Entretien post-blessure : on fait le point avec Ramzi Boukhiam
"Je ne peux pas revenir en arrière mais je peux revenir plus fort."
21/03/2023 par Ondine Wislez Pons
Nous avons rencontré Ramzi ce week-end à Anglet pour faire le point sur sa blessure, sa guérison et ses objectifs de compétitions à venir. Alors qu’il était le tout premier marocain de l’histoire à se qualifier sur le World Tour, Ramzi s’est blessé à la cheville le 17 janvier dernier à Hawaii lors d’un entraînement à Backdoor, deux semaines avant le début du Billabong Pro Pipeline qui ouvrait la saison 2023 du CT. Blessure qui l’empêchera de participer aux deux premières épreuves hawaiiennes, ainsi qu’à l’épreuve portugaise et qui le rendra out pour cette année. Mais le surfeur espère recevoir une wildcard pour la saison prochaine et ne perd pas de vue sa qualification pour les JO 2024.
Entretien.
Surf Session – Peux-tu nous remettre dans le contexte de ta blessure ?
Ramzi Boukhiam – » Ça faisait 10 jours que j’étais à Hawaii pour me mettre dans le bain. Je voulais me familiariser avec les conditions et mes plus grandes planches, je commençais d’ailleurs à bien les avoir sous les pieds. J’étais aussi bien physiquement que mentalement, je me sentais prêt pour le début de la saison.
SS – Comment t’es-tu blessé ?
Ramzi Boukhiam –Juste avant de me blesser, j’ai changé mes plans au dernier moment. Je partais pour surfer à Sunset mais je me suis arrêté pour checker Pipe et Backdoor et j’ai vu qu’il y avait un petit créneau à Backdoor. Il y avait un bon 2 mètres et pas trop de monde, je me suis mis à l’eau alors que je n’étais pas parti pour ça. Je commençais à prendre mes marques mais je me suis blessé sur ma dernière vague, celle que j’ai pris pour sortir. J’étais dans le tube, j’allais sortir et le tube a commencé à resserrer. Il fallait que je remonte dans le tube, qui n’était plus très large, pour m’éclipser par la porte en haut. Je suis sorti mais pas totalement, ça s’est joué au millimètre près. La lèvre est tombée sur la petite partie de mon corps qui était encore dans le tube. J’étais backside et tout le poids est tombé sur mon pied arrière. Je n’avais encore jamais ressenti une douleur aussi violente. J’ai bouffé, je me suis laissé emporter par les vagues et heureusement le sable n’était pas loin. Une fois sorti, les lifeguards se sont occupés de moi.
SS – Malgré ta blessure, tu es quand même resté à Hawaii jusqu’au début de la saison ?
Ramzi Boukhiam – Oui, j’y ai cru jusqu’au bout. Mon osthéo est venu de France, j’ai passé des IRM et on savait à peu près ce que j’avais. Il y avait une suspicion de rupture du ligament, c’était assez grave mais je pensais quand même pouvoir démarrer la saison. La veille de la première épreuve j’ai essayé de surfer, avec une attelle et des straps, mais quand j’ai voulu faire un bottom j’ai ressenti une douleur atroce et je n’avais aucune stabilité, c’était impossible. Même d’un point de vue neurologique je sentais que ça ne connectait pas, que mon cerveau n’envoyait pas les bons signaux.
SS – Tu as donc annoncé que tu ne surferais pas à Pipeline ni à Sunset, et ensuite ?
Ramzi Boukhiam –Je suis rentré en France, direction Bordeaux et la clinique des sports où j’ai vu un chirurgien de la cheville. J’ai refait des examens qui ont montré que la rupture du ligament était bien définie. Il y avait également un petit arrachement osseux et le ligament externe a aussi ramassé, c’était solide. Ils voulaient voir si la syndesmose était touchée et effectivement, elle l’était, je me suis donc fait opérer. Je parlais avec un chirurgien spécialisé dans le surf qui me disait que cette blessure était de plus en plus courante chez les surfeurs, c’est ce qui est arrivé à Léo et à Thomas Debierre plus récemment.
SS – Où en es-tu dans ton processus de guérison ?
Ramzi Boukhiam –Je me suis fait opérer le 13 février, quatre semaines après ma blessure. Mais je ne vois pas ça comme une perte de temps, j’ai simplement tout essayé pour démarrer la saison et je n’ai pas de regrets. Maintenant que je suis out, je veux prendre le temps de me remettre complètement. Après l’opération, j’ai passé deux semaines alité et j’ai gardé la botte en permanence. Je l’ai enlevé il y a quelques jours seulement. Cette période a été dure mentalement, mais je suis rentré au CERS en suivant, j’ai recommencé à bouger et à retrouver le sourire. Je suis avec d’autres sportifs et je sens que le processus de guérison est enclenché.
SS – Au CERS, c’est important d’être entouré d’autres athlètes ?
Ramzi Boukhiam – Des amitiés se créent souvent entre les athlètes du CERS. Tu discutes avec des gars issus d’autres sports pour savoir comment ils gèrent leur guérison. La présence des kinés est aussi importante. Mais dans l’ensemble, je suis dans un bon état d’esprit, même si il y a des hauts et des bas. J’ai beaucoup bossé sur mon mental et je vais revenir plus fort parce que je suis allé chercher profond en moi. Rester dans un bon état d’esprit demande des efforts, c’est encore long, mais je tends vraiment vers ça. Et puis je ne me suis pas blessé bêtement, c’était pendant un entraînement au cours duquel je me sentais bien. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté cette année et c’est ce que je vais continuer à faire, je veux garder cette attitude malgré ma blessure.
SS – On dit parfois qu’une blessure n’arrive pas par hasard…
Ramzi Boukhiam – J’ai essayé d’analyser la situation, de prendre du recul et de voir si je n’étais pas dans un mauvais état d’esprit. Mais j’étais vraiment bien à ce moment-là, c’est juste un manque de chance. Certains vont dire que ça vient forcément de quelque part, mais dans mon cas ce n’était pas un truc bête ou forcé. Certes la vague que j’ai pris était borderline et il faut que je gagne en expérience à Pipe même si j’ai l’habitude de tuber.
Ramzi Boukhiam –Oui. J’attends de savoir si j’ai la wildcard pour l’année prochaine mais je le saurai au moment du cut. Il y a deux injury wildcards et j’espère l’avoir pour avoir une vision plus claire des mois à venir. Pour l’instant je me concentre sur ma guérison, le plus important pour moi est de revenir sans séquelles. Mon objectif est de pouvoir participer aux championnats du monde fin mai au Salvador pour aller chercher ma qualification aux JO.
SS – Comment gères-tu le fait de voir ton rêve s’échapper alors que tu étais si près du but ?
Ramzi Boukhiam –J’essaye d’appliquer une philosophie, tout donner pour ne pas avoir de regrets. Mon frère me répétait toujours ça à l’eau, quand j’avais tendance à abandonner lorsque les choses n’allaient pas en ma faveur. Je donne tout jusqu’au bout et je contrôle ce que je peux contrôler. Et quand des choses que je ne peux pas contrôler arrivent, comme ma blessure, au moins je n’ai pas de regret. Je ne peux pas revenir en arrière mais je peux revenir plus fort. Je crois au destin, je sens que les choses vont de nouveau s’aligner pour moi, ce n’est pas possible autrement, pas après tous les efforts que j’ai fait. Il y a quelques mois seulement, je passais les meilleurs moments de ma vie, je me suis qualifié, le Maroc a fait une coupe du monde de malade, j’étais à la maison… Puis en début d’année je me blesse. J’étais au plus haut et en l’espace d’un mois et demi je suis descendu au plus bas. C’est ça aussi d’être sportif. Mais il faut être fort dans ces moments-là.
SS – Tu vas sûrement revenir plus fort mentalement.
Ramzi Boukhiam –Plus fort, plus apaisé, plus confiant. Et plus méchant.
SS – Pour ton retour à l’eau, tu penses t’entraîner dans le coin ?
Ramzi Boukhiam –Ce qui est sûr c’est que je ne retournerai pas à l’eau tant que je suis au CERS. Je pense rentrer au Maroc pour reprendre tranquillement là-bas et j’aimerais partir au chaud ensuite. Je pensais partir au Salvador avant les championnats du monde, mais là-bas il y a beaucoup de cailloux et la mise à l’eau y est compliquée. C’est sans doute un peu précoce pour ma cheville. Mais j’aimerais surfer en eau chaude pour monter tranquillement en intensité avant le Salvador. C’est l’objectif si tout se passe bien.
SS – Comment vois-tu les mois à venir ?
Ramzi Boukhiam –Comme je suis out je prends le temps de récupérer. Si il n’y avait pas cette qualification à aller chercher pour les JO fin mai, très importante pour moi, j’aurais peut être sauté les championnats du monde pour me remettre totalement. Si j’ai la wildcard pour l’année prochaine, ce que j’espère, je demanderai à la WSL de participer à une ou deux compétitions de la deuxième partie de saison, J-Bay par exemple, pour m’échauffer. En parallèle j’aimerais faire des trips, surfer et créer du contenu vidéo.
"Au début, il ne s'agissait pas seulement d'apprendre à naviguer, mais aussi d'apprendre à lire les cartes, à entretenir les moteurs et à survivre en mer".