Mathieu Crepel : "Quand Jaws déferle, tu sens tout l’océan vibrer"

En pleine tournée d'avant-premières pour son film "Shaka", Mathieu Crepel revient sur deux ans de quête intense.

01/11/2018 par Rédaction Surf Session

Discuter une heure avec Mathieu Crepel invite au voyage. Sa façon singulière de verbaliser un univers d’émotions, de perdre son regard dans les mémoires fidèles de Peahi, de narrer cette histoire initiatique sur fond de quête de soi qui l’a transporté de la Mongie aux avalanches d’écume de Jaws, nous aspire vers Hawaï, là où il a trouvé réponse à ses questions.

Loin de l’océan et des montagnes, on le retrouve dans les loges du Grand Rex, à Paris, où le snowboardeur professionnel de 34 ans poursuit la tournée européenne d’avant-premières de son film « Shaka ». Aux côtés de ceux qui l’ont épaulé dans cette longue épopée, Morgan Lefaucheur, Victor Daviet et Kepa Acero, on écoute les mots, à peine séchés, qu’il ramène de cette session mémorable du 14 janvier 2018, et de ces deux ans de préparation physique et mentale intense. Ils transpirent la fatigue, l’exigence, la folie aussi. Cette histoire, c’est comme si tout était écrit d’avance. Que Mathieu Crepel, « le champion de la bande », était avant tout resté le gamin qui tuait le temps en dépassant continuellement les limites qu’il s’est fixé. La dernière en date a un nom : Jaws, la vague la plus puissante du monde.

Surf Session : Mathieu, avant 2011 tu considérais Belharra, ta première expérience de gros, comme inatteignable ?

Mathieu Crepel : Le surf de gros, ça ne vient pas du jour au lendemain. À ce moment-là, je ne me sentais pas prêt ni techniquement ni physiquement à m’attaquer à Belharra. Puis petit à petit mon entourage m’a poussé à y aller. Il y a eu cette journée avec Stéphane Iralour, Éric Rougé, Pierre Rollet… L’idée de base c’était d’observer, mais une fois là-bas je me suis dit : « bon, on va essayer ! »

Et 7 ans plus tard tu t’attaques à Jaws…

Je n’avais jamais été à Hawaii de ma vie et je voulais découvrir cet univers si particulier. Jaws est incontestablement la vague la plus emblématique du surf de gros. Le déclic est arrivé à un moment où j’éprouvais un manque de challenge en snowboard, cette quête a été l’échappatoire.

Peahi, cette falaise qui surplombe toute la baie, la vague qui déferle au loin… Qu’est-ce que ça représente pour un surfeur ?

Une sorte de graal, (il s’arrête…) de mythe et de légende. C’est la vague qui a fait grandir le surf de gros. Elle relève d’une descendance, les Hawaïens, Laird Hamilton, les Français qui se sont rendus là-bas aussi… S’ils n’avaient pas pris les risques qu’ils ont pris, le surf de gros n’en serait pas là actuellement. Pour un surfeur c’est déjà mythique, mais alors pour un snowboardeur c’est encore plus fou.

« La veille de Jaws, j’ai pas dormi de la nuit, j’ai rien bouffé le matin »

Billy Kemper dit que « personne ne peut avoir idée de l’effet que peut produire Jaws une fois que tu l’as surfée »…

C’est exactement ça. Ce qui m’a le plus choqué au-delà de la vision du spot et de l’imaginaire que tu te construis de Jaws via les photos et les vidéos, c’est le bruit de la vague. La première fois, je suis arrivé en bateau, au crépuscule. Il y avait déjà Kai Lenny en tow-in. Le premier set arrive, et là, plus qu’à Belharra où c’est déjà impressionnant, il y a quelque chose de spécial qui se passe. La vague est complètement ronde (il mime la vague avec sa main), et quand ça pète t’as tout l’océan qui vibre.

Peut-on établir un parallèle avec Belharra ?

À vrai dire, il y a plus de différences que de convergences. Belharra est une vague de haute-mer, elle pète loin, le line-up est moins défini qu’à Jaws et la pente est moins raide. Jaws, c’est simple : tu t’imagines une vague d’1m50, tubulaire, et tu la multiplie par 10. 
L’ambiance est également différente. Lors de cette session à Jaws, qui était annoncée depuis des semaines comme le plus gros swell de l’hiver, c’était la compétition, parmi les meilleurs chargeurs au monde. À Belharra, on est plus à la maison, et puis j’ai eu la chance d’y être introduit par les pionniers.

L’aspect hiérarchique est-il aussi important à Jaws qu’à Pipeline ?

Non pas vraiment. À Jaws, le positionnement se joue plus à l’engagement. Tandis qu’à Pipe, jamais tu ne vas à l’intérieur sans avoir gagné le respect des autres surfeurs. C’est intéressant comme tu reconnais les habitués et les néophytes, par leur placement, leur regard, leur manière de rejoindre le line-up…

« Quand t’arrives à Pipe, t’es personne. Le respect et l’engagement te font gravir les échelons. »

Tu trembles lors des minutes qui précèdent ta mise à l’eau, quels sentiments dominent ?

C’est un feeling entre la peur et la détermination, que je ressens parfois en snow quand je me prépare pour des grosses lignes comme en Alaska. Un mix entre l’excitation de vivre la plus belle journée de sa vie et la sensation d’avoir une énorme boule au ventre en se demandant si tu vas rentrer chez toi le soir. Cette peur est nécessaire pour te raisonner mais aussi te motiver à te surpasser. C’est rare de ressentir ça, une telle intensité. La veille de Jaws, j’ai pas dormi de la nuit, j’ai rien bouffé le matin.

Cette quête incarne l’aspect communautaire du surf : tu n’aurais pas envisagé de surfer une vague comme Jaws seul ?

En ce qui concerne la préparation oui. C’est ma manière d’appréhender les choses, j’ai eu la chance grâce à ma carrière de snowboardeur de rencontrer du monde. Je voulais m’appuyer sur des personnes qui, chacune dans leur domaine, avaient quelque chose à apporter à l’aventure. Ce qui est représentatif du surf de gros finalement : un sport d’équipe et une réelle connexion avec tes amis. Il y a des risques, donc on veille chacun sur soi.

Dans les paliers qui ont précédé Jaws, il y a eu, Avalanche, des missions en Espagne avec Stéphane Iralour, Belharra, mais aussi Pipeline

L’idée c’était de passer du temps à Hawaii, notamment sur le North Shore, ça fait partie de l’apprentissage. La vague en elle-même est folle, et l’environnement est vraiment hostile. On comprend pourquoi les teams envoient leurs espoirs dès 12-13 ans. Il faut savoir faire sa place. Tu n’es personne là-bas. Puis le respect et l’engagement te font gravir les échelons. Laurent Pujol, notre caméraman en aqua qui s’est bien intégré à la communauté, nous a dit qu’il fallait 10 ans pour être respecté.

On t’appelait « The Snowboarder Guy » à la maison Quik…

Quelques jours après mon arrivée, je me retrouve à faire des exercices de yoga devant la maison. Il est six heures du matin. Le père de Koa Rothman, Eddie, c’est le shérif, il sait tout ce qu’il se passe à la maison. Il me voit et me lance : « Alors c’est toi le snowboardeur ? ». Je réponds un peu timidement : « Ouais ». Puis il me dit : « C’est pas facile là-bas hein (en pointant Pipe) ? C’est facile pour personne. » Du coup c’est resté.

Puis le jour de mon arrivée, il y avait le Da Hui Backdoor Shootout. Tous les juges et les commentateurs se retrouvent dans le jardin de la maison. Je passe le palier devant tous les Hawaïens, et demande Reef McIntosh. Reef arrive mais ne remet pas mon visage tout de suite. « Mathieu…Ah mais c’est toi le snowboardeur ? Vas-y rentre ! ». T’es fiché direct !

Comment Koa Rothman t’as briefé sur Jaws ?

Jusqu’à la veille on hésitait : je n’ai pas pu avoir de jet, j’ai trouvé un bateau au dernier moment… J’ai Koa par Facetime, et je lui demande s’il veut bien me prêter un gun. Il sourit et répond : « Alors ça y est, tu veux y aller ? ». Et il m’a prêté un de ses tous premiers guns, avec gravé « Head Down » (Tête baissée) au niveau des cotes.  Mais ça n’est pas allé beaucoup plus loin, lui aussi se préparait pour ce swell, je ne voulais pas m’imposer.

Le Jour-J, tu prends deux vagues en deux heures, dont une que tu retiendras ?

À la sortie de cette vague, j’étais content de ce que j’avais fait. Puis avec le recul une fois sur le bateau, tu te dis : « Mince, j’aurais dû la prendre plus à l’intérieur, partir plus tôt… ». Michael Darrigade, le caméraman de Sancho, m’a dit : « Mec, c’est pas ton univers tout ça, alors sois fier de ce que t’as fait ! ». Ce jour-là, Jamie Mitchell a dû en prendre une ou deux. Dans ce genre de session, l’idée n’est pas de partir sur 20 vagues, mais de chopper la bombe. Mentalement c’est un combat, je me suis demandé plusieurs fois ce que je faisais là.

C’était une exigence pour toi de la surfer à la rame ?

C’était la condition, oui. Quand on voit ce qu’on peut charger à la rame aujourd’hui, c’est devenu la norme. Toute la notion d’engagement et de logique de placement sont remises en question. 

L’océan est-il moins traître que la montagne ?

En surf, quand les conditions sont grosses, tu le vois. Un débutant ne va pas se jeter dedans, sauf s’il est débile. Je dis souvent que plus la montagne est belle, plus elle est dangereuse. C’est une question de subtilité, et même avec une grande expérience beaucoup se font prendre. Il y a une certaine fatalité.

Avec l’aide de Guillaume Néry, l’idée de départ était d’approfondir l’apnée et les techniques de respiration ?

Je voulais surtout partager son univers, qu’il me donne les clés physiques mais aussi mentales pour passer du temps sous l’eau. Je n’avais pas exploré cette facette psychologique de l’apnée : ces verrous, ces mécanismes qui permettent de les faire sauter, relativiser même à 25m sous l’eau. Guillaume a une manière bien à lui et passionnante de transmettre son sport.

Vu ton appétence en termes d’aventures, Jaws n’est pas une fin en soi ?

Au fil du temps, Jaws est devenu un rêve et un challenge. Cette vague est fascinante, et possède quelque chose de si particulier… Si j’ai l’occasion d’y retourner avec des amis – notamment Stéphane Iralour – et de partager ces sensations avec lui, ce serait top. Puis j’ai encore beaucoup de choses en tête.

Photo à la une : Quiksilver.


     


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