan en nous. Pour moi, l’océan est une divinité féminine alors je parle beaucoup avec l’océan, je remercie l’océan. Pour nous surfeurs et surfeuses c’est notre église et on a une relation personnelle avec l’océan. M’adresser à l’océan c’est comme m’adresser à ma mère, parce que pour moi elle donne la vie.

Dans un autre registre, on t’a aussi vue sur la liste des participantes à la Vahine Cup ?!

C’est vrai ! J’avais vraiment envie de faire cette expérience. Mais quelle pression horrible ! Je ne savais pas (rires) ! Savoir que l’on a que 20-25 minutes dans un heat, c’est une pression, un sentiment intéressant qui permet une autre progression. En surfant avec la pression tu deviens plus efficace. Parfois on va à l’eau pendant 4h mais on ne prend pas forcément beaucoup de vagues, on parle, on prend les vagues qui sont faciles à prendre, on ne va pas trop chasser, on a du temps. En compétition ça change pour le mieux car tu prends plus de vagues en moins de temps, tu te mets à lire mieux les vagues. Ça m’a aidée là-dessus et à mettre mon focus sur l’endroit où je dois me placer. En free-surf tu es libre, tu rêves beaucoup plus, tu prends ton temps et c’est magnifique mais aujourd’hui s’il y a des jours où je n’ai pas beaucoup de temps car je dois aller chercher les enfants à l’école (rires) ça m’a beaucoup aidée. J’ai aimé cette pression, c’est horrible mais en même temps j’y ai pris goût. J’ai aimé cette expérience et ce partage avec les autres filles, c’est magnifique.

J’aime beaucoup cette communauté de femmes en surf, on ne rencontre que de jolies âmes, des femmes qui aiment être dans le partage. Dans l’océan, on est toutes des sœurs et on parle toutes la même langue. Cette énergie divine et féminine fait aussi que j’aime voir les femmes dans l’eau. Je crois que pour nous c’est encore différent, les hommes sont plus compétitifs, c’est une autre énergie. Les femmes sont plus douces, mais à la fois elles attaquent, sont fortes, on retrouve cette intensité profonde.

Ayo surf

« L’océan pour moi c’est comme un autre monde, un autre univers. Tu y es tellement connecté. « 

Ayo

Peux-tu nous raconter une session qui t’a particulièrement marquée ?

Récemment j’ai fait une session avec deux amis. C’était une journée avec un temps pourri, des conditions pourries partout, trop de vent. On a cherché à surfer, on ne trouvait rien, on a été à l’eau à un endroit, c’était nul, on a été à un autre endroit, c’était trop agité. Puis on a été de l’autre côté de l’île, après la Papenoo. On s’est retrouvé à une embouchure où peu de gens surfent, ce n’est pas un spot connu, ça avait l’air nul mais on a cru y voir quelque chose alors on s’est dit qu’on n’avait rien à perdre. En 20 minutes, les conditions ont changées : c’était magique. Le vent s’est arrêté d’un coup, il s’est mis à pleuvoir puis c’est devenu glassy et il y a eu plus de taille, les vagues sont devenues parfaites, en droite et en gauche, on était que 3 dans l’eau. C’était incroyable. On a passé 3h30 comme dans un rêve, pas juste pour les conditions mais aussi parce que c’était magnifique comme endroit, on voyait les cascades depuis l’eau, c’était mystique, une journée à part. On était reconnaissant et content d’avoir partagé ça ensemble, aujourd’hui encore on parle de cette session-là et je crois que ce sont les sessions comme ça, que tu partages avec des gens spéciaux pour toi, des amis qui ont la même fréquence que toi, qui marquent. C’est si beau que ça t’émeut.


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