Joan Duru aux JO Paris 2024 : la qualif’, Teahupo’o, sa préparation et les émotions qui vont avec

Le Landais nous a expliqué comment il a vécu l'annonce aux ISA, le travail abattu et celui en cours pour être prêt le moment venu.

24/04/2024 par Maia Galot

3 mars 2024. Après plusieurs journées sur les Mondiaux ISA, les 3 Français sont toujours en course (Kauli Vaast, déjà qualifié, Marco Mignot et Joan Duru). Depuis la veille, on sait que la France a décroché une place, qui se jouera donc entre Joan et Marco. Le trio cherche aussi à atteindre la première marche du podium par équipe, qui permettrait à l’équipe de France masculine de décrocher une 3e place de qualification aux Jeux Olympiques Paris 2024. Dans une série commune, le Landais a envoyé son co-équipier non-qualifié aux repêchages dans une série gagnée par Gabriel Medina (champion du monde ISA 2024). Aux repêchages, le jeune surfeur français s’est ensuite malheureusement incliné. Sa défaite a ainsi confirmé la qualification aux JO de Joan Duru, une journée qu’il nous a racontée.

Deux séries décisives lors des Mondiaux ISA 2024

Joan Duru – « Ce matin-là, je me suis réveillé fatigué. Les journées étaient longues et je commençais à tomber malade. J’ai fait abstraction pour ne pas y penser. J’étais dans un série avec Marco Mignot, ce n’était pas la série qui jouait car celui qui perdait allait en repêchages mais c’était quand même une étape importante à passer. Les vagues étaient comme plus tôt dans la semaine mais à l’échauffement rien n’allait. Là-bas il y a pleins d’oursins, même dans le sable. En m’échauffant j’ai pris un oursin, je l’ai enlevé, en revenant je mets le pied sur une guêpe… La journée commençait mal. J’ai continué mon échauffement mais il y avait toujours un truc qui n’allait pas.

Le air de Joan Duru dans un heat important lors des Mondiaux ISA 2024. © Sean Evans

Au départ de série j’ai mal commencé, jusqu’à 4 minutes de la fin je n’ai pas eu de vagues. J’avais la priorité mais je ne voyais pas de vagues qui me plaisaient, rien. Gabriel Medina avait 2 gros scores, Marco Mignot avait déjà 2 vagues. Ça se jouait souvent entre 10 et 12 points au total et il était déjà au-dessus. Je me disais que rien n’allait et puis j’ai repris mes techniques de respirations, je me suis bien remis dedans. Je me suis dis que les vagues étaient courtes, que ça pouvait aller vite et donc qu’il fallait que j’en prenne une bonne, pour me dire que j’étais encore dedans. Celle que j’ai prise n’était pas super donc j’ai fait le choix de prendre de la vitesse pour finir avec un bon air, j’ai eu 7 points. Je savais que les deux autres allaient me bloquer après ça et j’ai repensé à mon père qui m’avait dit la veille au téléphone « il n’y a pas de droites ou quoi ? C’est sûr que sur les droites, tu peux les battre » et j’ai eu sa phrase en tête en remontant au large. Marco est parti sur une vague, Medina est parti sur une gauche et à 30 secondes de la fin je me suis rappelé la phrase de mon père et je suis parti à droite. Ça a fait le score.

Ensuite on était bien positionné pour le titre et pour aller chercher la troisième place qualificative donc je suis redescendu sur la plage pour encourager Marco. Les médias voulaient que je mette un micro au cas où il perde et que donc je me qualifie mais j’ai dis non, je voulais l’encourager et non pas être heureux à l’idée de me qualifier. C’était horrible car c’était vraiment deux émotions très différentes qui s’opposaient. Je me disais que ça n’arriverait pas là, je voulais qu’on continue, que Marco passe et qu’on prenne les 3 places. Je n’espérais pas qu’il perde en pensant à ma qualification. Finalement il a eu une série pourrie, il n’y avait pas de vagues et il a perdu. »

Joan Duru et Kauli Vaast - Sean Evans/ISA
Joan Duru et Kauli Vaast © Sean Evans/ISA

Florilège d’émotions

Joan Duru – « Je ne m’y attendais pas, il fracassait jusque-là et donc j’étais sûr qu’il allait passer. Et d’un coup ça a été un gros coup d’émotion, c’était hallucinant, je ne saurais pas trop le décrire. Il y en avait beaucoup car les 3 dernières années ont été dures, je ne savais pas si j’arrêtais, si je continuais… Je n’avais plus de sponsor et je me disais « il y a les JO en France, je veux vraiment y aller mais est-ce que ça vaut le coup de se battre jusque-là » : c’est tout ça qui est remonté. J’ai dû bosser pour être là, j’ai investi de mon argent personnel pour rester en course quand je n’avais pas de sponsor. Il y a eu aussi beaucoup de travail une fois que j’étais dedans donc oui, c’est beaucoup d’émotions d’un coup.

Surf Session – Était-ce une revanche par rapport aux premiers Jeux Olympiques, où tu avais été en partie bloqué par l’ISA ?

Joan Duru – « Pour les premiers Jeux Olympiques j’étais 3e au classement, Michel Bourez et Jeremy Florès étaient devant et le méritaient depuis longtemps donc c’était parfait. Mais ensuite on m’a parlé d’une éventuelle 3e place par équipe, me disant que j’aurais pu les faire, puis la commission n’a pas accepté mon dossier parce que j’avais loupé une compétition ISA à cause d’une blessure. J’étais le seul dossier dans ce cas de figure, donc c’était injuste, mais ça ne m’avait pas vraiment affecté en réalité. Je ne sais même pas s’il y avait réellement une 3e place ou non, ça n’a jamais été très clair et je n’ai jamais trop cherché à creuser la question. Ma sensation de revanche venait plus du fait d’être sorti du CT, de revenir de blessure, d’avoir perdu mon sponsor, tous ces éléments-là. Le fait d’être encore là alors qu’il y a plein de monde dans le milieu du surf qui me disait que j’étais trop vieux alors que j’avais encore le niveau. »

Teahupo’o : être prêt le jour J

Surf Session – Tu t’es rendu à Teahupo’o avec la Fédération Française de Surf à deux reprises, qu’est-ce que cela t’a apporté ?

Joan Duru – « Les stages de la Fédération étaient hors-saison mais sur le second stage on a fait une compétition dans de petites conditions avec du vent, des conditions qu’il peut y avoir le jour-J donc ça c’était bien. Il y avait le maraamu (vent puissant de sud-est, courant durant l’hiver austral, ndlr) et 1m20, pas fou et justement c’était bien de le vivre au format compétition. J’ai aussi l’expérience des CT là-bas (le surfeur de 35 ans y a surfé 4 fois sur le circuit ASP/WSL, avec comme meilleur résultat une 5e place en 2017, ndlr) donc c’est un petit plus. Mais je pense que ce sont les entrainements des prochains mois qui vont être bénéfiques. Je vais aller passer du temps sur place.« 

Joan Duru Teahupo'o
Joan Duru à Teahupo’o lors du stage du collectif France © FFSurf
Surf Session – Comment évalues-tu ton niveau de confort sur la vague aujourd’hui ?

Joan Duru – « Je me sens bien sur la vague en free-surf. J’y suis assez à l’aise à part quand il y a 4-5 mètres, là j’ai peur (rires) mais ça n’arrivera pas le jour de la compétition, ou alors s’il y a de la peur je la gèrerai (rires). J’ai encore une grosse marge de progression, c’est pour ça que je veux passer du temps sur place, pour connaître la vague par coeur et ne rien laisser au hasard. Je veux surfer toutes les conditions. La vague change beaucoup selon les orientations de houle notamment.

Je vais aussi tester beaucoup de planches sur place. J’ai commandé des planches ici à Mayhem Europe et d’autres à Mayhem US. Si j’en casse je veux avoir le temps d’en recommander s’il faut, j’ai anticipé de ce côté-là, j’ai dû en commander 30. Il y en aura des bonnes et des moins bonnes pour cette vague donc je veux m’adapter. Je surferai en thruster, avec un modèle similaire à la planche que j’avais au Quemao Class. Elle y a hyper bien marché, dans le foamball elle tient hyper bien, plus que les autres. Du coup je l’ai apporté à David de Mayhem Europe pour la copier et faire tout un quiver sur cette base. Il travaille sur des step-ups, j’ai tout commandé de 6 pieds à 6’8 : 6’2, 6’4, 6’6 et une 5’11 si c’est petit. Et j’ai pris 3 quiver comme ça environ. Côté US, j’ai laissé Matt Biolos faire ce qu’il fait pour ses rideurs du moment pour Teahupo’o. Je ne veux pas trop me prendre la tête avec ça non plus, les locaux là-bas prennent la planche qui traine et font les meilleurs tubes. Au bout d’un moment si ça tube il faut y aller, arrêter de batailler, partir bien deep et sortir.« 

Surf Session – Justement, à force de passages sur place, as-tu pu prendre de précieux conseils des locaux sur la vague ?

Joan Duru – « Je suis toujours allé à Teahupo’o avec Michel Bourez. Déjà très jeune j’étais chez lui, il m’a accueilli la première fois quand j’avais 14-15 ans et depuis je vais toujours chez lui, on surfe ensemble. Je l’ai regardé et j’ai observé tout ce qu’il faisait. Même si ses résultats n’ont jamais explosés là-bas, ça reste l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur sur la vague donc il a beaucoup à m’apprendre. Je suis aussi resté parfois chez Matahi Drollet. Tous les locaux ont leur truc à eux, notamment dans leur placement, donc j’ai fait beaucoup d’observations.« 

D’ici là, comment te prépares-tu ?

« Je n’ai rien changé à ma préparation d’ici-là. Je surfe beaucoup, je fais mes entrainements physiques, de la respiration, de la ginastica natural et du VTT. Je m’entraine avec Thomas Maallem pour la partie compétition. Je vais aller sur les deux Challengers Series (CS) en Australie, ça me permettra de garder le rythme et de rester concentré dans mon surf. Ça me met aussi un petit objectif avant le gros. Je ferai les deux premières échéances puis je me concentrerai à fond sur Teahupo’o. Si je suis bien classé dans le circuit CS, je ferai les deux derniers (les étapes d’Ericeira et de Saquarema, en octobre, ndlr). Je pense louper l’étape de Ballito pour m’entrainer 2 mois à Tahiti, sauf si après m’être entrainé tout le mois de juin j’ai envie de faire la compétition de Ballito. C’est très loin en Afrique du Sud donc je verrai. Je m’y rendrai si j’ai envie sur le moment, que je me sens bien à Teahupo’o et que je pense qu’un break me sera bénéfique.« 

Joan Duru
À domicile.

Les mots qui comptent

Surf Session – Dans l’interview réalisée quand tu as appris ta qualification, tu as mentionné une conversation avec Marc Lacomare à 4h du matin, peux-tu nous en dire plus sur ces mots qui t’ont marqués ?

Joan Duru – « On ne parle pas souvent de surf avec Marc, on surfe tout le temps ensemble bien sûr mais on ne parle pas trop de compétition et de nos carrières. Pourtant cette fois-là au détour d’une soirée il m’a dit « pour nous, donne tout » et c’est ce que j’ai fait. C’était simple mais c’était important et touchant aussi. On se motive depuis tout petit, on a le même groupe depuis le Hossegor Surf Club, Les Copains D’abord, qui n’a pas changé. C’est arrivé plusieurs fois dans des moments un peu bas pour moi où juste un mot de l’un ou de l’autre m’a reboosté. Quand ça vient des proches c’est plus important et puis c’est aussi ceux qu’on a envie d’écouter je pense. »

Une autre expression qui t’es propre et te suit partout, c’est « au chilon ! » tu nous expliques ?

« Ça vient de mon cousin. C’est un mot qu’il a crié un jour, pour signifier « au carton » quand c’est gros, s’il y a un gros set qui rentre il faut y aller (rires). On a trouvé que ça sonnait bien et puis c’est resté. On va aller au chilon, dans le surf et dans le reste (rires).« 

Une dernière pour la route ?

Surf Session – Dans une citation à la Fédération Française de Surf, tu avais aussi affirmé que cette sélection en équipe de France serait ta dernière, est-ce que ça signifie que tu as prévu de raccrocher le lycra après les Jeux ?

Joan Duru – « Au début, je m’étais dit que je m’arrêterai après les Jeux, en me disant que c’était mon dernier gros objectif. Et puis finalement j’ai eu la wildcard au MEO Rip Curl Pro et ça s’est bien passé (Joan a terminé 5e, ndlr), donc je vais aller aux Challengers et on verra ce que ça donne. J’aime la compétition, si j’en fait c’est par plaisir. La compétition me fait surfer tous les jours peu importe les conditions, ça donne des objectifs et ça maintient une routine au quotidien. J’aime passer les séries mais perdre ne me met pas au fond du seau, c’est un jeu et je le prend comme tel. Je vais en Australie car je vois que j’ai encore un truc à jouer donc ce serait bête de passer à côté et le regretter plus tard. Finalement tant que je suis là, j’y vais. Les Jeux seront simplement mon dernier objectif, je me mettrai moins la pression ensuite. »

Joan Duru au MEO Rip Curl Pro Portugal 2024, épreuve de Championship Tour © Damien Poullenot/World Surf League

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