Journal de bord : « Ma vie de surfeuse en 11 sessions »

Anouk Corolleur est surfeuse depuis des années et a couché récemment l'histoire de sa passion en récit.

01/09/2023 par Maia Galot

Anouk Corolleur est professeure de yoga dans le Pays basque mais son univers gravite aussi autour de l’océan et d’un mode de vie qui invite à la reconnexion à soi. L’un de ses outils pour cela, c’est le surf. Récemment, elle a choisi de conter en récit un aperçu de sa relation à ce dernier, une pratique dont elle est passionnée qui l’accompagne depuis des années. Anouk écrit que l’océan a contribué à son propre développement personnel et c’est aujourd’hui en 11 sessions qu’elle a choisi de mettre en lumière son expérience. « Le récit et les photos sont authentiques » ajoute t-elle « Je pense que dans notre ère d’IA et de filtres, cela peut faire du bien« . Journal de bord.

Anouk Corolleur
Quelques vagues dans les mousses à Hendaye.
Anouk Corolleur
Première planche, Bali.

Alors que les piscines à vagues font irruptions dans nos vies de surfeurs et nous déconnectent un peu plus de la nature et de ce qui est vrai, j’ai voulu prendre un moment pour revenir sur mon chemin de surfeuse avec un exercice difficile : retracer ma vie de surfeuse au travers de 11 moments qui me lient à l’océan. 11 moments qui me permettent de prendre conscience que l’océan a participé pleinement à ma construction et à mon plein épanouissement.

Grande plage, Biarritz – 2001.

J’ai 10 ans et je n’ai jamais vraiment pris de « vraie vague”. Mon expérience se limite aux mousses de Hendaye. Mais ce jour là, mon père m’emmène derrière la barre. Assise sur ma Stewart 9’0, j’entends mon coeur battre fort dans ma poitrine. Boom. Une vague arrive au loin. Boom. Mon père me dit de ramer fort vers la plage. Boom. Il pousse mon tail et je dévale la pente qui me parait infinie. Boom. Boom. Boom. Je reste à genoux et lève les bras au ciel comme si je venais de sortir du tube. La scène doit être drôle à regarder depuis la plage. Je n’essaye même pas de repartir en chercher une autre. J’ai envie de hurler de joie tellement je suis heureuse. Je sors de l’eau avec le sourire jusqu’aux oreilles. Ma mère ne m’a pas vue, mais qu’importe. Les sensations que je vis en cet instant me garderont pour toujours, liée à l’océan.

Dreamland, Bali – 2006.

Depuis la vague de la Grande plage, j’ai enchainé les stages UCPA et j’ai même fait un stage à Santa Cruz en Californie où j’ai découvert pour la première fois le longboard classique. Mais à cette date, je suis bercée par le film Blue Crush et comme Anne-Marie, je rêve de surfer en shortboard pour faire d’impressionnants bottom turns. Mes parents m’offrent ma première planche, que je trouve dans un shop Billabong à Kuta, une 6’2. Je passe mes journées à surfer la droite de Dreamland (quand Dreamland était encore un “dream » et pas une plage de tourisme de masse), mais à force de trop prendre le soleil, je développe un méchant herpès bucal qui se développe jusque dans ma gorge. Antibio et interdiction de surfer pendant plusieurs jours. Premier carton rouge de ma vie de surfeuse.

Tea Tree Bay, Australie – 2008.

Encore jet lagged, je prends quelques vagues à Main beach sur une planche que j’ai acheté dès mon arrivée : une Mc tavish 7’6 orange. Je suis avec des garçons que j’ai rencontré dans l’école où j’apprends l’anglais pour quelques mois. Le surf est bon, mais ils me parlent d’un spot où les vagues déferlent encore mieux. Il faut marcher, voir courir 30 bonnes minutes. Il pleut, c’est le mois de juillet, saison des cyclones ici en Australie. Je n’ai mangé qu’un bout de brioche à midi, mais tous les points sont en feu et l’adrénaline me donne de l’énergie. Je les suis, en combi avec mon sac sur le dos, tentant de ne pas me mettre une boite dans les escaliers mouillés. Nous arrivons à Tea Tree Bay et nous jetons dans l’eau par le point. Je suis bien placée pour prendre une vague et un set arrive. Un local me fait un hochement de tête m’indiquant que c’est pour moi. Mon coeur se soulève, je pars et fais un ride incroyable. Lorsque j’arrive dans la mousse, un débutant lâche sa planche et percute la mienne. C’est mon premier surf avec cette planche et déjà un ding ! Je suis dégoutée. C’est la malédiction de la board neuve. Par la suite, je passerai presque tous mes après-midis, à Tea Treee Bay. J’ai même un joli tatouage du reef sur mon tibia, encore visible 15 ans après.

Wategoes, Byron Bay – 2010.

J’ai 20 ans et je ne prends pas soin de moi. D’ailleurs, je surfe beaucoup moins, car je suis très stressée par mes études. Ma colocataire s’appelle Izzy et elle est surfeuse pro. Elle pratique le longboard classique. Un soir, elle me propose d’aller faire un footing et d’enchainer avec un surf. Nous faisons le tour du lighthouse de Byron Bay. Izzy ne court pas… elle sprinte ! Je suis tellement out of shape… J’ai envie de vomir tellement je me pousse. Quand je la rejoins à la voiture, elle est déjà en train de se changer pour aller surfer. Je m’active. Lors de cette session, je découvre grâce à Izzy, la grâce du longboard classique. Elle danse sur les vagues. Jusqu’à aujourd’hui, je ne pense pas avoir croisé la route d’une meilleure surfeuse. Grâce à cette session, je prends aussi conscience de l’importance du surf et du sport dans ma vie pour ma santé physique et mentale.

Anouk Corolleur
Entre la France et l’Australie où Anouk réside presque 5 ans – le packing.
Byron Bay Surf Festival – première édition.
Maddie et Anouk en surf trip.

Arrawara Beach, Coffs Harbour – 2011.

Depuis que j’ai vu Izzy surfer, je m’entraine à faire des cross-step sur les planches en mousse de l’école de surf dans laquelle je travaille. Un jour, un local s’approche de moi. Ça fait quelque fois qu’il me voit surfer et il me demande si je veux participer à la compétition locale de surf longboard. Je n’ai pas de longboard mais un participant m’en prête une (une horreur mais qu’importe, au moins sa gentillesse me permet de participer à la compétition). Je me souviens dropper sur une locale pendant la compet’ (oups). Evidemment je ne gagne pas, mais je suis si heureuse de participer à la vie de cette communauté et je me suis vraiment challengée. Les jours qui suivent, je vends ma McTavish pour m’acheter mon premier longboard : une Takyama qui me fera léviter pour la première fois en noseride sur les spots les plus mythiques de la côte Est de l’Australie.

The Pass, Byron Bay – 2012.

La décision a été prise et le premier à avoir été mis au courant, c’est Darren mon nouveau colocataire Néo-Zélandais : ”Je pars surfer et voyager à travers le monde ! ”. “Tu as bien raison, lorsque tu finiras ta vie, tu ne te souviendras pas de l’argent que tu as fait en marketing, mais des vagues que tu auras surfées” – Une phrase qui reste jusqu’à aujourd’hui ma philosophie de vie. Je sens que quelque chose en lui s’éveille lorsque je partage avec lui mes rêves. Ce soir-là, nous surfons jusqu’à ne plus pouvoir voir les lignes. J’ai un goût de liberté dans le corps. Les couleurs sont magnifiques et l’ambiance à l’eau est en feu. Darren et moi tombons amoureux. Pour la première fois depuis longtemps : j’ai l’impression d’être en vie.

Wategoes, Byron Bay – 2012.

Je participe à la première édition du Surf Festival de Byron Bay. Lors de cette petite compétition locale, je rencontre d’autres filles qui font du longboard classique. Si aujourd’hui il y a beaucoup de filles qui surfent en longboard, à cette époque, nous ne sommes qu’une petite dizaine à le pratiquer. Maddie, une fille qui débarque de Sydney, termine première et moi deuxième de la compétition. C’est le début d’une belle amitié qui nous mènera jusqu’à Java, en Nouvelle Zélande et en France.

The Pass, Byron Bay – 2013.

Je surfe sans leash comme à mon habitude. Il doit y avoir 1m70 sur les sets, l’eau est trouble, le ciel orageux. Ce ne sont pas des tops conditions, mais j’ai trop besoin de surfer pour ma santé mentale. Mon ami James Mc Millan doit me rejoindre un peu plus tard. Je passe au dessus d’une grosse mousse quand ma main glisse de ma planche. Avec la force de la vague, ma planche cogne violemment mon bras droit. Je suis éjectée de ma planche et tombe dans l’eau. Je cherche mon bras, mais je ne le trouve pas. Il est cassé en deux au niveau de l’humérus et donc je le récupère derrière ma tête (outch !). S’en suit une mission de sauvetage qui impliquera tout le spot et les pompiers. À 500 mètres du bord dans une grosse houle, je sais que si je panique ou si je perds connaissance, les choses peuvent mal tourner. Après 20 minutes de rescue, j’arrive enfin sur la plage. James me rejoint. J’ai l’impression que ma vie et mes projets vont s’arrêter. Je resterai trois mois dans le plâtre entre l’Australie et Bali et apprendrai à apprécier d’autres choses de la vie que le surf. Notamment l’art et la spiritualité, grâce en grande partie à James Mc Millan.

La Nord, Lacanau – Hiver 2017.

Ca fait une année que j’ai réatterrit en France, après quatre ans de voyage pour surfer et me former au yoga autour du monde. J’ai le mal du voyage et surtout le mal de l’océan. Un matin d’hiver, après avoir conduit 1h20 avec ma 4L depuis Bordeaux, j’arrive à Lacanau. Ce jour-là, les vagues sont incroyables. Depuis que je suis arrivée en France, c’est le premier surf aussi qualitatif que je fais. Je me gave. Il semblerait que personne ici ne fasse du longboard classique. Lorsque je reviens près de ma 4L, il y a un bout de papier sur mon pare-brise avec un numéro. Par curiosité, j’appelle. Il s’appelle Arthur et il a aimé ma façon de surfer. Il me laissera deux Gato Herroi au cours de l’hiver à tester. En surfant différentes planches, j’apprends à me connaître. Ce que j’aime avoir sous les pieds reflète la personne que je deviens. Les années passent et mon quiver se raffine.

3 mois avec le bras droit dans le plâtre… pas idéal pour une droitière !
© @mat_hemon

Côte des Basques, Biarritz – Mai 2022.

J’ai passé les quatre derniers mois confinée en haut de la Côte des basques, dans le petit appartement de mon amie Fillipa, une artiste peintre elle-même coincée en Australie depuis le début de la pandémie. J’ai pris soin de ses chats, joué avec sa peinture et regardé depuis le toit les vagues déferler. À la sortie du confinement, je me sens très anxieuse de retourner surfer. L’océan m’impressionne et j’ai peur de faire une crise d’angoisse. Alors, je me prends par la main et reprends les bases : me sentir bien dans l’eau. Je m’allonge dans 5cm d’eau juste pour réapprendre à me détendre et à apprécier l’eau sur mon corps. Je dois avoir l’air ridicule mais je m’en moque. Je passerai la plupart de cet été sans planche, à pratiquer le bodysurf. Revenir à l’essentiel : le plaisir de glisser.

Parlementia, Guéthary – Printemps 2023.

J’ai vite pris mes marques dans cette communauté qui me fait un peu penser à celle de Byron Bay. Ce matin, il doit y avoir 1m80 sur les sets. Je commence par la vague intermédiaire pour prendre un peu confiance, puis je croise JB, un élève de yoga avec qui il m’arrive de partager quelques vagues. Il part rejoindre le peak, alors courageusement je décide de le suivre: « C’est bien » me dit-il. Depuis que j’habite à Guéthary, j’apprends à dépasser mes limites et à prendre confiance en moi grâce à cette vague impressionnante. Un set arrive. JB m’encourage à aller chercher la vague. Lors du take-off, j’ai peur de planter, mais à mon grand soulagement, ma planche atterrie parfaitement. Bras levés vers le ciel et cette fois sur mes 2 pieds, je retrouve 20 ans plus tard, les mêmes sensations que lors de ma première vague.

Texte de Anouk Corolleur (@anoukcorolleur)


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