Trouver sa voie à Nazaré :
nos questions à Michelle Des Bouillons

Rencontre avec une surfeuse moderne qui, pour avancer, fait tomber une à une les barrières qui la séparent de ses objectifs sans limites.

22/05/2023 par Rédaction Surf Session

Michelle Des Bouillons
© Naomi Adbib
© Naomi Adbib

Elle est l’une des étoiles montantes du surf de gros. La Franco-Brésilienne Michelle Des Bouillons enchaîne depuis quelques années les exploits sur les géantes de Nazaré. Comment une vie de surf, aussi passionnée soit-elle, peut-elle amener à titiller les plus grandes vagues du monde ? Dans cette interview, Michelle revient sur son parcours et nous explique comment elle s’est toujours laissée guider par son instinct. Rencontre avec une surfeuse moderne qui, pour avancer, fait tomber une à une les barrières qui la séparent de ses objectifs sans limites.

L’océan se soulève, formant d’immenses lignes régulières balayées par les vents. À peine formées, ces vagues sont déjà trop hautes pour le commun des mortels. Tous les feux sont au vert. Le jet s’élance plein gaz, vrombissant, et la vague n’en finit pas de s’élever. Décrivant une courbe puis une ligne droite, le jet tire Michelle juste sous le point de rupture, au cœur de l’immense vague de Nazaré. Sans attendre, des tonnes d’eau s’abattent à quelques mètres d’elle dans un vacarme ahurissant, couvrant même le son du jet. La vague haute comme un immeuble semble tout faire pour engloutir la surfeuse, mais ça passe, pour cette fois. Les vidéos comme celle-ci de Michelle Des Bouillons à Nazaré ne manquent pas.

Ton père est shapeur, ta mère surfeuse, on imagine bien tes parents à l’origine de ton amour pour le surf. Comment se sont déroulées tes premières années ?

J’ai grandi dans les vagues de Rio avec mon grand frère et ma grande sœur qui surfent également, on était toujours à la plage. La première vague dont je me souviens, j’avais 7 ans et le Malibu de ma mère. Après ça je crois que je me suis toujours vue surfeuse professionnelle ou travailler dans le surf. À 13 ans, j’ai commencé les compétitions locales et je suis petit à petit devenue pro. À 20 ans, j’étais vraiment forte, mais j’ai dû arrêter car je n’avais pas assez de sponsors pour financer le QS. C’était hyper triste, alors j’ai décidé de me lancer dans des études. J’ai commencé à me former à la production audiovisuelle et en parallèle j’entamais une nouvelle vie de free surfeuse. Canal Off, une chaîne de sport extrême au Brésil, m’a contactée pour me demander si je voulais devenir présentatrice. C’était pour un programme de filles, on voyageait partout en Amérique du Sud pour surfer. J’ai découvert que je pouvais vivre du surf, sans faire de la compétition. C’était vraiment bien !

Pourquoi avoir arrêté ?

J’ai eu envie de changement, envie d’explorer et de m’ouvrir à de nouvelles choses et je me suis tourné naturellement vers la France. Rien à voir avec le Brésil. Je ne connaissais personne à part Jean, mon frère. C’était assez dur à vivre. En plein hiver en plus ! Je ne voulais pas retourner à la maison sans avoir vécu de choses ici. Alors j’ai bataillé. J’ai commencé à collaborer avec des marques, le côté mannequin marchait plutôt bien, mais je me suis dit qu’il me manquait quelque chose. J’ai repensé à ma carrière de surf et me suis demandé comment j’aimerais que les gens se souviennent de moi dans le futur. J’étais à Hossegor, je voyais les pros prendre des barrels et je me disais « Michelle, ta place est parmi eux ». Je veux qu’on se souvienne de moi comme une surfeuse pro, c’est sûr.

C’est à ce moment-là qu’arrive le surf de gros dans ta vie ?

Oui, je me sentais vraiment proche des grosses vagues. Au Brésil j’étais toujours dans les gros swell, mais ce n’était pas aussi gros qu’en France. J’ai commencé à me poser la question : « Et si je devenais une surfeuse de gros ? ». Puis j’ai trouvé un coach qui m’a emmené à Nazaré pour découvrir la vie là-bas le temps d’un week-end. Pour mon premier séjour, c’était la pire des tempêtes. J’ai vu Francisco Porcella surfer la plus grosse vague du monde et je me suis dit que jamais je ne surferai ici. C’était un truc de malade, cela ne donnait pas du tout envie. L’année suivante, j’ai eu l’opportunité de passer un mois à Nazaré. Je me suis posé la question d’aller à l’eau, mais pour surfer là-bas, il faut toute une structure, une équipe, un jet-ski, un bon quiver. Ça coûte vraiment cher et je n’avais pas les moyens. J’ai donc shapé une planche de tow-in avec mon père, la première de toute sa carrière ! J’ai eu l’opportunité d’aller cinq fois à l’eau cette année-là, d’abord à la rame, puis en tow-in.

Alors, tes premières impressions ?

J’ai trop aimé l’expérience, mais cela n’a pas été facile. En plus on me regardait souvent comme une fille qui n’avait rien à faire dans ces grosses vagues. On m’a même dit que je n’allais pas y arriver. C’était particulièrement frustrant. Je suis rentrée à la maison en me posant des questions. J’ai pesé le pour et le contre. Il me fallait payer un jet-ski, un pilote et à l’époque, c’était trop compliqué. Alors à la place, j’ai décidé de me laisser du temps et de partir en Indonésie pour parfaire mon apprentissage dans les tubes. Je suis partie en 2018, sans billet de retour. Mon copain Ian Cosenza était de la partie, il est partenaire de Lucas Chumbo. J’ai pu prendre des vagues incroyables pendant tout mon séjour en Indonésie avec lui. Ian est déjà allé plusieurs fois à Nazaré et durant ce voyage, on s’est rendu compte qu’on avait le même objectif concernant les grosses vagues, il m’a proposé de venir avec lui pour la prochaine saison.

Nazaré © Naomi Adbib
© Naomi Adbib
© Naomi Adbib

Ce deuxième départ était le bon on dirait ?

Oui, on était en 2019 et j’ai beaucoup surfé cette saison-là. Parfois il y avait des vagues énormes, je ne pouvais vraiment pas aller à l’eau, alors je regardais depuis la falaise. Rien que ça, c’était génial. Je commençais à m’entraîner physiquement, mentalement, je sentais que je devenais petit à petit une surfeuse professionnelle de grosses vagues. Mais financièrement, malgré mes sponsors, je n’avais pas assez, il me fallait plus de fonds. J’ai activé mon réseau, créé des projets, monté des dossiers et l’un d’entre eux a fini par être accepté. Cette saison était spéciale pour moi. J’ai pris énormément de vagues, profité de gros swells et un jour, j’ai même rencontré Garrett McNamara à la boulangerie. On a discuté et il en a profité pour me glisser quelques conseils. Le lendemain à l’eau, c’était gros et je les appliquais.

Sur les réseaux sociaux, on te voit souvent surfer et réussir des vagues de dingue, mais pourrais-tu nous détailler l’un de tes plus gros loupés ?

Oui, un jour Ian et moi on est parti à l’eau pour s’entraîner et les vagues étaient un peu grosses. Une belle série est arrivée, il m’a mis dans une gauche incroyable, surement la plus grosse du jour. J’étais bien, j’avais confiance en moi, mais à un moment j’ai réalisé que la lèvre de la vague me fonçait dessus. J’étais au pire endroit. Quand j’ai vu ça, je me suis dit « un immeuble me tombe dessus, je suis finie. » Mais j’ai eu le temps de voir l’impact arriver et de déclencher ma veste juste avant. Je pense que c’est ce qui m’a protégée. Je suis ressortie indemne, personne n’y croyait. Ian a bien géré la récupération aussi, car la vague nous a presque tapés avec le jet-ski. Et si ça n’avait pas été Ian, une autre team serait venue me repêcher. Quand tu tombes à Nazaré, il y a toujours d’autres équipes pour venir t’aider. Ça me fait me sentir bien dans l’eau.

Le surf est un sport souvent marqué pas les inégalités. Est-ce qu’il existe une forme de rivalité entre athlètes dans le surf de gros, et est-ce que le fait que tu sois une femme t’a posé problème ?

Honnêtement, non. Je me sens vraiment bienvenue à Nazaré. Tous les garçons sont contents, me soutiennent. Je ne peux pas dire qu’il y a de mauvaises valeurs dans le surf à ce niveau-là. C’est même plutôt l’inverse. Pour Justine (Dupont) c’est pareil, les garçons nous admirent.

Michelle à Nazaré © Naomi Adbib
© Naomi Adbib
© Naomi Adbib
© Naomi Adbib

Alors si le surf a de bonnes valeurs, pourquoi voit-on moins de filles ?

Beaucoup de monde me demande pourquoi il y a moins de filles dans les grosses vagues. Selon moi, les garçons ne sont ici pas le fond du problème. Je pense avant tout que c’est parce que rien n’est simple. Les grosses vagues ne font pas envie à la majorité des gens et il n’y a pas de réelle différence entre les garçons et les filles. Surfer du gros, c’est autre chose, je pense que c’est avant tout une question de volonté. Le surf de gros est très personnel.

As-tu conscience que tes actions inspirent de nombreuses femmes à travers le monde ?

Oui, et c’est énorme. À mes débuts j’étais juste en train de surfer parce que j’aimais ça. C’était juste pour moi. En évoluant, j’ai commencé à recevoir des messages de filles vraiment jeunes qui me disaient « Michelle tu es top, j’ai envie d’être comme toi », des femmes de tout âge et pas seulement des surfeuses. Je comprends que parfois, quand tu n’as pas le courage de lancer un projet, que tu vois ce qu’il se passe en surf de gros avec les femmes, ça peut donner envie de batailler pour ses rêves. C’est génial de sentir que je peux aider ces femmes à avancer dans la vie.

Et maintenant pour toi, c’est quoi la suite ?

J’aimerais bien apprendre à shaper avec mon père. J’ai déjà commencé et je sais que mes planches seront plutôt typées perf’. Je veux qu’elles soient vraiment très belles, que l’on veuille aussi les acheter pour de la déco, qu’elles puissent amener un peu d’esprit surf pour tout le monde. Et plus tard, je me tâte même à partir sur le design d’intérieur.

Quand elle ne prend pas de vague, Michelle n’a de cesse d’explorer de nouveaux aspects du surf et d’embarquer toujours plus de monde dans sa passion. Nous avons hâte de la retrouver cet hiver dans les géantes de Nazaré. En attendant, vous pourrez la retrouver avec Ian en Indonésie, à l’ombre de sa longue gauche tubulaire préférée. Reste à trouver de laquelle elle veut parler.

Article par Mathieu Maugret.

→ Pour plus d’articles sur Michelle des Bouillons rendez-vous dans le premier numéro de SURFEUSES ou dans le Surf Session n°383.


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