Christophe Guibert : "Le surf ce n’est pas uniquement ce que l’on peut lire dans la presse spécialisée"

À travers son dernier livre, le sociologue nous interroge sur la pratique du surf aujourd'hui, sa (contre) culture et les mythes qui l'entourent.

25/09/2020 par Rédaction Surf Session

Les Mondes de surf est un ouvrage collectif et multidisciplinaire, avec une postface de Gibus de Soultrait en prime, coordonné par le sociologue Christophe Guibert. Le livre doit paraître en novembre aux Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine.

Dans cet ouvrage, les angles d’attaques (venant d’universitaires de plusieurs disciplines en sciences sociales, comme des économistes, des anthropologues, des géographes…) sont différents mais complémentaires. Ce qui permet d’avoir des analyses cohérentes et d’interroger ces mondes du surf (volontairement mis au pluriel par son auteur). Un travail qui a eu pour but de se questionner sur les dimensions économiques, sociales, culturelles et historiques de la pratique.

Que ce soit les nouvelles technologies avec les piscines à vagues, l’emploi des moniteurs de surf à Taïwan ou au Brésil, l’économie du surf à Taghazout au Maroc, le patrimoine du surf à Hawaï ou encore « la crise requin » à la Réunion, le surf est étudié sous toutes ses formes (et dérives). 

Pour ce nouvel ouvrage, le sociologue a analysé les représentations, les discours et les mythes qui entourent le surf avant de les déconstruire. 

Interview avec son auteur.

Comment définiriez-vous la culture surf ?

Christophe Guibert – Je ne pense pas qu’il y ait de culture surf. Il y a une expression qui dit : « le surf ce n’est que ce que les individus en font ». Cela peut être à la fois de la compétition professionnelle ou amateur, une pratique qui se fait en club et/ou de manière indépendante sans institution fédérale ou associative.

Le surf c’est aussi des images, des outils marketing pour vendre des objets de consommation qui sont parfois très éloignés du surf. Je pense aux publicités de voitures qu’on voit régulièrement avec des planches de surf. Le surf c’est le voyage, une culture historique hawaïenne, californienne, australienne mais aussi française avec chacune leurs spécificités. C’est tout un univers économique avec des marques de surf, des grandes marques de vêtements qui dépassent l’environnement même du surf. Beaucoup de gens connaissent ces marques sans être pratiquants. Ce sont les magazines de surf comme Surf Session qui participent à cette culture protéiforme et plurielle. C’est aussi le monde universitaire avec des formations, des articles…

On ne peut pas uniformiser la culture surf, elle est forcément plurielle, composite, différenciée… Chacun y trouve un peu son compte.

Le constat que je fais, c’est qu’il y a des valeurs comme le voyage, la liberté, la contre-culture, etc. qui sont parfois exagérées dans certains discours, notamment marketing, qui répondent à des stratégies économiques qui permettent de faire vendre. Ces marques valorisent cette image de liberté, de beaux paysages, de culture, de plage, dans un but économique. Il est plus vendeur pour ces entreprises de vanter les mythes et les mythologies du surf que de dire qu’il s’agit d’un sport de compétition comme les autres. Mais il s’agit de stratégies marketing somme toute assez ordinaire.


Comment expliquer ce maintien de la représentation du surfeur issu des années 70′ ? La presse a-t-elle eu un rôle ?

C.G – Oui, je l’ai analysé dans un article publié il y a quelques années dans lequel j’expliquais que la presse spécialisée française avait du mal à se défaire des contenus des presses anglo-saxonnes et notamment nord-américaines. Sur le principe pourquoi pas, on peut s’inspirer de ce qui se fait par ailleurs. La presse fonctionne comme ça. Le soucis c’est que ça importait d’une manière forcée, une culture nord-américaine, californienne qui n’avait pas grand chose à voir avec la culture française.

Par exemple la pratique du surf dans les années 50′, 60′ était une pratique assez élitiste économiquement, culturellement et qui n’était pas du tout contre-culturelle. Certains vont dire « mais si, il y avait le voyage, c’était quand même l’oisiveté, on avait des valeurs contre-culturelles ». J’ai fait des entretiens avec d’anciens responsables de clubs qui étaient investis dans le secteur associatif dans les années 70′, 80′ et beaucoup me disaient « non, non les hippies étaient à la marge, c’était une minorité ».

Par conséquent, oui la presse participe à cette mythification de la culture surf parce qu’il y a des intérêts économiques. Je me souviens d’articles qui dénonçaient le surf de compétition et en même temps, la page suivante était consacrée à un grand encart publicitaire d’une marque de surf qui sponsorisait une épreuve du tour professionnel. C’est tout un ensemble d’histoires sociales. Chaque élément des mondes du surf participe ou contribue à déconstruire les systèmes de croyances.


Cette image de « surf way of life » est-elle la même partout dans le monde ?

C.G – J’ai enquêté à Hawaï, en Chine, au Maroc et à Taïwan. À Taïwan et en Chine le surf est encore un peu perçu comme une activité plus de plage, balnéaire, et moins comme une activité sportive comme ça peut l’être par exemple en Australie, au Brésil ou à Hawaï. À Hawaï, la valorisation de l’activité se faisait davantage dans le cadre du secteur privé alors qu’en France les collectivités locales s’investissent assez largement dans le développement de la discipline donc il y a des relations public-privé très différentes.

Il y a néanmoins cette influence mythifiée d’une contre-culture, de la plage, de la pratique en dehors des institutions et d’un cadre normé. Ce
processus explique par exemple la difficulté d’une partie des salariés de
l’économie du surf à Taïwan à se sentir légitimes dans leur métier comme je l’explique dans l’ouvrage à paraître.
Cela participe peut-être à cette image de liberté et de rapprochement à la nature.

Mais ce sont des notions qu’il faut beaucoup nuancer : les
projets de vagues artificielles ou encore l’inscription du surf aux
Jeux Olympiques témoignent en effet de développements éloignés des images
supposées du « surf way of life ». Il faut donc penser le surf comme
une activité plurielle et composite.


La contre-culture surf est-elle réellement contestataire selon vous ?

C.G – Certains
surfeurs utilisent et pensent le surf comme une pratique contestataire,
un rapport à la nature, un rapprochement aux éléments
naturels, souhaitant ne pas tomber dans une surconsommation superflue. Donc oui, il peut y avoir  un rapport écologique à la pratique du surf. Mais
je pense néanmoins que la contestation est plus dans les discours que
dans les pratiques réelles. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment une
contre-culture contestataire, révoltée, quelle soit politique ou
environnementale même si on voit par exemple qu’il y a beaucoup de
contestations liées par exemple aux nouvelles installations des vagues
artificielles. Par exemple dans la région nantaise ou à Saint-Jean-de-Luz, ces projets posent problème avec des contestations citoyennes. Mais des contestations citoyennes qui n’émanent pas systématiquement de la population des surfeurs. Il y a plein de problématiques de cet ordre
là.

De là à dire que la culture surf serait par nature contestataire, non, pas du tout.
Elle est même plutôt consumériste avec les vêtements, les combinaisons, les
planches, les voyages ou encore les surf trips qui se multiplient. La
contestation est au final relativement étroite et circonscrite. 


La culture surf est-elle davantage populaire aujourd’hui qu’autrefois ?

C.G – C’est difficile d’y répondre car il est compliqué par l’enquête de capter la population des pratiquants de surf. Même la Fédération a du mal à savoir combien il y a de surfeurs, personne ne le sait précisément parce que c’est une activité qui se pratique majoritairement en-dehors d’un cadre associatif. Il n’y a pas de possibilité d’enquêter de manière exhaustive sur la population des surfeurs.

Néanmoins ce que l’on peut dire, c’est que la population des surfeurs en France est très hétérogène. On trouve à la fois des individus de classe sociale moyenne qui pratiquent localement, qui pratiquent depuis longtemps et qui ont leur matériel depuis longtemps sans forcément le renouveler, mais aussi des individus plus fortement dotés en ressources économiques et qui eux peuvent faire des voyages, des surf trips et donc engager des dépenses parfois coûteuses. On a aussi toute une clientèle estivale qui consomme des stages et des cours dans les écoles. Ces derniers se multiplient d’ailleurs depuis quelques années sur les plages françaises. Quand on voit le coût d’une prestation, cela exclu mécaniquement les classes sociales les plus modestes. Cela balaye un éventail assez large de classes sociales, mais aussi de catégories d’âge et de genre.


Quel est le message que vous vouliez faire passer avec cet ouvrage ?

C.G – L’idée est de dépasser les idées préconçues que l’on a autour du surf. Se plonger dans un ouvrage universitaire avec des articles variés  permet de voir les mondes du surf sous un autre angle et donc de se poser des questions sur ce qu’est le surf au XXIème siècle, de voir ce qui peut se faire par ailleurs, d’appréhender des nouvelles enquêtes, des nouveaux terrains, des nouveaux questionnements. Le surf ce n’est pas uniquement ce qu’on peut lire dans la presse spécialisée ou ce qu’en dise les médias généralistes. Si cela peut ouvrir des vocations à poursuivre des études et faire des enquêtes qui questionnent le surf dans toutes ces dimensions et bien le pari sera gagné.

Pour plus d’informations :

>> Articles de Christophe Guibert

>> « L’univers du surf et stratégies politiques en Aquitaine » de Christophe Guibert

>> Par Flora Etienne  

   


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1 commentaire

  • Jean Baptiste
    25 septembre 2020 15h56

    Article très pertinent qui met le doigt sur certaines vérités notamment sur l’ influence très forte du surf anglo saxon sur la presse surf française . Il serait intéressant de recentrer plus d’articles et reportages sur ce qui se passe ici ou dans d’autres contrées autre qu’ Hawaii , Australie et Californie … Je me sens plus proche d’un article qui parle d’un surfer landa qui surfe à l’autre bout de la France que d’un Kelly Slater qui fait rever un young guns mais qui fait surtout vendre.

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