Début de saison hors-norme pour Justine Dupont

Interview avec celle qui a vécu en l'espace de quelques semaines, une session de rêve à Cortes Bank et une compétition historique à Hawaii.

17/02/2023 par Marc-Antoine Guet

Par Christina Marmet

Même dans ses rêves les plus fous, Justine Dupont n’aurait pu se douter qu’elle allait vivre un début de saison pareil. Cela fait déjà plus de 10 ans qu’elle surfe du gros et sait très bien que l’aventure est à portée de main dans ce sport gouverné par la houle et l’océan.

Néanmoins, elle était bien loin de s’imaginer pouvoir enchainer en l’espace de quelques semaines une session de rêve à Cortes Bank et une compétition historique à l’Eddie Aikau à Hawaï

A son retour chez elle à Nazaré, la surfeuse a accordé à MANERA un entretien pour revenir sur ce début de saison incroyable, son expérience, ses émotions et ses peurs sur ces deux vagues mythiques, ainsi que ses objectifs pour le reste de sa saison et sa vision du surf de gros.

Justine, est-ce que tu te doutais que tu allais vivre un tel début de saison ?

Justine Dupont – « Pas du tout (rires) ! Je suis rentrée de Tahiti mi-octobre, où j’y avais fait ma préparation et j’avais repris un bon rythme d’entrainement à Nazaré. J’ai commencé l’hiver avec deux objectifs : reprendre une très grosse vague en tow-in à Nazaré et une à la rame à Jaws. Nazaré parce que j’avais quelques souvenirs pas forcément positifs entre ma fracture à la cheville et une autre session où j’ai fini pas loin de la falaise. J’ai aussi une grosse histoire avec Jaws et ce parcours à la rame. J’ai bien évolué sur cette vague mais je m’y suis aussi durement blessée. C’était d’ailleurs ma plus grosse blessure dans le surf et même de ma vie tout court. C’était long de revenir après et j’avais donc encore ce rêve de prendre une belle vague là-bas.

Finalement, ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé ! Je continue à apprendre que ça ne sert quasiment à rien d’essayer de programmer un peu. Ces deux aventures à Cortes Bank et à Waimea me sont vraiment tombées dessus. Ce sont des voyages auxquels tu penses et dont tu entends parler, mais ce sont des évènements tellement rares que c’est dur de s’y projeter concrètement. Vivant en Europe, c’est une sacrée logistique de pouvoir me rendre à Cortes Bank au bon moment. Puis l’Eddie n’avait pas eu lieu depuis 7 ans, donc ce n’est pas une compétition à laquelle je réfléchissais. De pouvoir surfer ces deux vagues à quelques semaines d’intervalle une même année, c’est juste dingue. 

Tu viens tout juste de revenir d’Hawaii où tu as participé à cette incroyable journée de l’Eddie Aikau. Comment as-tu appréhendé l’évènement une fois que le feu vert fut donné ?

J.D – Pour être honnête, je ne me suis pas rendue compte de l’ampleur de l’évènement jusqu’au matin même. Déjà, au début de l’hiver je n’y pensais pas du tout. Je suis sur la liste depuis trois ans donc oui, c’est quelque chose que je garde en tête et j’ai évidemment souvent entendu que c’était la compétition la plus prestigieuse du surf. Malgré tout, ça ne me parlait pas plus que ça puisqu’elle n’a lieu que très rarement. Il y a quasiment 15 ans, j’avais déjà surfé un tout petit Waimea mais je n’arrivais pas à me projeter sur ce spot avec une grosse houle. 

Avec Fred [David, son compagnon], on est resté chez des amis qui habitent à cinq minutes en voiture du spot. Le matin de l’évènement, tout le monde était déjà actif à 5h, alors que cela commençait à 8h. Là, ça a vraiment commencé à devenir une réalité pour moi. On a quitté la maison vers 5h30 mais la route était déjà bloquée par les policiers car il y avait trop de personnes au milieu. J’avais beau dire que je faisais la compétition et que je devais avancer, ils ne voulaient pas nous laisser passer. 

Donc j’ai pris toutes mes planches et mon matos et j’y suis allée à pied, sur la route, de nuit. C’était quand même à 10 minutes de marche, heureusement que mes amis étaient là pour m’aider à tout porter. C’est vraiment là où je me suis dit que c’était un évènement de barjo. Ils attendaient plus de 40 000 spectateurs ce jour-là et à 5h30, c’était déjà presque trop tard pour circuler. 


Avais-tu déjà surfé devant une telle foule ?

J.D – Je n’avais jamais rien vécu de tel. Et pourtant j’en ai fait ! Des finales avec le titre en jeu, des CT, des jours de très grosse houle à Nazaré ou même des compétitions avec Kelly Slater qui attirent forcément plus de spectateurs. Mais là, c’était vraiment un autre monde, une autre énergie. 

C’était un public surf et ça m’a frappé. Ils connaissent, regardent, suivent le sport et sont vraiment impliqués. Tu avais l’impression qu’ils avaient tous surfé une vague dans leur vie et qu’ils savaient tous ce que c’était. Ils étaient contents pour toi, ou avaient peur pour toi. Ils étaient à fond et toute la baie vibrait. 

J’avais regardé un paquet d’images et de vidéos avant la compétition, mais rien ne m’avait préparé à l’envergure de la foule et bien sûr des vagues. C’était impressionnant. A 7h00 quand le jour s’est levé, j’ai pu voir l’océan avec tout ce monde autour. J’ai pris une bonne grosse vague d’émotions, de stress, de réalité, de tout. Ça y est, je comprenais enfin cet évènement. C’était là, maintenant, et c’était un jour exceptionnel. 

Est-ce que tu avais des objectifs en particulier pour cette compétition ?

J.D – Avant tout, je voulais prendre des bonnes vagues pour moi. Puis, vu qu’on était avec les hommes, je voulais quand même aussi bien me placer et être intelligente dans ma stratégie. Mais ça, c’était avant ! Une fois que j’étais dedans, c’était très différent. 

La première série, je n’ai pas pris de vagues. Je me suis vraiment pris en plein dans la face la réalité de ce qu’il se passait. Je n’avais jamais surfé là-bas et il y avait sacrément d’inconnus pour moi. Je ressentais aussi beaucoup de stress et je n’avais plus vu autant de spectateurs depuis très longtemps. A Nazaré, il y a parfois du monde les jours de grosse houle, mais pas autant et surtout pas aussi proche de nous. Et puis, j’étais à l’eau à côté de légendes et de mes idoles, sur un spot où j’avais l’impression que chaque série était de plus en grosse. Ça cassait déjà dans toute la baie à 8h du matin. Qu’est-ce que ça allait être plus tard ? 

Maintenant avec du recul, j’aurai pu encore plus préparer cette compétition, visualiser cette dynamique qu’il allait y avoir autour et cette vague. On m’avait prévenu que c’était un évènement exceptionnel, mais c’était vraiment autre chose de le vivre. 


Comment es-tu arrivée à surmonter tes angoisses avant la deuxième série ?

J.D – J’étais tellement déçue de moi après cette première série. Je suis vraiment passée à côté. J’étais tétanisée par le stress, la peur, l’inconnu de n’avoir jamais surfé cette vague, le monde, la pression… J’avais trop peur, mais en même temps, c’est comme ça. C’était moi dans le moment. J’ai eu réellement peur et je n’ai pas réussi à dépasser ça. 

Du coup, l’objectif de cette deuxième série était de prendre une vague pour moi et non plus pour l’évènement, la compétition ou les points. Je ne pouvais pas passer à côté d’une journée comme ça. Je me disais, « Soit, tu te réveilles, soit tu laisses ta place à quelqu’un d’autre qui va plus en profiter que toi. » Mais non, si j’étais là, c’est que j’étais invitée. Ça veut dire que j’ai mes capacités et que je mérite d’être ici. Donc, à moi de saisir ma chance.

Cette vague creuse très vite et ta planche peut devenir trop grande, donc tu peux piquer. J’étais bien concentrée là-dessus, et quand je me suis rendu compte que j’étais enfin en train de faire la vague, j’ai eu de sacrées émotions. Elle était belle, elle était bleue, j’étais toute seule dessus. De le faire pour moi, ça a marché. J’étais très, très contente. 

Cette première vague de la deuxième série était beaucoup plus qu’une vague pour moi. J’en ai pris d’autres après, mais cette vague-là voulait dire que j’avais réussi à dépasser mes émotions, à les maitriser et surtout à rebondir. Je suis très contente de m’être réveillée pour profiter et apprécier le moment. C’était très puissant et important pour moi, cette victoire sur le fait de ne pas avoir abandonné et d’arriver à passer outre ma trouille du futur, du passé, ou des blessures.

C’était aussi la première fois que les femmes concouraient sur cet événement. Est-ce qu’il y avait une ambiance particulière entre vous toutes et entre compétiteurs en général ?

J.D – Oui, c’était carrément cool. Andrea Moller a fait la toute première série, c’était génial que ça soit elle qui commence, la plus pionnière de nous toutes. Il y avait au moins une femme dans toutes les séries et les gars étaient à fond à chaque fois. 

J’ai été aussi beaucoup soutenue par eux. Dans la deuxième série, j’étais avec Lucas [Chianca]. On s’entraine souvent ensemble et il me connait très bien. Il avait bien capté que j’avais peur au début et il m’a vraiment aidé. C’était un plus de l’avoir à côté de moi. C’est très fort quand lui et les autres gars comme Mason [Ho] ou Nic [von Rupp], qui connaissent mieux le spot et savent où se placer, valident ton choix et hurlent « Go Justine ! »

Honnêtement, cet Eddie Aikau a été un de mes plus gros challenges. C’était une combinaison entre ces vagues mais aussi et surtout ce monde, cette ambiance. C’était incroyable de faire partie des premières femmes à surfer cette compétition. Et pour ça aussi, je ne pouvais pas ne pas prendre de vagues. J’étais tellement contente et reconnaissante de pouvoir aller à l’eau avec les meilleurs et meilleures à cet endroit-là. Ne pas prendre de vagues n’était pas une option.

Quelques jours avant tout ça, tu vivais une autre expérience incroyable à Cortes Bank. Comment ce trip a-t-il vu le jour ?

J.D – Ils ont annoncé le plus gros et le plus beau jour à Cortes Bank alors qu’on était dans l’avion après le premier call pour l’Eddie. En plein vol, on a appris qu’ils ne lançaient finalement plus la compétition à ce moment-là, mais qu’il y avait cependant cette mission à Cortes Bank. On allait arriver à temps pour la rejoindre. 

Pour moi, française et vivant à Nazaré, un trip pareil reste un projet lointain. J’en avais déjà parlé avec Garrett [McNamara] quand je le voyais à Nazaré et il savait que j’étais intéressée, mais ce n’était jamais allé plus loin. Donc d’être là au bon endroit au bon moment, c’était fou ! On s’est donc retrouvés avec Garrett et l’équipe de sa série « 100 Foot Wave », mais il y avait aussi Lucas, Nic, Andrew [Cotton] et Will [Skudin].

C’était apparemment la meilleure mission à Cortes Bank avec le meilleur forecast jamais eu. Tout s’est aligné et c’était dingue de faire partie de ça. Franchement, c’était le plus beau surf trip dans les grosses vagues de ma vie.


Comment te prépares-tu pour une vague pareille située à plus de 150km des côtes américaines ?

J.D – C’est dur à imaginer ! Avec Lucas, on a appelé Carlos Burle la veille pour qu’il nous donne quelques conseils. Il nous a indiqué de bien regarder les poissons pour prendre nos repères. On ne savait pas quoi répondre. Les poissons ? Mais qu’est-ce qu’il nous dit ?! 

A Cortes, on ne voit pas la côte donc il n’y a aucuns repères terrestres. Il y a juste le bateau qui n’est pas forcément ancré donc il bouge. Quand tu n’as pas de vagues, tu ne vois même pas où tu es et c’est très perturbant. Finalement, il avait raison. On faisait notre placement par rapport aux phoques qu’on a vu en arrivant. Ils restaient à l’endroit où il y avait le moins de profondeur et pour pouvoir rester en groupe, tout simplement parce qu’il y avait des requins blancs. Partout ! 

Je n’en ai pas vu mais plusieurs personnes en ont aperçu. Autant te dire qu’on ne restait pas longtemps à attendre. On remontait directement sur le sled après chaque vague ! C’était vraiment la nature sauvage, pure. On sentait qu’on n’était pas à notre place ici. Cette ambiance était hallucinante.


En tout cas, les vagues avaient l’air exceptionnelles. Quels étaient tes ressentis ?

J.D – C’était assez déroutant de voir à quel point c’était glassy alors qu’on était loin au large, mais c’était du coup assez dur de se rendre compte de la vraie taille des vagues. Par contre, j’avais vraiment l’impression de coller à l’eau. Sur une des dernières vagues où Lucas m’a mis, je crois que je ne suis jamais allée aussi vite sur une planche. C’était très grisant et l’émotion était énorme. A Nazaré, tu as quand même beaucoup plus de perturbations et de moments où tu es plus en l’air qu’au contact de l’eau. Là, c’était du beurre. J’étais en contact avec l’eau tout le long, avec cette énorme sensation de vitesse et la vague qui te rattrape en un rien de temps. Ça aussi c’était impressionnant. 


En étant basée à Nazaré, comment t’entraines-tu pour affronter des vagues comme celles-ci ?

J.D – Déjà, c’est génial d’avoir pu vivre ces deux expériences, l’Eddie et Cortes, avec Lucas. Pour moi, c’est le meilleur. Passer du temps à Nazaré et pouvoir s’entrainer avec le meilleur au monde, c’est pour moi la meilleure combinaison. A Cortes, on savait qu’on pouvait débarquer à des kilomètres au large sur un spot qu’on ne connait pas du tout et se faire confiance, autant pour s’amener sur des vagues de fou que pour aller se chercher après.

Ensuite Nazaré, c’est mouvant. Il y a une grosse fréquence, ça casse tout le temps et il n’y a pas un pic défini donc il faut quand même sacrément s’adapter. Pour moi, c’est le meilleur endroit pour s’entrainer. Il vaut mieux s’entrainer en continu dans un spot qui ressemble à pas grand-chose et qui est effrayant, puis arriver sur des vagues plus jolies et plus prévisibles. Bien sûr, chaque grosse vague est différente et intense, avec son histoire et ses risques, et il faut s’y adapter. Mais tout ce que j’ai appris et apprends encore à Nazaré avec tout ce temps passé dans l’eau, ça me permet de progresser et de pouvoir aller ailleurs après.


Qu’est-ce que tu recherches dans le surf de gros ?

J.D – Bonne question (rires) ! C’est un mix de pas mal de choses. L’aventure, déjà. Cortes était la plus grosse aventure. Et sortir de ma zone de confort. L’Eddie était un de mes plus gros challenges là-dessus, en étant devant autant de personnes. Au final, c’est tous ces moments et ces aventures qui te permettent de comprendre, d’apprendre sur toi et de faire face à tes peurs. C’est ça qui me permet de vivre pleinement et intensément, tout en profitant au maximum. Et bien sûr, il y a cette recherche de vitesse et d’adrénaline. 


Quels sont tes autres objectifs et envies pour cette saison ?  

J.D – J’espère que la compétition à Nazaré en tow-in aura lieu et je compte la faire avec Eric Rebière. Il n’y a pas encore eu une très grosse et belle houle à Nazaré. En tout cas dès qu’il y en a une cette année, je suis sacrément prête avec Eric.

Peut-être que ma fin de saison sera plus classique à Nazaré ou à Jaws. En tout cas, j’ai déjà pris de très belles vagues ! Et puis, tout ça me donne encore plus envie de partir à l’aventure. J’aimerais repartir en Irlande et je n’ai jamais fait l’Australie. Il y a encore tellement de vagues et le monde est grand. On le voit avec Cortes Bank ; on avait mis cette vague de côté et puis elle est revenue au premier plan d’un coup. Il suffit juste d’attendre les bonnes conditions, les bons moments, et de se tenir prête à toute éventualité pour se laisser porter ! »


                               


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